Association Internationale d’Histoire de la Psychanalyse : Le statut et les réglementations de la psychanalyse en EuropeParis, 10 Février 2007

ACTUALITÉ DE LA PSYCHANALYSE

Colloque de l'Association Internationale de l'Histoire de la Psychanalyse

Le statut et les réglementations de la psychanalyse en Europe

Paris, 10 Février 2007

Cette rencontre avait pour objectif d’être un temps réflexif en commun à partir des travaux menés par les diverses sociétés psychanalytiques en Europe, en vue de tenter d’apporter une réponse argumentée à la volonté des pouvoirs publics de réglementer l’exercice de la psychanalyse. Il ne s’agissait pas tant de formuler de nouvelles propositions, mais d’analyser, d’un point de vue critique et historique, celles qui ont été préconisées, de faire le point de nos différences, voire de nos divergences, face à une interrogation partagée. Et de s’interroger aussi bien sur les dimensions historique, sociologique, politique, et anthropologique, qui peuvent permettre de rendre compte des différentes solutions qui ont été trouvées, que sur les reconfigurations internes des relations entre les Ecoles de psychanalyse dans les différents pays auxquels la menace commune d’une perte identitaire a pu ou non conduire. Tout cela dans la perspective d’une « évolution européenne ».

La journée s’est divisée en deux temps :

- le matin : autour de la situation en France ;

- l’après-midi, autour de celles dans d’autres pays européens. Je n’en rapporterai ici que les grandes lignes, sans pouvoir en retenir les détails historiques précis, pourtant essentiels pour la réflexion. Cette journée fera l’objet d’une publication, soit en livre, soit dans Topique.

En France…

Comme l’a souligné S. de Mijolla dans son introduction, cette question de la réglementation de la psychanalyse oblige les psychanalystes à dépasser leurs obédiences respectives pour tenter de s’entendre sur ce qui leur est commun. Il n’y a pas de réglementation (ensemble des dispositions prescriptives) de la psychanalyse sans réflexion sur son statut … et sur son essence. L’histoire nous donne un recul critique, et comparatif, sur la façon dont les différents Etats de l’Europe ont traité (du dehors) la redoutable question de la profession de psychanalyste.

De ce point de vue, en France, l’Etat ne reconnaît pas la psychanalyse. La psychanalyse n’y est reconnue juridiquement, comme une activité professionnelle à part entière, que de façon négative (biais de la jurisprudence, en cas de procès, ou celui de la question de l’exonération de la TVA) et par des règles associatives. Cependant nul n’est obligé de s’associer. Et les associations peuvent se multiplier librement. Aussi renvoyer cette question aux associations psychanalytiques ne fait que déplacer le problème. Or le refus, par les psychanalystes, de la réglementation de la psychanalyse par l’Etat tient, non à du corporatisme, mais à l’essence même de la psychanalyse et à son rapport au collectif. Il n’y a, à ce sujet, pas de réponses, seulement des questions.

Michelle Moreau Ricaud a ensuite abordé, autour la question : « Profession psychanalyste ? », des points d’histoire : le procès pour charlatanisme intenté à Reik en 1925 et, en France, les procès envers des non médecins exerçant la psychanalyse. Jusqu’en 1978, tous les psychanalystes non médecins exerçant en France sont hors la loi : c’est dans l’affaire Auscher, où il y a relaxe à partir de la défense de la pratique psychanalytique comme « activité d’éducation spécialisée », que le mot « psychanalyste » apparaît pour la première fois dans un texte législatif réglementaire. Désormais la psychanalyse laïque a droit de cité. Mais le problème s’est reposé à propos du statut de psychothérapeute et de psychanalyste. Or, si la réglementation des activités professionnelles semble être un mouvement inéluctable dans la politique européenne, a-t-on besoin de plus de réglementation ? M. Moreau Ricaud a terminé son intervention par le souhait que le Groupe de contact continue à parer aux risques de dérive et à promouvoir l’analyse laïque.Nicolas Gougoulis, pour sa part, a axé son riche exposé historique sur une comparaison entre l’histoire des rapports de la psychanalyse avec l’Etat et celle des rapports de la médecine avec l’Etat. La psychanalyse s’est démarquée de la médecine mais elle en vient (le Docteur Freud). La médecine, avant elle, a été obligée de penser ses rapports à l’Etat (cf. la médecine hippocratique qui voulait se démarquer de la médecine sacrée). L’Etat ne s’intéresse à la psychanalyse que dans la mesure où elle joue un rôle dans son système de santé mentale.

