- Œdipe
- Prix
- Vidéos
- Lire
- Actualités
- Critiques
- Dossiers
- Grande traversée - Moi, Sigmund Freud
- Lettre de démission de l'Ecole Freudienne de Paris J. Favret-Saada
- Hyperactivité de l'enfant
- Loi du 5 juillet 2011 : interview
- Décrets relatifs à l'usage du titre de psychothérapeute
- L'affaire Onfray
- Mai 68 : sommaire
- Dossiers Interview de jacques Sedat à propos de la parution des travaux de François Perrier
- Le cas 'Richard'
- Chronologie
- Autisme et Psychanalyse
- Colloque : « Du Séminaire aux séminaires. Lacan entre voix et écrit »
- Documents concernant Jacques Lacan
- Livres de psychanalyse
- Revues de psychanalyse
- Newsletters
- Enseignements
- Adresses
- Questions
- Loisirs
Pour une défense des Centre Médico-psychologiques
Pour une défense des Centre Médico-psychologiques
PETITION POUR LA DEFENSE DES C M P
ET DE LA PSYCHIATRIE DE SECTEUR
Le commentaire qui suit est proposé à titre de développement de l'argumentaire de la pétition pour les CMP parue sur ce site
L'auteur de ces lignes n'est pourtant pas spécialement informé de la politique générale de santé mentale, pas plus qu'il ne dispose d'une vue d'ensemble sur la situation actuelle des centres de consultation, laquelle admet vraisemblablement une variation importante d'un établissement à l'autre, d'une implantation à l'autre selon qu'elle est urbaine ou rurale, ainsi que d'une région à l'autre
En effet, comme la plupart des cliniciens préservés des responsabilités administratives, il est avant tout absorbé par son exercice au quotidien, y compris le travail de recherche indissociable de la pratique clinique
Bref, il ne lève guère les yeux du guidon, et lorsqu'il vient à le faire c'est pour constater avec effarement que le paysage alentour est bouleversé : le cadre dans lequel il situait son action, tenu à tort pour une évidence, est en passe de se disloquer
Car ce champ de pratique sociale ne se réduit pas au seul dispositif institutionnel, il est orienté politiquement : par les idéaux républicains qui ont conduit l'action publique à la suite du Front Populaire et au sortir de la Libération
Ce champ est orienté également par une éthique professionnelle subversive à l'égard du « cléricalisme positiviste » déjà brocardé au siècle passé par les tenants d'une psychiatrie humaniste, à peine affranchie de l'aliénisme et déjà éclairée en psychanalyse *1
Or actuellement cette double orientation est en passe de dégradation et de reniement
De quelque façon donc, et comme bien d'autres, le rédacteur de cet article est un de ces héritiers naïfs ou insouciants qui ne réalisent vraiment ce qu'ils doivent au combat inventif de leurs aînés que lorsque tout menace de disparaître de ce qui valait comme cadre naturel de leur pratique et condition de sa possibilité
On voudra donc bien lui pardonner les erreurs, inexactitudes ou approximations de cet essai, et se reporter à la documentation citée plus loin pour référence
Du dispensaire d'hygiène mentale au CMP
L'appellation de Centre Médico-Psychologique est relativement récente puisqu'elle date officiellement de 1986, introduite par arrêté ministériel
Avant cette date les textes législatifs et réglementaires dans le domaine dit de la santé mentale concernaient encore les « Dispensaires d'Hygiène Mentale », dont l'appellation désuète ne doit pas nous faire oublier la générosité d'intention
Institués en 1937 ceux ci ne prennent vraiment réalité qu'après la guerre
C'est donc sous ce terme là que sont d'abord désignés les lieux extra hospitaliers de consultation et de traitement ambulatoire en psychiatrie, sur lesquels repose la politique de sectorisation psychiatrique tardivement consacrée par la loi du 25 juillet 1985, mais déjà formalisée par voie de circulaire ministérielle vingt cinq ans au par avant, à partir d'expériences effectives
Car en fait les pionniers de la psychiatrie de secteur font remonter dès après la guerre les premières réalisations concertées de déségrégation, proximité et continuité des soins hors les murs de l'hôpital
Ne disposant pas encore de locaux spécifiques, c'est dans les Dispensaires d'Hygiène Sociale (jusqu'alors dévolus à la lutte contre la tuberculose et l'alcoolisme, ainsi qu'à la médecine préventive) que sont alors hébergées les premières équipes itinérantes venues de l'hôpital psychiatrique, parfois réduites au médecin et à l'infirmier psychiatrique, plus tard rejoints par le psychologue avec l'introduction de cette nouvelle profession en psychiatrie, ainsi que par l'assistante sociale, et la secrétaire médicale, puis par les rééducateurs et l'éducateur spécialisé lors de la constitutions des équipes de secteur psychiatrique infanto-juvénile,
