" La faiblesse du vrai. Ce que la post-vérité fait à notre monde commun" De Myriam Revault-d'Allonnes par F. Rousseau

Revault d'allonnes

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Compte rendu du livre de Myriam REVAULT D’ALLONNES :

« La faiblesse du vrai. Ce que la post-vérité fait à notre monde

commun ».

Ed. du Seuil Paris 2018

 

Myriam Revault d’Allonnes est professeur à l’école pratique des hautes études ; elle a déjà, entre autres, publié en 2006 aux Ed. du Seuil «: Le pouvoir des commencements. Essai sur l’autorité puis  L’homme compassionnel (2008), Pourquoi nous n’aimons pas la démocratie  (2010), La crise sans fin. Essai sur l’expérience moderne du temps  (2012). « Le miroir et la scène » (2016)

 

La post-vérité est une question qui enflamme les médias. Cette notion qui a été élue mot de l’année en 2016 par le « Oxford dictionnary » veut rendre compte de l’évolution des interactions entre médias et politique sous l’influence des réseaux sociaux.

Myriam Revault d’Allonnes distingue deux formes de vérité : la vérité rationnelle et la vérité de fait. La première relève du savoir scientifique. Depuis la condamnation de Galilée, elle n’interfère plus dans le champ politique… sauf quand Donald Trump parle du climat. La seconde désigne la réalité des faits qui se sont produits. C’est elle qui pose problème, car on constate que les faits tendent à devenir une simple opinion déconnectée de la réalité .

Depuis Platon et Aristote les philosophes s’intéressent à la tension entre la recherche de la vérité et la politique. En imaginant la figure du philosophe roi, Platon élabore une politique philosophique au nom du primat de la vérité. Aristote, quant à lui, introduit une distinction importante entre le vrai et le vraisemblable. Le vrai relève de la nécessité (c’est ce qui ne relève pas de l’action humaine : par exemple le mouvement des astres) alors que le vraisemblable appartient au domaine de la contingence, de ce qui peut être autre qu’il n’est. En matière de politique, les hommes doivent rechercher non pas le vrai mais le vraisemblable, c’est-à-dire ce qui est acceptable par le jugement partagé et permet d’agir pour transformer la réalité. « On retrouve ces deux axes aujourd’hui : du côté de Platon, il y a ceux qui pensent que le pouvoir doit être exercé par ceux qui savent, ce que l’auteure appelle un pouvoir «épistémocratique». Aristote, lui, permet de comprendre que la post-vérité porte atteinte à la capacité citoyenne d’élaborer des jugements fondés et d’agir dans la cité . » Mais, souligne Myriam Revault d’Allonnes, l’analyse montre « que le problème principal ne porte pas tant sur la vérité rationnelle , ordonnée à l’intelligible, que sur la formation de l’opinion et du jugement ». En insistant sur la contingence du domaine de l’action régie par l’opinion droite et la pluralité c’est une véritable réévaluation de la doxa  qu’il faut opérer.

Ce que Hannah Arendt appelait « la vérité des faits » est, nous dit l’auteure, «  l’objet d’un conflit majeur avec la politique : c’est ce conflit qui se produit aujourd’hui, sous nos yeux à une si vaste échelle . Dans ce contexte la question se présente différemment dans « les régimes démocratiques » : les vérités dérangeantes malvenues sont transformées en « opinions » que l'on peut soutenir comme si elles n'étaient pas directement ancrées dans des faits incontestables. » « La transformation de ces vérités de fait en opinion porte sur des événements dont l'importance politique est cruciale. Elle met en jeu l'existence d'une réalité commune à la pluralité humaine, une réalité reconnue et partagée. Il ne s'agit plus d'un conflit qui met aux prises la vérité rationnelle et le mensonge ou la falsification mais d'une tendance à convertir les faits en opinion, à effacer la ligne de démarcation qui les sépare. ». Les opinions, dans leur pluralité même, ne sont légitimes qu’à condition de respecter les vérités de fait. Hannah Arendt soulignait déjà: « la liberté d'opinion est une farce si l'information sur les faits n'est pas garantie et si ce ne sont pas les faits eux-mêmes qui font l'objet du débat. »