Jacques Sédat, enfin, a retracé, avec une très grande précision et connaissance (et pour cause !), l’histoire, depuis 1977, des regroupements de psychanalystes de différences obédiences en vue de réfléchir et de jouer un rôle auprès de l’Etat sur les questions de statut et de réglementation - parallèlement à un historique des propositions et législations étatiques - en lien avec la question du statut des psychothérapeutes. Il s’est ensuite centré sur la genèse et l’histoire du Groupe de contact, constitué comme interface avec les pouvoirs publics, à partir d’un groupe de travail constitué en 1997 pour une confrontation clinique entre SPP et lacaniens. Il ne s’agit pas d’une entité organique : chaque association (12) y conserve sa liberté. En 2001, une lettre rédigée par Jean Cournut (SPP), signée par tous les membres du Groupe de contact, sauf l’APF, lançait aux pouvoirs publics un avis de prudence , leur demandant de maintenir la psychanalyse en dehors de la réglementation de la psychothérapie. En février 2007, dans un texte de loi voté par le Sénat, la psychanalyse sort du champ des psychothérapies et gagne ainsi son autonomie comme profession. C’est une date historique.

La matinée s’est terminée par une riche discussion, essentiellement axée autour de la situation et des enjeux actuels, dont j’ai retenu quelques points :

-1- Plusieurs précisions sont apportées :

- Le Groupe de contact ne représente pas l’ensemble des psychanalystes (l’Ecole de la Cause freudienne, entre autres, n’en fait pas partie, ni les psychanalystes qui ne font pas partie d’une association).

- L’enjeu économique, financier, de la question : la formation dans les entreprises est « phagocytée » par les sectes.

- L’évolution du rôle de l’Etat, qui essaie de tout réglementer, par rapport à la médecine. Cf B.Kouchner et la loi de 2002 qui introduit la notion de « consommateur » et de sa protection. Or le partenaire du consommateur est maintenant l’internet …

-2- Sur le plan juridique, le texte de février 2007 (introduit en « cavalier parlementaire ») est du domaine réglementaire (et non législatif) : il peut être attaqué pour inconstitutionnalité. Et, sur le fond, des psychanalystes vont se retrouver dans des commissions pour l’autorisation du titre de psychothérapeute. N’y a-t-il pas contradiction à soutenir une extériorité par rapport au monde de la psychothérapie, et à être en position de pouvoir par rapport à ce monde ?

-3- La loi exclut les psychanalystes du titre de psychothérapeute mais ne leur donne pas un statut. N’y aurait-il pas avantage à en avoir un ? La question de la « protection » du titre de psychanalyste est soulevée : n’importe qui peut créer une association psychanalytique et avoir un annuaire. Faut-il un contrôle ? Peut-être(,) mais qui doit l’exercer ? L’Etat ou un autocontrôle ? Le problème n’est donc pas réglé pour la psychanalyse.

Nous sommes dans cette situation paradoxale où nous nous réjouissons de ne pas être protégés. Or ce paradoxe nous fait penser : ce que nous perdons d’un point de vue corporatiste, nous le gagnons en intelligence de ce que nous faisons. Du moins nous pouvons l’espérer !

L’après-midi, il fut question de l’Europe :

En Belgique…

Sylvain Gross nous a présenté la situation en Belgique, à partir du paysage analytique dans ce pays : la confrontation entre deux cultures (anglo-saxonne et latine) et des projets législatifs portant sur cette question, en apportant deux précisions : pour le moment, il n’y a pas, en Belgique, de réglementation sur l’exercice de la psychothérapie et de la psychanalyse et des élections législatives auront lieu en juin 2007. Pour les détails, je renvoie au site internet « squiggle.be » (très intéressant de manière générale). Je ne retiendrai ici que l'avant-projet Demotte (socialiste) qui prévoit d'habiliter trois catégories de professionnels « à exercer de façon autonome en matière de santé mentale » :

- les psychiatres, neuropsychiatres ou pédopsychiatres ;

- les cliniciens et les diplômés universitaires en psychologie, sexologie ou pédagogie clinique ;

- les psychothérapeutes qui ne sont pas forcément universitaires mais qui ont au moins suivi une formation complémentaire agréée et peuvent se prévaloir d'une pratique clinique de trois ans au moins (les psychanalystes qui ne sont ni psychiatres ni psychologues, les logopèdes, les psychomotriciens, les conseillers conjugaux, certains assistants sociaux...).

