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NOUS AUTRES PSYCHANALYSTES…

Le titre que je vous propose a surgi lors de la préparation des rencontres de La Criée en Juin dernier à Reims « Entre deux rives / Exil et transmission ». Je relisais alors un livre de Jacques Hassoun Le passage des étrangers où il était question du communautarisme et de la folie ethnicitaire qui s’empare de l’étranger quand, en réaction au racisme et à l’exclusion des soi-disant autochtones, il en vient à se suridentifier imaginairement aux emblèmes de ses ancêtres.

Quel rapport avec la Psychanalyse et les enjeux du colloque actuel ?

Ce qui m’était alors revenu et ne cesse de m’étonner, c’est la tentation identitaire du « nous autres… », telle qu’elle insiste dans tous les groupes et en particulier les groupes de psychanalystes. Comme si , pour répondre d’une identité énigmatique voire introuvable, nous retrouvions très curieusement cette tentation d’une appartenance toujours chargée de religiosité qui rassure chacun et le groupe à peu de frais. Avant d’examiner le désastre où nous conduit une telle perspective, je voudrais signaler qu’elle résonne très fortement en moi avec la langue coloniale telle qu’elle se parlait pendant mon enfance algérienne, « nous autres juifs » répondant aux autres : arabes indigènes, français de France, français d'Algérie, catholiques, maltais et autres ethnies qui composaient le paysage bigarré qui était en train de se déchirer sous mes yeux. Des murailles invisibles séparaient chaque communauté, le tout renforcé par une rigoureuse endogamie justifiée par un racisme aux allures d’évidence. Les évidences étant comme toujours trompeuses, elles ne tenaient que d’une falsification de l’histoire et de la domination coloniale, les juifs venaient de basculer via le décret Crémieux (1870) du « bon côté, autrement dit de la France » et ne voulaient plus entendre parler de leur long passé indigène (plus de 2000 ans tout de même !) . Certes les lois de Pétain les avaient brutalement sortis de cette promotion et ils étaient nombreux à se souvenir de leur éviction soudaine de l’école, mais précisément cette fragilité poussait la plupart à se rassembler sous la bannière de la France qui pourtant se comportait alors de façon bien peu républicaine.

Devant la menace de l’effondrement d’un ordre révolu, la plupart s’efforcèrent de dénier jusqu’au dernier instant la réalité aveuglante qui allait pourtant basculer d’un seul coup.

C’est ce réel traumatique de la langue coloniale et de la sauvagerie interethnique qui m’ont très tôt atteint et orienté vers la psychanalyse. Il était d’ailleurs remarquable que la guerre produise une telle atteinte de la langue que des mots en deviennent imprononçables : in fine il n’y avait plus de morts mais des disparus, et les dénominations ethniques ne purent se dire qu’en chuchotant ou dans un langage chiffré : juif, arabe, indigène résonnant alors comme des insultes ; au point tel que la crainte de l'insulte du nom devait se poursuivre pendant longtemps une fois « retournés » dans une métropole que la plupart ne connaissaient pas.

Ainsi par une logique inexorable, le « nous autres » s’avéra d’un piètre secours, dévoilant son caractère imaginaire et fallacieux au moment de l’effondrement et de l’attaque de la fabrique des noms.

C’est par ce détour qui n’est pas que métaphorique que je retrouve les hypothèses passionnantes de Françoise Davoine et Jean-Max Gaudillière reprises dans leur dernier ouvrage Histoire et trauma/La folie des guerres. Selon eux la psychanalyse se réinventerait à chaque période de conflit guerrier lorsque le trauma vient attaquer ou anéantir le lien social et faire s’écrouler des édifices imaginaires qui dévoilent alors leur inconsistance. Ainsi le trauma le plus particulier appellerait à se réinscrire dans les failles de la grande Histoire pour peu qu’il trouve un lieu d’adresse ; d’où l’enjeu radical pour la psychanalyse de construire ou de laisser advenir un tel lieu qui puisse affronter la tourmente de la guerre et supporter le refoulement et le déni de l’après-guerre.