Myriam Revault d’Allonnes note cependant que : « Les vérités de fait – tout autant que les vérités rationnelles – font elles aussi problème pour la politique : d'un côté elles sont politiques par nature car elle s'inscrivent dans la pluralité, le débat et l'échange d'expériences. Elles partagent cette caractéristique avec l'opinion (la doxa). Mais d'un autre côté elles diffèrent de l'opinion et partagent avec les vérités rationnelles un certains modes d'assertion de leur validité » : elle s'imposent alors comme un élément de contrainte.

Nous voici au cœur du problème nous dit-elle : « les vérités de fait s'imposent et sont au-delà de l'accord et du consentement alors que les opinions dérangeantes peuvent toujours être discutées rejetées, négociées. Les vérités de fait sont à ce titre anti-politiques et distinctes des opinions ». Il y a dans cet ouvrage d’intéressants développements sur le vrai, le vraisemblable, le mensonge de masse et leurs rôle pour agir en politique ainsi qu’une réflexion sur la place de la fiction et la fonction des utopies.

« La dissolution des repères de la certitude dans les sociétés démocratiques les menace tout autant qu'un relativisme généralisé susceptible d'aboutir, par des modalités très différentes » à l’effacement du partage entre le vrai et le faux »

L'auteure analyse ensuite l'idée de « régime de vérité » tel que Foucault l'a énoncé. Il montrait que la vérité n'est pas indépendante de ses conditions d'énonciation et qu'elle implique des effets de pouvoir. Myriam Revault d’Allonnes acquiesce à ce constat mais pour elle il est plus intéressant de considérer quelle éthique la vérité propose dans le rapport verbal à l'autre car « le diseur de vérité s'expose : il risque de compromettre sa relation avec ceux à qui il s'adresse ».

Cela nous conduit au dernier chapitre :« Fiction et pouvoir-faire » que j’ai personnellement trouvé remarquable tant dans son style que sur le fond. « Peut on induire des effets de vérité avec un discours de fiction ? ». « Le « mentir vrai » est, pour reprendre l'expression d'Aragon, le propre du processus de narration : en transformant les faits réels par une composition fictionnelle, «menteuse», la narration est porteuse d’ une vérité plus proche du réel que sa reproduction ou son redoublement. Si la fiction va au-delà de l'évidence du monde qui nous est donné et même la suspend, c'est pour que nous puissions imaginer d’autres ( de nouvelles) manières de l'habiter. ». « En refusant le réel, l’imagination le requalifie en y projetant d'autres possibles » : l’imagination étaye alors la force du vrai. Là Myriam Revault d'Allonnes s’appuie sur les travaux de Paul Ricoeur (Cf. Notamment «  La métaphore vive ») concernant la narrativité. Elle montre la capacité du discours de fiction d’être à la fois innovant et révélant. La distanciation créatrice opérée fait que le discours « est lui même une action  portant sur des hommes agissants et souffrants ».

L’ouvrage s’achève ainsi : « La force du vrai, ce n'est pas seulement, comme le pensait Michel Foucault, la force des liens par lesquels les hommes s'enchaînent eux-même au pouvoir de la vérité, c'est d'abord le surplus de sens de l'expérience, la faculté de déranger le réel pour le rejoindre autrement ». À ce prix seulement le monde restera habitable.

Une fois de plus M. Revault d'Allonnes nous montre avec beaucoup de brio le plaisir qu'il peut y avoir à interroger et à penser le monde à partir des auteurs qui ont déjà travaillé ces questions. Face à l’écume envahissante ( peut être de fait une boue) des miettes d’informations fragmentées déformées fantasmées moulinées au sensationnel et à l’émotionnel qui nous empêche de penser, ce recul nécessaire est salutaire.

C’est un ouvrage à lire et à faire lire en ces temps troubles où formules à l’emporte-pièce et petit mots viennent remplacer le débat.

Frédéric Rousseau