Cependant lorsque la loi de 1985 vient finalement consacrer la politique de sectorisation psychiatrique, elle en modifie aussi le mode de financement et en freine l'expansion croissante
C'est en effet dans le cadre d'une enveloppe budgétaire globale que les hôpitaux devront désormais financer l'activité de secteur, qui ne bénéficiera plus de la dotation distincte qui en encourageait puissamment le développement jusqu'alors
L'heure est à la rationalisation des choix budgétaires et au fonctionnement à moyens constants
De fait, les mesures de réduction drastique du nombre de lits d'hospitalisation engagées à la même époque ne suffiront pas à dégager les ressources propres à compenser une insuffisance des moyens du secteur qui apparaîtra bientôt, eu égard à une demande croissante à son endroit
Si le redéploiement des moyens peut bénéficier dans un premier temps aux visites à domicile qui se multiplient nécessairement ainsi qu'à l'encadrement des structures dites intermédiaires (centre de post-cure, hôpital de jour, appartement thérapeutique, club, CATTP…) assurés par les infirmiers spécialisés en psychiatrie, ce n'est pas le cas par contre dans la même mesure pour les consultations extra-hospitalière des Médecins et des Psychologues
Les listes d'attente apparaissent bientôt en CMP et ne cessent de s'allonger jusqu'à atteindre aujourd'hui des délais insupportables : six mois ou un an d'attente avant la première consultation de pédopsychiatrie, par exemple
Et cela en dépit des tentatives d'ajustement des professionnels concernés : heures supplémentaires non comptabilisés le plus souvent, réduction des durées ou des fréquences de prise en charge, instauration périodique de consultations d'attente, etc…
Bref, la politique de secteur est dépassée par son succès : elle visait à la fois la déségrégation asilaire au bénéfice des patients anciennement hospitalisés ainsi qu'au bénéfice des nouveaux arrivants, et à déstigmatiser la consultation en psychiatrie pour la population générale
Mission accomplie mais succès paradoxal puisque d'une part la raréfaction des lits d'hospitalisation ne permet plus guère de réaliser des hospitalisations dans de bonnes conditions, en laissant du temps au temps, et sans pénalisation des récidives
D'autre part la facilité d'accès au lieux d'accueil désignés pour les troubles mentaux est effective, mais les consultations demandées ne peuvent plus être assurées à hauteur du nombre des démarches cependant pertinentes
D'où déjà l'instauration de filtres, effectifs dans nombre de CMP via les protocoles bureaucratiques d'accueil évaluation et orientation de la demande, sous couvert de service qualité obéissant aux recommandations de bonne pratique édictées par l'Agence Nationale d'Evaluation et d'Accréditation en Santé (ANAES)
D'où demain la prescription standard des conduites à tenir selon nomenclature de pathologies normées et échelle comparée de performance des diverses thérapies, dans une perspective de rationalisation des dépenses
D'où suivra l'allocation de ressources aux établissements psychiatriques en fonction de leur bonne activité recensée, via le Programme de Médicalisation des Systèmes d'Information appliqué à la psychiatrie (PMSI- PSY)
…Que Boris Vian nous permette de le mêler à cette affaire, lui empruntant pour l'occasion l'enseigne sous laquelle il lui est arrivé de faire l'ingénieur : « Association Française de Normalisation »
Guide de bonne pratique
Rappelons ici simplement que l'ANAES est en charge de conduire la procédure obligatoire d'accréditation de l'ensemble des établissement de santé, avec pour objectif de s'assurer qu'ils « développent une démarche d'amélioration continue de la qualité et de la sécurité des soins délivrés aux patients » (comme indiqué en préambule du premier manuel d'accréditation des établissements de santé) *2
Comme chacun sait la démarche qualité est issue du monde de l'industrie aux USA, visant au contrôle qualité de la production ainsi que des procédures de production dans une perspective de gestion participative de l'entreprise
Elle a ensuite été appliquée à des établissements hospitaliers aux USA toujours, sur initiative des professionnels eux-mêmes et non pas de l'administration, dans l'optique d'une nécessaire amélioration du fonctionnement et de la qualité des soins, pour ne pas parler d'une urgente opération de sauvetage en cette occurrence
