Propositions pour la création d'Asphère

Propositions pour la création d'Asphère

Lieu de débats et de recherches : Psychanalyse et féminin

La psychanalyse et le féminin

Le féminin s'est d'emblée manifesté comme une question à la fois centrale et productrice d'élaborations pour le savoir en jeu dans la psychanalyse. Pas tant parce que Freud eut besoin de l'hystérique pour lui montrer le chemin vers l'inconscient que pour des raisons de structure. En effet, avec la découverte de la thèse phallique de l'inconscient, le sexe féminin s'est trouvé rejeté du savoir que celui-ci, inlassablement, élabore. Mais, s'il n'y a pas le signifiant de La femme dans l'inconscient - La femme n'existe pas, selon la formule de Lacan -, il n'en reste pas moins que le féminin, parce qu'il fait ainsi limite au monde de l'Un phalliquement ordonné, vient y poser la question de l'hétéros, de l'Autre comme Autre sexe, de ce qui ne se laisse pas réduire à la logique binaire oppositionnelle traditionnelle.

C'est pourquoi le savoir analytique, loin de faire l'impasse sur la question du féminin, comme il le lui est souvent reproché, est sans cesse confronté à la logique spécifique qui permet d'en rendre compte de façon telle qu'elle remet radicalement en cause la notion même de totalisation, bien au-delà d'une simple dissymétrie des sexes quant au phallus.

L'histoire de la psychanalyse montre que l'élaboration du savoir quant à la sexualité féminine a suscité à plusieurs moments de notre siècle des débats théoriques acharnés depuis l'introduction par Freud, en 1923, du primat du phallus pour les deux sexes, dans la théorie de la sexualité. La constante des critiques faites à Freud, à partir de Jones et de l'école anglaise est d'opposer à son phallocentrisme déclaré mais jugé inadéquat quand il s'agit des femmes, le naturel d'une féminité primaire des filles qui orienterait originairement et leur désir et leur jouissance. Féminité primaire dont il s'agit dès lors de faire la preuve, le plus souvent au prix de ramener le sexe à des données biologiques et complémentaires là où la découverte freudienne a eu le courage (Lettre de Freud à Jones en 1914 : " Celui qui promettra à l'humanité de le délivrer de l'embarrassante sujétion sexuelle, quelque sottise qu'il choisisse de dire, sera considéré comme un héros ") de nous introduire à une nouvelle dimension de l'expérience : celle d'un défaut de jouissance constitutif du sujet, qu'il appelle castration.

De même est ignorée, le plus souvent, la logique étonnante que Freud dégage, au milieu des années 20, lorsque, confronté à la spécificité de l'oedipe féminin, il fait valoir le double enracinement de la sexualité féminine :

  • d'une part, dans un amour primaire de la fille qui a pour objet la mère constituée comme premier grand Autre de la demande idéalement phallique. Le destin de cet amour est de virer à la haine lorsque la fille découvre que la mère n'a pas le phallus, la condition de l'amour comme celle de l'identification étant liées à la présence du phallus. Cependant, un reste de ce premier attachement ne cesse pas de s'écrire, sous la forme d'une perte / fixation de jouissance, créant ainsi une sorte de lien indéfectible, le plus souvent à coloration de haine.
  • D'autre part, dans un amour secondaire pour le père, vers lequel elle transfère sa demande après la découverte de la castration maternelle. Mais, à entrer dans la loi supposée universalisante du Père idéalisé, elle fait l'expérience qu'il n'y a pas le trait d'identification féminine dans lequel se résoudrait son Œdipe. Ce trait qui ne cesse pas de ne pas s'écrire au cœur de l'Œdipe dévoile la limite de la métaphore paternelle, ce qui laisse la fille dans une forme de déception / persistance de la demande d'amour.

C'est pourquoi la sortie de l'oedipe demeure problématique, risquant de plonger la fille dans une revendication infinie d'amoureuse blessée, ou dans un renoncement mortifère ou encore de la renvoyer à ses premiers amour pour la mère.

Tel est le réel que Freud a cerné, quant à la sexualité féminine.

Que Freud en soit resté là nous met cependant sur la voie où il s'agit de frayer de nouvelles avancées. Ainsi, ce qui résiste à s'élaborer dans le savoir, la logique permettrait de le cerner.

Cette façon de prendre au sérieux aussi bien les avancées que les points de butées de la théorie de Freud est celle qui a inspiré Lacan dans l'écriture de ses formules de la sexuation : si la fonction phallique est bien la référence commune aux deux sexes, le mode de s'y rapporter relève de logiques différentes qui rendent impossible l'écriture d'un rapport complémentaire entre les sexes. Mais, ces formules qui écrivent logiquement la limite de l'empire du phallus, ouvre l'espace, du côté féminin, d'une jouissance non limitée par le signifiant que Lacan spécifie comme jouissance Autre dont il fait une part supplémentaire de la jouissance féminine. Cette jouissance Autre, certes, on la déduit logiquement, mais on ne peut que la supposer puisqu'elle n'est pas dans la dépendance d'un signifiant qui lui soit propre.