Je n’évoquerai que de façon allusive (lisez plutôt leur livre !) leurs hypothèses ou plutôt leurs convictions étayées sur de multiples exemples issus des deux guerres mondiales et de la guerre du Vietnam et sur les réponses très concrètes que des analystes et des psychiatres surent inventer ou réinventer à chaque fois avec les moyens du bord. Il n’était d’ailleurs pas question dans ces conditions extrêmes de proposer des « cures type » ou que les quelques analystes en question se bardent dans leurs titres alors que sur le front ou à l’arrière se jouaient des enjeux de vie ou de mort. Ils nous transmettent ainsi toute une élaboration anglo-saxonne qui était pour une grande part ignorée en France, parce que non traduite ou subissant l’ostracisme lacanien vis-à-vis de la psychanalyse américaine rabattue sur l’egopsychologie.

Il y avait là-bas pourtant toute une tradition (Sullivan, Fromm Reichmann et les autres) que pour ma part je ne connaissais que par H.Searles alors qu’en France à la même époque (les années 70) il se trouvait encore nombre d’analystes s’abritant derrière certains textes de Freud ou de Lacan pour récuser la possibilité d’un abord psychanalytique des psychoses. Ceux-là ont depuis viré leur cuti depuis que la psychose est revenue à la mode dans les colloques mais combien d’analystes se risquent-ils réellement à prendre en charge des psychotiques et des « sujets limites » ? Fort peu sans doute à en juger sur les positions prises au moment de « l’affaire des psychothérapies » quand la position dominante, le « tournant droitier des psychanalystes » pour citer C.Raban (in Che Vuoi sur « Malaise dans la réglementation) aura été de se replier sur la « psychanalyse pure » et de récuser caricaturalement le soin et la psychothérapie tout juste bonne sans doute pour ceux qui n’ayant pas lu Lacan et atteints de furor sanandi croyaient pouvoir promettre une restitution ad integro !

Il y avait pourtant en France toute une tradition, sans parler du mouvement de PI, chez les continuateurs de Winnicott, Pankow, Aulagnier, et bien d’autres ici présents comme Ginette Michaud et Jean Oury pour avoir fait une vie durant le pari du soin, de la psychothérapie voire de « la guérison psychanalytique » (N. Zaltzmann) .

Il y avait aussi bien sûr toute la recherche de Freud et Ferenczi à propos du trauma : que l’on pense à Freud écrivant « Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort » après le désastre de la première guerre mondiale puis en arrivant au concept de pulsion de mort dans « l’au-delà du principe de plaisir » ; ou à Ferenczi relançant d’une autre manière sa réflexion et sa pratique à partir de son travail sur les traumatismes de guerre et en tirant le premier des conséquences inaugurales pour la psychanalyse : pratique active, analyse mutuelle, sortie de la neutralité ; autant de points qui doivent sûrement faire scandale puisqu’ils se trouvent à chaque fois refoulés du champ de la psychanalyse ! Autant de découvertes enfin qui corroborent les hypothèses de Davoine et Gaudillière sur la guerre et la nécessité de trouver une issue autre que catastrophique à la catastrophe.

Toujours dans cette direction de recherche, il est remarquable que l’expérience inaugurale de ST Alban se soit produite en pleine guerre mondiale sur fond de résistance au nazisme, mais aussi d’exil de Tosquelles rapportant son expérience militante et professionnelle de la guerre civile espagnole : ce que l’on a appelé le creuset St Albanais où ont aussi transité nombre de poètes, philosophes, intellectuels résistants. Encore une fois il n’y a pas lieu de produire de gonflette narcissique ni de sacralisation abusive quand il s’agissait en premier lieu d’inventer dans l’adversité des formes de vie et de soins aux psychotiques ! Et cette invention devait en passer par des actes avant tout politiques même si dans le même temps se créait un vrai laboratoire d’idées et de traduction de textes et d’invention de « pratiques de la Folie ».