Personne ne niera que la transposition de cette démarche puisse être utile pour ce qui est de l'infrastructure industrielle d'un établissement de santé, sa logistique, la veille de sécurité, ainsi que pour les protocoles techniques et méthodologiques supportant les traitements
Cependant l'activité hospitalière ne se ramène pas à celle d'une entreprise de production, combinant et enchaînant une série d'actes selon des procédures standard en vue d'un résultat prédictible, toutes variables pertinentes étant admises dans ce calcul
Ainsi le ravalement de la médecine hospitalière à une entreprise de production de soins est-elle non seulement abusive mais injurieuse à l'égard des soignants comme des patients
Quant à l'assimilation de la psychiatrie à une médecine elle-même réduite à sa technologie, seul le rire de l'absurde se ferait ici entendre si n'était l'indignation et le refus de la déprédation, comme démontré sous plusieurs angles d'approche lors des états généraux de la psychiatrie à Montpellier l'été dernier *3
Nous n'en retiendrons donc ici qu'un aspect très limité mais exemplaire, qui intéresse directement l'avenir du CMP pour partie de son activité à considérer seulement ce qui se profile d'une normalisation des psychothérapies à partir des recommandations de l'ANAES (dont on se souvient qu'elle était appelée à contribuer à la réglementation des psychothérapies dans le texte initial de l'amendement Accoyer)
Et nous prendrons pour échantillon l'une des publications de l'ANAES « prise en charge d'un épisode dépressif isolé de l'adulte en ambulatoire » (rapport et recommandations) d'où il ressort que l'ANAES n'a pas attendu le récent rapport pseudo scientifique de l'INSERM sur l'efficacité comparée des différentes psychothérapies (dont la psychanalyse par assimilation) pour engager une promotion active des thérapies cognitives et comportementales
En effet si le modèle psychanalytique y est présenté aux cotés des trois autres principaux modèles explicatifs et thérapeutiques (en l'occurrence : interpersonnel , comportemental, et cognitif) il est indiqué que seuls ces trois là ont fait l'objet d'études comparatives contrôlées avec les antidépresseurs et/ou d'autres formes de thérapie, si bien qu'ils occupent au final une place de choix dans l'ensemble du rapport
On ne précise évidemment pas que les modèles qui ont fait l'objet d'études à prétention scientifique sont ceux qui s'y prêtent spécialement bien du fait qu'ils partagent les mêmes présupposés avec la prétendue méthode de leur évaluation
D'autres modalités de prise en charge sont également mentionnées (psychothérapie de soutien et psychothérapie psychodynamique, thérapies conjugale et familiale, de groupe, et par résolution de problèmes, ainsi qu'une démarche psychothérapeutique médicalisée qui serait impliquée dans la pratique médicale ordinaire)
Quant à l'approche psychanalytique, outre son évacuation du palmarès, la présentation réductrice de sa conception de la dépression (cf. P 16), ainsi qu'une restriction d'indication au seul registre névrotique (cf. tableau P.78) on notera qu'elle risque d'être d'autant moins recommandable que les TCC elles mêmes en dépit de leur efficacité passent ici pour être des techniques psychologiques sophistiquées (cf. P 78) hors de portée du médecin généraliste intervenant en première intention
On leur préférera donc des thérapies par résolution de problèmes et autres techniques comportementales simples, susceptibles d'utilisation courante, efficaces et économiques en termes de temps (5 mn suffisent en cours de consultation ) ainsi que la démarche psychothérapique médicalisée qui se distinguerait assez peu de la psychothérapie de soutien
Voilà donc pour le corps du rapport
Quant aux recommandations finales de bonne pratique clinique on observera que si elles sont graduées en fonction d'un niveau de preuve (de A à C par ordre décroissant) elles n'en font pas moins place à un critère d'accord professionnel (au sein du groupe de travail qui s'est penché sur la question) là où les études contrôlées font défaut
On notera d'ailleurs que bon nombre des recommandations pratiques élémentaires (relevant tant du bon sens que de l'expérience clinique) est validé par simple accord professionnel… faute d'étude scientifique et donc de preuves en leur faveur
En ce qui concerne précisément les stratégies thérapeutiques en ambulatoire, on relèvera qu'au terme de l'étude comparée de l'efficacité des antidépresseurs et de l'ensemble des psychothérapies en cas de dépression légère à modérée, la recommandation des antidépresseurs est de grade A, celle des psychothérapies cognitivo-comportementales est de grade B, celle des autres psychothérapies est de grade C, tandis que la psychanalyse bénéficie d'un accord professionnel (cf. III.3.1- P 9)