Depuis la construction par Lacan des paradoxes de la logique de la sexuation à partir des quantificateurs universels, on trouve, certes, un certain nombre de travaux ont vu le jour. Cependant, le travail théorique tant sur la différence des sexes que sur le féminin n'a pas fait l'objet d'une recherche systématique, laissant en l'état la question du " pas-tout " comme celle de l'Autre jouissance, même si ça et là, ponctuellement, des colloques, des publications, des séminaires témoignent de ce qu'elles continuent à mettre au travail un certain nombre de psychanalystes. Il est ainsi remarquable que les lectures critiques qui ont été faites de cette avancée de Lacan proviennent davantage du champ de la philosophie que du domaine de la psychanalyse.

De même, l'absence des psychanalystes est particulièrement notable dans le grand débat sur les nouveaux rapports homme/femmes qui anime notre fin de siècle. Pourtant, les bouleversement introduit par le brouillage des rôles dévolus à chaque sexe du fait de l'entrée des femmes dans les domaines jusque là réservés aux hommes entraînent des conséquences, notamment sur le plan familial et libidinal que l'on commence à peine à entrevoir.

Que la plupart des psychanalystes traitent cette problématique avec une certaine négligence est, assurément, symptomatique de la difficulté de la question mais cela témoigne aussi d'un manque d'intérêt, voire d'une suspicion à l'égard des travaux menés dans d'autres pratiques et champ de pensée tels les " études féminines ", aujourd'hui en pleine expansion, faites principalement par des historiennes, des sociologues et des philosophes femmes.

De même, le courant des " gender studies ", venu d'outre atlantique, pour lequel l'appartenance à un sexe relève d'une construction sociale et culturelle acquiert aujourd'hui de plus en plus d'influence notamment dans les théorisations qui supportent les revendications des mouvements gay et lesbiens.

De plus, il est dommage que les psychanalystes femmes, (le plus souvent de l'IPA, dont certaines se sont distinguées dans le combat féministe) lorsqu'elles se sont fait entendre sur la question du féminin, ont majoritairement entretenu une confusion, problématique tant pour la conduite des cures que pour l'avancée de la théorie analytique, entre le féminin et le maternel. Cette confusion a pour résultat de rabattre la question du féminin sur une problématique " transmission " de la féminité par la mère, laquelle, tout en ayant donné lieu à bon nombre d'élaborations, n'a fait, in fine, qu'égarer la question posée dans l'abîme insondable et trompeur de l'originaire.

Pourquoi, aujourd'hui, la création d'un lieu de recherches et de débats : psychanalyse et féminin?

La situation précédemment décrite montre qu'il est urgent de favoriser un lieu de débats et de recherches sur le féminin qui permettent également aux psychanalystes et à tous ceux qui le souhaitent de trouver un réseau de travail.

Asphère n'est donc pas une association de psychanalyse même si ce lieu est animée par des psychanalystes au départ.

Asphère ne propose ni formation ni habilitation ni nomination.

Ses buts sont de permette une confrontation des différentes théories que suscite le féminin dans le champ de la psychanalyse et ailleurs, de produire de nouvelles élaborations qui tiennent compte de la clinique analytique, de faire avancer la réflexion sur des questions cruciales touchant aussi bien à la conduite des cures qu'aux enjeux de société actuels, bref, de relancer le débat autour du féminin

La psychanalyse a des éclairages et des contributions à produire dans ces domaines, par exemple en apportant au débat les précisions d'ordre théorique sur la conception freudienne du féminin dans l'après-Lacan. En effet, par son mode de questionnement, ses élaborations se distinguent radicalement des autres types d'approche. Mais elle a aussi à prendre en compte et à se laisser enseigner par ce que d'autres, engagés dans des pratiques et des champs de pensée différents, ont pu élaborer.

La journée d'ouverture qui aura lieu à Paris, le 13 janvier 2001, sur le thème : la différence, l'inconscient et le féminin, sera l'occasion de dégager et de proposer différents axes, théoriques, cliniques et clinico-sociaux qui feront l'objet de recherches et de débats dans Asphère. Entre autres :

  • l'accès au féminin : invention ou transmission ?
  • le désir au féminin : féminité et maternité
  • le féminin dans la psychose
  • questions actuelles autour de la paternité
  • sexualité et sexuation
  • le phallus et son au-delà
  • les jouissances et la jouissance féminine
  • féminin et lien social
  • le différend des sexes : enjeux psychanalytiques et enjeux de société

Les personnes que ce projet intéressent et qui souhaitent y participer peuvent dès à présent se faire connaître auprès de l'un des organisateurs du colloque1 ou adresser leurs propositions (séminaires, groupe de recherches sur une question théorique, à partir d'un travail commun avec des intervenants dans d'autres champs ou d'une pratique institutionnelle, lecture et traduction de textes de référence, etc.) à Asphère, 15 rue Rambuteau, 75004 Paris, ou asphere2001@hotmail.com.

Un bulletin de liaison informera des activités et des différentes propositions de travail qui y seront faites.