Le texte prévoit aussi d'instituer un Conseil supérieur des professions de la santé mentale qui pourrait accorder des dérogations à certains psychothérapeutes qui ne répondent pas strictement aux critères légaux.

Ce projet ne prend nullement en compte la spécificité de la psychanalyse : les analystes profanes y deviennent des « assistants en santé mentale », médicalisés.

Face à ces propositions législatives, deux regroupements se sont créés : la Plateforme des Psychothérapeutes, qui est devenue la Plateforme des Professions de la Santé Mentale et, en février 2005, la Fédération des Associations Belges de Psychanalyse (FABEP), dont - fait unique et admirable ! - sont partie prenante, au départ, toutes les associations belges de psychanalyse (cf la devise de la Belgique : « L'union fait la force. »). L’objectif de la FABEP est d’affirmer la spécificité de la psychanalyse et de se constituer en interlocutrice des pouvoirs publics en ce qui concerne la psychanalyse. Il n’est désormais plus possible de faire partie à la fois de la Fédération des psychothérapeutes et de celle des psychanalystes. Face à l’avant-projet Demotte, il y a actuellement, dans la FABEP, trois positions :

- une position hygiéniste, qui se prononce pour ce projet de loi : la psychanalyse est une psychothérapie ;

- une position hygiéniste éclairée (ou « léniniste ») : pour un collège spécifique pour les psychanalystes, à l’intérieur du projet ;

- la psychanalyse ne doit pas rentrer dans le projet.

En Italie…

Puis Maria-Clara Lucchesi-Palli nous a présenté la situation en Italie, où la psychanalyse est réglementée par une loi (loi Ossicini de 1989) qui ne mentionne pas le mot « psychanalyse », ni celui de « psychanalyste ». Ce paradoxe vient du refus absolu des psychanalystes de négocier avec l'Etat. Le résultat en a été plutôt l'exclusion que l'autonomie souhaitée. La psychanalyse est implicitement incluse dans cette loi sous le chapeau de l'activité psychothérapeutique mais elle est juridiquement inexistante comme profession. La loi fait uniquement référence à la « profession de psychologue », en fixant les conditions nécessaires à son exercice : avoir obtenu un certificat par un examen d’Etat et être inscrit à l’Ordre des psychologues, créé par la même loi. Pour être admis à passer cet examen d’Etat, il faut avoir obtenu le diplôme universitaire et avoir effectué un an de stage. Mais cela ne suffit pas pour exercer ce que la loi appelle « l’activité psychothérapeutique », pour laquelle elle exige une « formation professionnelle spécifique » - après avoir obtenu le diplôme de psychologue ou bien de médecin – auprès d’écoles de spécialisation reconnues par l’Etat. Ces cours doivent durer minimum 4 ans avec un minimum de 500 heures par an. La loi n’exige pas, par contre, une analyse personnelle. Très nombreuses sont maintenant les écoles agréées (plus de 300), selon des critères plus formels que de contenu.

Les principales sociétés psychanalytiques ont ainsi été amenées à se faire reconnaître par l’Etat en tant que écoles de spécialisation en psychothérapie. Par exemple, la SPI (affiliée à l’IPA) a créé l’Institut National de Training, rentrant dans le cadre législatif, mais dont le règlement fait uniquement référence à la psychanalyse. Elle n’admet de candidats que ceux inscrits à l’ordre des psychologues ou à celui des médecins. Cela a généré une bureaucratisation – et un allongement - de la formation (notion de bon élève, échéances normalisées). Et les psychanalystes, aussi bien que les psychothérapeutes, dépendent donc de deux ordres différents et donc de deux ministères différents (Santé et Université).

Une partie des groupes lacaniens et jungiens ont fait le même choix de compromis, tandis que d’autres ont choisi de ne pas demander l’autorisation ministérielle, en soutenant l’exclusion de la psychanalyse de ce que la loi appelle « l’activité psychothérapeutique » et en assumant le risque d’une confrontation avec la loi. Le débat est ainsi déplacé dans les instances juridiques qui sont appelées à répondre aux plaintes portées pour abus de l’exercice de la profession. Or l’omission de la loi rend discrétionnaire l’action des conseils de l’Ordre, différents suivant les régions.

De plus les enjeux économiques sont importants, non seulement avec l’obligation de fréquenter des écoles de formation - payantes - mais aussi du côté du remboursement par les assurances des factures de séances de psychothérapie analytique.