Ce n’est pas l’hagiographie, le « nous autres de la PI » qui m’intéresse, mais le mouvement produit qui ira en se précisant et qui vise à analyser et donc distinguer une double aliénation, au politique et à l’inconscient, autrement dit à ne pas confondre non plus ces deux registres qui peuvent se présenter intriqués mais aussi disjoints. Ajoutons aussi que d’entrée de jeu ils furent l’enjeu de batailles entre des versions antagoniques du marxisme qui se réglèrent de façon théorique en France mais de façon bien plus meurtrière ailleurs ; les disputes entre les courants psychanalytiques viendront plus tard mais elles ont pour nous toute leur actualité : ainsi la question les infirmiers participent-ils ou non de la psychothérapie ? amènera une scission en 1958 dans le groupe de Sèvres qu’il ne s’agit pas de remiser aux oubliettes de l’histoire au moment de la sortie des décrets qui fixent les critères de la « psychothérapie d'état ». N’oublions pas non plus le manifeste des psychiatres « communistes » dénonçant dans La Nouvelle Critique la psychanalyse comme « idéologie petite bourgeoise et contre-révolutionnaire » ! C’était bien avant le « livre noir » assimilant la psychanalyse à une entreprise criminelle dans le sillage des totalitarismes !

Ce qui se révèle dans ces batailles théorico-pratiques, c’est que la vivacité du mouvement est le produit de ces conflits mais aussi de la nécessité d’inventer une praxis qui tienne la route et affronte les enjeux de la Folie et de la Guerre.

Relevons aussi cet enjeu de l'exil qui peut être volontaire comme dans le cas de Davoine et Gaudillière qui durent effectuer une traversée – à contre-courant mais avec un billet de retour - pour trouver en Amérique des thérapeutes de psychotiques de toutes obédiences théoriques mais aussi des sorciers indiens avec qui discuter de leur clinique ; ce qui leur permit ensuite de revenir dans un deuxième temps sur leurs traces ; mais le détour et le passage par l'étranger leur étaient manifestement nécessaires.

Il est bien d’autres exils qui peuvent paraître fort différents : celui du bannissement politique comme pour Tosquelles et bien d’autres, mais aussi tous les exils sans billet de retour que les totalitarismes et les génocides ou tout simplement la misère du tiers-monde ont produit depuis le siècle précédent et que H. Arendt avait fort justement pressentis et caractérisés : l'apatride et l'homme des camps devenant une figure sauvage de la modernité qui fait retour dans nos cités hantées par la menace des banlieues et des SDF. Il faut citer à ce propos la cruelle pertinence des méditations de G.Agamben dans « Homo sacer » et « Dans ce qui reste d’Auschwitz » absolument indispensable pour penser le « nouveau totalitarisme » dans une continuité avec la brèche ouverte par le nazisme.

C’est dans ces marges qui ne cessent de s’étendre que se situent à mon sens les défis pour la psychanalyse, autrement dit dans la guerre économique, idéologique et politique qui se mène silencieusement sous nos yeux. La plupart applaudissent à l’exception qui serait faite à la psychanalyse dans les textes qui sont en train de laminer toute pratique du sujet alors que dans le même temps dans le champ psychiatrique, nous allons mettre en fiches avec la VAP (Valorisation des Activités en Psychiatrie) pour des objectifs explicitement « médico-économiques » toute la population soignée, ces fiches pour le moment anonymes étant adressées directement à l’ARH sans aucun intermédiaire médical ; nous allons même contribuer à créer pour les patients en HO un fichier national sans aucun anonymat qui me fait irrésistiblement penser au fichier juif. Certes ce n’est plus le caractère de la race qui importe mais ceux de la dangerosité et du désordre, où l’on constate d’ailleurs le retour de la notion de « classes dangereuses » …

Et cette politique d’évaluation de l’inestimable, de « mesure du travail mort » pour reprendre l’expression de C. Dejours, a bien entendu des effets de mort qui nous demandent une énergie assez folle pour maintenir une dimension de vie, d’échange et de circulation dans les lieux où nous travaillons. On pourrait dire que cela a toujours été le cas et la remémoration du « creuset St Albanais » devrait nous prémunir contre toute idéalisation des origines, mais la différence c’est que nous n’avons pas l’impression d’être en guerre et que l’ennemi n’est guère identifiable quand il s’avance au nom du Bien.