On soulignera par ailleurs l'absence de recommandation générale sur la fréquence optimale des consultations, pour l'instant, au motif justifié que chaque cas est trop particulier
De même on soulignera que la proposition de psychothérapie en première intention, dans les cas d'épisode dépressif léger, est faite en fonction de l'accessibilité de ce type de traitement et des préférences du patient
Autrement dit, les recommandations finales observent une certaine prudence, et ne reflètent pas exactement le privilège accordé aux TTC et à ses variantes simplifiées dans le corps du rapport
Cependant, il y a fort à craindre que ces nuances là ne vaillent que pour concession temporaire et disparaissent en cours d'application, ou par voie de recoupement ultérieur avec d'autres recommandations plus restrictives, soit disant éclairées par de nouvelles études à prétention scientifiques sur la question (cf. le fameux rapport INSERM) *4
Qui plus est, une lecture tendancieuse des recommandations est possible dès à présent qui ne retienne pour bonnes pratiques psychothérapeutiques que celles qui sont indexées d'un niveau de preuve suffisant quant à leur efficacité, tandis que la validation par accord professionnel passerait pour suspecte parce que non démontrée
C'est bien là que le cléricalisme positiviste menace de virer à l'intégrisme
Recueil d'information et allocation de ressources
Le programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI) est généralisé à l'ensemble des établissements hospitaliers publics ou faisant fonction de service public dispensant des soins de médecine/ chirurgie/obstétrique, avant extension aux établissements privées conventionnés
Il consiste en un système informatisé de recueil des données d'activité en vue d'un financement correspondant, au motif invoqué d'une plus juste répartition, et dans la perspective globale d'une optimisation de l'affectation des ressources au système de soins *5
Il implique donc un modèle de classification médico-économique auquel la réalité clinique est supposée s'ajuster
La référence avouée est celui de la gestion du Medicare, soit le système public d'assurance maladie restreint aux personnes âgées et aux handicapés outre-atlantique, dont on vient justement d'apprendre qu'une réforme en trompe l'œil va servir l'intérêt bien compris des assureurs privés
Quant au programme PMSI-PSY, celui ci procède d'une transposition au champ psychiatrique du modèle éprouvé en médecine/chirurgie/obstétrique (MCO) avec les protestations que l'on sait de la part des professionnels concernés (cf. grève de début d'année par rapport au financement à l'acte des établissements hospitaliers généraux effectif depuis janvier 2004)
Le PMSI-PY n'est encore qu'expérimental pour la psychiatrie sur quatre régions et un certain nombre d'établissements sous régime particulier ou volontaires
Un ajustement de la démarche est annoncé pour Juin 2004, avant généralisation de l'opération
Ce programme est censé effectuer un recueil de données correspondant aux actes de soins effectivement engagés au bénéfice des patients, les répertorier, les comptabiliser, et déterminer à partir de là l'allocation de ressources qui doit revenir à chaque établissement en fonction de son volume réel d'activité
Il procède par découpage d'un soin ou d'une intervention en séquences identifiables d'une procédure de travail, référée à tel patient, effectuée par telle et telle catégorie d'agent, à durée et effet prédictible, etc…d'où la détermination de son coût
Outre la restriction abusive des soins aux seuls actes techniques pour lesquels ce modèle serait adéquat, cette transposition procède encore une fois par assimilation de la psychiatrie à la médecine et de la médecine à la seule technique médicale
Et l'on voit assez mal en quoi la pratique quotidienne de psychiatrie de secteur pourrait être séquencée en un certain nombre d'actes techniques, ordonnancés selon un logigramme standard satisfaisant à l'esthétique bureaucratique
Comment coder en effet l'acte de l'infirmier, d'une durée inférieure à vingt minutes, lorsqu'il fait accueil à ce vieux schizophrène qui a intégré dans son circuit un passage quotidien par le CMP ? ou lorsqu'il reçoit par téléphone la plainte ou l'inquiétude d'un travailleur à domicile concernant un patient…etc ?