Pour terminer, M.C.Lucchesi-Palli a évoqué la question de l’harmonisation des normes européennes avec la législation nationale et l’opportunité d’une harmonisation européenne du rapport de la psychanalyse à la loi.

Est évoqué, par ailleurs, l’exemple anglais de la Rugby Conference, qui a abouti à un accord commun entre les différentes associations psychanalytiques, permettant une confrontation avec les exigences de l’Etat tout en assumant une auto-définition à l’abri des ingérences de l’Etat (reconnaissance par des contrôles croisés menés sans discrimination par les associations elles-mêmes).

En Allemagne…

Claus Dieter Rath nous a ensuite présenté la situation en Allemagne, où le titre de psychanalyste n’a jamais été reconnu ni protégé, mais où il va de soi, pour le législateur, que la psychanalyse fait partie de la psychothérapie. Il y a aujourd’hui environ 30.000 psychothérapeutes, dont 5000 psychanalystes. Depuis 1967 existe un contrat avec les Caisses de maladie (associatif) : l’analyste est directement payé par la Caisse de maladie, sous réserve que le traitement soit accepté par l’expert de la Caisse (maximum 300 séances, rapports à faire). En 1969 la névrose a été reconnue en tant que maladie. Et, depuis 1999, les psychologues peuvent recevoir directement des patients (après les séances probatoires, il faut prendre l’avis d’un médecin pour exclure une maladie somatique). Les méthodes psychothérapeutiques actuellement reconnues sont : la psychologie des profondeurs, la psychanalyse et la psychothérapie cognitive. Pour la formation, il faut avoir, à la base, une formation en médecine, psychologie ou pédagogie (suffisante pour travailler avec des enfants). Les instituts de psychanalyse ont intégré cela. Certains instituts (à Francfort, par exemple) acceptent en formation des personnes sans passer par la reconnaissance de l’Etat. Mais alors il n’y a pas de remboursement des séances. En 1967, il y eut conflit entre psychanalystes autour de la question du financement par les Caisses de maladie mais plus en 1999 : l’acceptation a donc été progressive. Il existe, en Allemagne, une longue histoire de l’Etat social (dès Bismarck). Par ailleurs, il faut recouper l’ histoire du statut de la psychothérapie avec la loi sur l’exercice de la « Science de la Guérison » : on peut facilement acquérir le titre de Heilpraktiker (14.000) si l’on a un diplôme de psychologue (mais alors, pas de remboursement par les Caisses).On peut certes parler de reconnaissance indirecte du titre de psychanalyste mais sous deux conditions : la psychanalyse doit s’intégrer dans le cadre des psychothérapies et elle doit être « scientifiquement » reconnue. Or la « reconnaissance scientifique » est sujette à variations …

En Suisse…

La situation en Suisse est superposable à celle de l’Allemagne, à ceci près que les méthodes reconnues sont la psychothérapie analytique, la thérapie systémique familiale et la psychothérapie comportementale. Et, à l’heure actuelle, il y a une remise en question liée à l’économie.

En Espagne…

Enfin Roberto M.Goldstein nous a présenté une situation peu favorable à la psychanalyse en Espagne, où le mot de « psychanalyse » n’apparaît dans aucune réglementation officielle. La psychanalyse y est méprisée par l’establishment psychiatrique (les services de psychiatrie à orientation dynamique ont pratiquement disparu) et bannie de l’Université. Les psychanalystes qui ne sont ni médecins ni psychologues ne peuvent exercer que dans une semi-clandestinité. Il y a dix ans, la Fédération Espagnole des Associations de Psychothérapie (FEAP) a créé un diplôme de psychothérapeute, qui n’est pas reconnu par l’Etat. Cette situation hérite de quarante ans de franquisme, et des attitudes contre-réformistes (poids de l’Opus Dei) et baroques (culte de la façade, de l’apparence).

La discussion générale de la fin de journée a repris celle de la matinée, en l’enrichissant des apports de l’après-midi, et en y ajoutant une réflexion sur la question d’une société multiculturelle. Il fut aussi souligné que, derrière l’Europe, il y a l’Organisation Mondiale de la Santé … et l’Organisation Mondiale du Commerce, donc des enjeux majeurs. Il semble très difficile de faire avancer les choses au niveau de l’Union européenne en raison des cultures et des histoires différentes : les pays anglo-saxons accepteraient plus facilement que les pays latins une réglementation d’Etat.

Françoise Francioli