Il faut tout un travail préalable de l’aliénation politique pour caractériser et penser cette nouvelle forme de domination politique alors que les utopies et les passions révolutionnaires inspirées du marxisme se sont toutes effondrées pour le meilleur et pour le pire ; une « catastrophe silencieuse » s’est produite pour reprendre l’expression de J. Hassoun dans son livre ultime (sur « l’Actualité du Malaise ») que Freud avait prévue très tôt quand il mettait sur le même plan la religion chrétienne et la promesse communiste d’un Paradis sur Terre pour une humanité enfin réconciliée avec elle-même, débarrassée de la pulsion de Mort. Cette catastrophe nous fait traverser un « espace vide » (Nietzsche) qu’il ne s’agit pas de combler au plus vite alors que nous aurions au contraire à en faire l'expérience en prenant acte du gain psychique que peut comporter un tel passage par le désert sans le mirage d’aucune Terre Promise.

Ce travail de deuil des illusions révolutionnaires me paraît tout à fait essentiel et d’ailleurs difficile avec le risque de tout miser sur la psychanalyse sous prétexte que le marxisme nous aurait bien déçus, et ce faisant d’évacuer le registre du Politique tout en mettant la psychanalyse en position d’idéologie. Or la Psychanalyse, Freud nous en a prévenu n’est pas une conception du Monde, même si elle peut contribuer à une exploration du lien social, ce dont Freud ne s’est pas privé tout au long de son parcours tout en enrichissant ainsi sa métapsychologie.

Mais les psychoses collectives, celles qui réussissent comme les religions, et les autres comme les totalitarismes sont rigoureusement intraitables par la psychanalyse.

La psychanalyse comme méthode ne peut s’envisager qu’au « un par un », ou dans des petits collectifs qui résistent activement à leur massification et relancent sans cesse un processus qu’il nous faut maintenant caractériser.

Car plutôt que d’évoquer les formalisations qu’a proposées la Psychothérapie Institutionnelle et qu’il s’agit toujours de réinventer, je pense qu’il faudrait d’abord souligner qu’il s’agit d’avoir toujours en perspective la position théorique à soutenir en face du traumatique et de la Folie. Ainsi parler de « transfert psychotique même quand il n'y a pas de structure psychotique » comme le font Davoine et Gaudillière depuis leur premier ouvrage, et comme je le fais moi aussi depuis que mes patients me l’ont appris « à mon corps défendant », cela devrait tirer à conséquence.

Que l’on travaille en cabinet ou en institution, il parait absurde de plaquer dans ces configurations cliniques le « modèle » de l’analyse des névrosés qui se trouve heureusement déstabilisé à chaque fois que dans une cure on approche d’un passage traumatique, d’un déni ou d’un trou forclusif dans la symbolisation. La pratique exige alors une présence active et vivante de l’analyste, un déplacement hors des sentiers battus et d’une neutralité qui serait alors pure malveillance quand il s’agit d’accueillir l’informulé, le non encore figuré .

Bien antérieurement à toute possibilité d’acte analytique, d’interprétation ou même de construction, il y aurait à construire le dispositif scénique, le praticable qui ne tiendra que du désir mis en acte de l’analyste. Pour le Collectif l’affaire s’avère plus complexe puisque nous savons par expérience que le psychotique peut tout à fait placer transférentiellement, mettre en place d’analyste toute personne qui s’offre au transfert quel que soit son statut. Il est même fréquent que soient choisies des personnes tout à fait inexpérimentées, débutantes mais pouvant offrir selon la trouvaille quelque peu cannibalique d’un de mes patients « des oreilles fraîches » ; ou bien même d’autres patients sensibles à l’inconscient ce qui, à certaines conditions, peut permettre des soins mutuels et franchir des caps périlleux.

Ces mouvements transférentiels méritent de ne pas être méconnus et même encouragés pour les soignants qui s’y risquent et font ainsi bien souvent une tranche d’analyse quelque peu sauvage. C’est bien là tout l’enjeu délicat de la dimension du contrôle analytique ou des supervisions qui sont alors souhaitables pour tempérer cette sauvagerie ; encore faut-il qu’elles soient demandées et non imposées, d’où l’importance d’une ambiance propice qui le permette et tempère la peur, la haine ou la honte qui affectent alors le sujet découvert, deviné, analysé par le psychotique bien plus qu’il ne l’aurait voulu ou pensé.