Comment attribuer respectivement à chaque patient lors des réunions cliniques les associations d'idées qui font passer de l'un à l'autre en cours d'élaboration, et comment comptabiliser précisément la dépense liée à chacun ?
Comment prendre en compte la participation du médecin responsable à un goûter d'anniversaire au CATTP, ou à une réunion des familles d'accueil thérapeutique ? ces actes là ne passeront-ils pas aux profits et pertes faute de rentrer dans les bonnes cases, ou parce que le temps de présence est inférieur à celui qui peut être retenu, ou parce qu'il ne peut être intégré au profil de soin d'aucun patient en particulier, étant destiné à tous…etc ?
Comment coder l'entretien par téléphone du psychologue avec un patient dans l'incapacité de se déplacer, ou le radioguidage par fraction de dix minutes effectué à l'improviste tout au long d'une semaine pour tel autre patient qui revient par étapes de l'autre bout de la France, ou cet accueil en personne de celui qui se présente physiquement pour prendre rendez-vous…etc ?
Il est évident en tout cas que ce programme de recueil d'activité va fonctionner à la façon d'un tamis assez grossier, qui ne retiendra de substantiel que ce qui aura été désigné d'avance et négligera les éléments les plus fins
Le problème est que le financement de la psychiatrie de secteur (dont le CMP constitue le pivot suivant la circulaire ministérielle de 1990 relative aux orientations de la politique de santé mentale) sera finalement fonction de cet enregistrement partiel d'activité, d'où un étranglement prévisible
Le problème est aussi que sous couvert d'une médicalisation des systèmes d'information en psychiatrie, c'est en fait une informatisation systématique de la pratique de soins en psychiatrie qui est introduite, et donc une mise à mort du sujet là où il pouvait espérer secours et trouver recours
Normalisation industrielle des pratiques de soins
Certes le CMP n'est pas spécifiquement concerné par une application du PMSI-PSY que d'aucuns y estimeraient impossible, de même que l'application du PMSI en psychiatrie pouvait être tenue pour invraisemblable
N'empêche que cela se fera, du fait de la fureur évaluatrice qui sévit dans le cadre de la généralisation européenne d'une classification médico-économique déterminant les budgets hospitaliers, et de son extension aux soins ambulatoires, hébergement, rééducation et psychiatrie (comme expressément annoncé dans la présentation officielle du MPSI- cf. chap. expériences étrangères)
Ce programme s'engagera comme annoncé et trouvera sûrement de zélés propagateurs parmi les responsables de service qualité, ou de département d'informatique médicale (DIM) , ainsi que parmi les cadres de santé, hélas, et chez bien d'autres encore pour qui les chiffres constitueront un efficace pare-feu à l'endroit de la confrontation clinique
Qui n'a pas déjà entendu dire que la psychiatrie serait plaisante si n'étaient les malades ?… propos de professionnel usé, cynique ou simplement lucide sur son propre égarement dans ce champ là
Et bien ce vœu est en passe de se réaliser par la virtualisation du patient numérisé, et la promotion des soins psychiatriques en technologie de rectification industrielle des écarts à la norme
Progrès faisant, voici donc venir en blouse blanche les tourneurs fraiseurs de la psychiatrie de précision, techniciens de contrôle, et ingénieurs de certification qualité
Organisation de la sous-traitance
Nous ne retiendrons ici du dit rapport Clery-Melin, et à titre indicatif, que ce qui concerne spécifiquement la pratique psychothérapeutique
A la faveur d'une promotion, le dénommé CMP-ressource-territorial administrerait selon ce plan la distribution des soins qualifiables en termes de psychothérapie auprès des divers acteurs du réseau de santé, sous la responsabilité d'un psychiatre-coordinateur