Sans doute faut-il avoir traversé soi-même ces affects violents dans une analyse pour y être sensible et créer des espaces qui rendent possible leur accueil et leur perlaboration. Pour ma part, je m’y emploie en profitant de toutes les occasions offertes par les colloques de Psychothérapie Institutionnelle pour proposer un travail en petit groupe afin de produire une écriture qui sera alors celle de la prise dans le cas ; le pari en étant celui d’une effectuation du transfert psychotique par le biais du lieu d’adresse ainsi constitué et par la nécessité de se dégager au moins un temps de l’affect, de l’ineffable ou de l’indicible. Je dis au moins un temps, car l’expérience m’a montré l’instabilité d’un tel franchissement, son caractère étonnamment réversible et l'impossibilité assez radicale de la capitalisation d'un tel savoir.

C’est comme s’il fallait à chaque fois l’arracher au refoulement ou au déni, ce qui n’a rien de spontané ni d’irréversible, et cette difficulté intrinsèque à la dimension du savoir inconscient me paraît assez largement partagée au-delà de tout statut et de toute formation. Certes nous pouvons en être prévenus, on pourrait même ainsi repérer l’analyste comme celui qui se serait préparé à supporter ce rapport énigmatique au savoir inconscient par tout un travail d’assouplissement psychique. Mais nous sommes bien placés pour savoir que le risque de fermeture à l’inconscient nous menace tout le temps et que le mouvement de l’analyse peut s’arrêter, ce sur quoi Freud bute à la fin de son parcours dans « Analyse finie et infinie ».

Il est assez remarquable que le travail du collectif, si nous luttons activement contre « la mise en commun des résistances » pour reprendre la formule de S.Leclaire, peut contribuer à cette relance de l’analyse . Jean Pierre Lehmann avait trouvé cette formulation délicieusement ambiguë « conjugaison des points aveugles de chacun » à propos du Cercle Freudien : il est clair que tous les points aveugles peuvent se conjuguer pour ne plus rien voir mais aussi selon l’ambiance et le moment que chacun peut dans un transfert de l’un à l’autre permettre au collègue d’ouvrir les yeux … et les oreilles !

Cette ambiguïté est importante à souligner et même fondamentale : croire qu’on pourrait la lever relèverait de l’imposture ou de la canaillerie ; elle est aussi vraie pour le collectif soignant que pour le collectif d’analystes et nécessite un travail de déblayage permanent, d’analyse institutionnelle pour appeler les choses par leur nom extrêmement exigeant.

Il faut y mettre du corps, de la dépense au sens de G.Bataille, pour éviter un simple placage théorique. J’aime beaucoup à ce propos la distinction reprise de Lacan qu’opère Olivier Grignon dans son article dans l’ouvrage « Psychanalyse/Vers une mise en Ordre » (dirigé par F.Chaumon) , quand il oppose le discours vrai et la parole vraie. Certes le discours vrai est nécessaire, souhaitable, mais ce qui tranche et ouvre une dimension analytique c’est bien la parole vraie où le sujet est en prise avec son désir inconscient.

On voit bien que cette affaire comporte la dimension d’un pari sur l’inconscient freudien, d’une mise en jeu du corps et ne saurait le moins du monde s’appuyer sur un « nous autres psychanalystes patentés » d’autant que chacun aurait plutôt tendance à faire valoir sa patente en se réfugiant illusoirement dans son statut ou son appartenance, ce qui est le symptôme même de la fragilité et de la crise que traverse le mouvement analytique.

Ce projet qui ne fait pas programme mais mouvement, pourrons-nous le tenir et affronter les forces de mort qui nous traversent et vont en se renforçant ?

Autant dire pour conclure qu’il s’agirait de miser sur le désir inconscient mais aussi sur une analyse de l’aliénation politique préalable à toute pratique de la Folie comme d’ailleurs à toute pratique du Sujet.

PATRICK CHEMLA PSYCHIATRE ET PSYCHANALYSTE

CENTRE ANTONIN ARTAUD REIMS