On rappellera utilement que feu l'amendement Accoyer - sous prétexte d'une lutte contre les sectes pourtant dotée des outils nécessaires - venait opportunément répondre à un vide juridique tout autre que celui invoqué Il permettait en effet d'inscrire formellement dans le Code de la Santé Publique la possibilité d'une sous-traitance de la psychothérapie des dits troubles mentaux, telle que profilée dans le rapport Clery-Melin (cf. titre I.1 - propositions I.01 à I.09) *Autant dire que la politique en question vise au démantèlement du service public de psychiatrie, bientôt réduit à une sorte de versant sanitaire de l'aide sociale, à contre courant d'une politique de secteur victime de son succès populaire à l'heure de le récession économique et de l'abandon de l'état providenceIl s'agit clairement de juguler une demande jugée inflationniste en restreignant délibérément l'offre, et d'alléger les coûts de fonctionnement du dispositif en transférant sur le secteur libéral conventionné la majeure partie de l'exercice...mais dans des conditions strictes d'encadrement (cf. nomenclature des pathologies et des actes appropriés, quantification des prescriptions, recommandations de "bonnes pratiques" etc)L'amendement Accoyer remplissait donc son office initial, sous réserve des modifications ultérieures de la réglementation du système d'assurance maladie (régime obligatoire et complémentaire) pour assurer la prise en charge financière des actes dits de psychothérapie
De fait, les compagnies d'assurance qui sont partie prenante de cette privatisation du service de santé, n'ont pas tardé à concocter des contrats de prévoyance ad hoc, et elles démarchent dès à présent les supposés psychothérapeutes patentés (dont les psychanalystes s'ils sont psychologue ou psychiatre) susceptibles de passer convention pour le nombre limité de séances garanti aux assurés
Les professionnels ainsi démarchés sont donc appelés à se faire les fossoyeurs du service public de consultation ouvert au plus grand nombre
Offensive idéologique à ciel ouvert
Signalons à titre illustratif que dans le champ médico-social - champ voisin recoupant partiellement celui de la dite santé mentale, particulièrement en pédopsychiatrie où les passerelles sont constantes - cette entreprise de normalisation peut s'exercer avec une tout autre brutalité, et par voie d'inspection administrative cette fois
Elle y apparaît alors à découvert, lorsque la passion gestionnaire se trouve disjointe d'un propos de rationalisation budgétaire, et s'en prend directement à l'orientation thérapeutique des institutions
On est alors très loin des nuances encore présentes dans les recommandations de bonnes pratiques évoquées plus haut dans le champ sanitaire
L'offensive est clairement idéologique, et vaut pour rappel de la mutation en cours : les troubles psychiques en général sont réduits à des handicaps d'adaptation susceptibles de rééducation, conformément aux directives de l'OMS *7
La chose est déjà entendue depuis longtemps en ce qui concerne le secteur dit médico-social, et gare à ceux qui y soutiendraient une orientation contraire, objectant à la forclusion du sujet dans le discours dominant
Ainsi pour exemple ce verdict de telle inspection conjointe de la DDASS-DRASS-CPAM (dans le cadre d'un programme pluri annuel de prévention de la maltraitance des personnes vulnérables) auprès d'un établissement pour enfants psychotiques et autistes, tout récemment :
« La mission n'a pas eu à suspecter ni à entendre parler de maltraitances physiques ou verbales envers les jeunes accueillis. Néanmoins elle estime que le projet institutionnel est maltraitant tant à l'égard des enfants que des familles »
En l'occurrence c'est l'orientation psychanalytique et institutionnelle qui est ainsi visée au titre de la violence que constituerait cette option thérapeutique univoque, quelques soient par ailleurs les dysfonctionnements effectifs qui ne peuvent être relevés
On notera en ce sens qu'un rapprochement avec le CHU est enjoint à l'établissement en question, de sorte à engager enfin des outils pragmatiques dans le traitement du handicap instrumental auquel se ramènerait évidemment l'ensemble des troubles du langage, notamment ceux des enfants autistes et psychotiques
Ce point particulier n'est pas sans évoquer l'encadrement de bonne pratique qui s'impose dès à présent aux orthophonistes et qui s'étendra prochainement aux autres professions intégrées au Code de la Santé Publique, soyons-en assurés
Pour confirmation si besoin était, il suffirait de se reporter au récent débat parlementaire portant adoption de l'amendement Dubernard sur les psychothérapies : en effet, la corrélation longtemps déniée de l'ex amendement Accoyer avec le plan Clery-Mellin y est cette fois formulée comme une évidence, et l'intention de normalisation des pratiques est à peine dissimulée par les défenseurs et abondeurs du texte
Dont acte
Décidément, le cléricalisme positiviste est plus que jamais à l'ordre du jour, porté à présent par un puissant mouvement de contre réforme qui vise à désoviétiser le système de protection sociale selon l‘optique des champions de l'ultra libéralisme économique
Animé pour son propre compte par la haine du désir quoiqu'il en méconnaisse, celui ci fournit à celui là un semblant de caution scientifique, offrant son couvert à une entreprise cynique de marchandisation du bien public*8, dont l'effet sera particulièrement assassin dans le domaine de la santé mentale
D'où l'indignation qui nous porte à une résistance active, toute suggestion étant bienvenue pour l'organiser
Voilà ce qu'engage pour sa part la pétition pour les CMP parmi d'autres appels dans le même champ, et bien au delà *9
Une documentation très fournie est accessible notamment sur les sites suivants :
1 « serpsy.org » nombreux articles, informations, pétitions psychiatrie, dont :
- « l'esprit du secteur » entretien avec Lucien Bonnafé, ainsi que ses articles
- « Un avenir pour la psychiatrie française ? analyse du rapport Clery-Melin… » par Guy Baillon
- « Rapport Clery-Melin : vers unes société compliante » par Nicole Koechlin
- « La défense du secteur est une question de politique de santé… » par Jean Vignes
2 « anaes.fr » présentation et publications (dont « prise en charge d'un épisode dépressif isolé de
l'adulte en cure ambulatoire »)
3 « eg-psychiatrie.com » nombreux articles de contribution aux 4 rapports, et articles ultérieurs, dont :
- « neurosciences en psychiatrie » et « contrôle technique ou la disparition de la pensée » par Yannick Cann
- « Psychiatrie: dans les filets de l'Etat de fait » par Y.M. Dusanter
- « Dangers du PMSI psychiatrique » par Claire Gekière
- « L'ANAES, Agence nationale de discrédit » par Sophie Bialek et Pierre Sidon
4 « techniques.psychothérapiques.org » portant parution du rapport INSERM sur les psychothérapies
(cf. également les fils de discussions de ce rapport sur le forum Accoyer-Mattéi /site Œdipe)
5 « le-pmsi.org » cf. présentation du pmsi, onglet pmsi-psy et dernières nouvelles du pmsi dont :
expérimentation en psychiatrie, guide du recueil complémentaire en psychiatrie, réunion d'information,
point d'étape…etc
« www.sante.gouv.fr »
- « plan d'actions pour le développement de la psychiatie et de la santé mentale » par P.Clery-Melin, V.Kovless, JC.Pascal
7 « psy-désir.com » informations générales et plusieurs articles dont :
- « changement de paradigme en psychiatrie : la santé mentale et le modèle social de la psychiatrie »
par Jacques Louys
[on pourra également se reporter aux articles et ouvrages suivants, en édition hors ligne]
8 « Etat d'urgence sociale » Martine Bulard, art. Le monde diplomatique, mars 2004
« Les casseurs de l'état social » Michel.Husson, éd. La découverte
« L'appel des résistants » par Lucie et Raymond Aubrac, Stéphane Hessel, Germaine Tillon, J-Pierre Vernant
in hebdo Les Inrockuptibles n°438 – 21 au 27 avril 2004 -
- Connectez-vous ou inscrivez-vous pour publier un commentaire