Hors-Normes : un film, acte d’engagement. Vulnérabilités, ombres et lumières avec les hors-normes R.Gori

Hors normes
De Eric Toledano, Olivier Nakache Avec Vincent Cassel, Reda Kateb, Hélène Vincent plus

un film, acte d’engagement. Vulnérabilités, ombres et lumières avec les hors-normes (1)

 

Par Roland Gori Professeur honoraire des universités, psychanalyste  et auteur

Hors normes est un film magnifique, magnifique d’intelligence, d’émotions partagées et d’humanité affirmée. Un film qui fait acte et invite le spectateur à ne plus être celui qu’il était avant de l’avoir vu. Deux heures durant, nous sommes absorbés par des scènes dramatiques formidables, par le récit haletant des combats pleins d’humanité contre la bêtise bureaucratique, l’indifférence sociale, l’arrogance institutionnelle, la violence du désespoir des familles, celles à vif des souffrances intimes et sociales muselées par une société de la norme et de la froide rationalité du droit et des budgets contraints.

Face à l’inéluctable difficulté de tous ceux, bénévoles et salariés, qui prennent en charge ces adolescents « autistes », face à leur amour de la vie, à leur volonté fraternelle, face à leur désir d’accompagner jusqu’au bout tous ces adolescents soumis à de violentes déflagrations subjectives, nihilistes et destructrices de l’altérité, les réalisateurs restituent avec humour et empathie la fragile dignité des hors-normes, de tous les hors-normes. Hors normes ceux que les institutions sanitaires rassemblent sous la bannière du « handicap », hors normes ceux qui s’en occupent, hors normes le désir solidaire et révolutionnaire des acteurs soucieux que chacun de leurs actes, dans le grain le plus ténu du quotidien, fasse œuvre de rédemption, de sauvetage d’une humanité naufragée. Naufragée dans la souffrance, mais aussi dans les chiffres comptables, les statistiques savantes, les techniques de  contention et d’orthopédie comportementale, de dissolution chimique de l’angoisse et de la mélancolie consubstantielles à la condition humaine. En face des solutions techniques, et de leur violence symbolique, « validées » et « protocolisées » par des « experts », ces travailleurs du soin et du social, que les managers invitent à s’identifier aux ordinateurs qui finiront bientôt par les remplacer, résistent. Ils résistent aux mauvais coups de la folie et de l’angoisse, mais aussi aux mauvais coups de tous ces techniciens qui les dirigent, qui les dirigent moins parce qu’ils ont une expérience du soin et de l’empathie que parce que justement ils en sont dépourvus. Face au naufrage d’une humanité en détresse, les acteurs de Hors normes se révèlent comme des acteurs engagés, engagés à nous faire rire et pleurer. Ces acteurs merveilleux, ce sont bien sûr Vincent Cassel et Reda Kateb, mais aussi tous les autres, en particulier le talentueux Benjamin Lesieur, autiste dans le « civil ».

Ce film est pour moi une œuvre d’art, une vraie. Il ne manquera pas de collègues, enrubannés dans leur froide rationalité « savante », et d’autres encapsulés dans leurs croyances théoriques ou politiques, pour dire que je suis trop « bon public », trop sensible aux « bons sentiments ». J’assume. Mieux, je revendique. Je revendique que, face à la souffrance, la mienne, celle de mes proches ou celle de mes semblables, c’est la véritable empathie des soignants que j’espère, non leurs titres, leurs diplômes enrobés d’indifférence. Les diplômes et les titres – je n’en manque pas – m’impressionnent beaucoup moins que l’engagement de ceux qui trouvent dans leurs pratiques quotidiennes un sens à leur vie, vies d’artisans et d’artistes. Et au diable si elles ne sont pas validées par les évaluations « à l’américaine » des facultés et des agences de santé. Aujourd’hui, cela me rassurerait presque. Hier, cela m’aurait inquiété. On est allé trop loin dans le conformisme et le formalisme. Les critères dont ces nouveaux managers se prévalent me semblent plus que suspects, ignorant la biodiversité des méthodes et la force du cœur. C’est bien pourquoi ils s’accouplent si facilement avec les financiers, ils parlent le même langage.

Soyons, enfin, redevables à Éric Toledano et à Olivier Nakache d’avoir su honorer ces associations qu’ils connaissent bien, existant dans la vraie vie, où des acteurs du soin bricolent comme ils peuvent avec des sentiments, des intuitions, des expériences, et surtout le désir d’éviter que des souffrances intimes et sociales ne deviennent trop délabrantes pour les adolescents et leurs familles. Dans ce domaine, nous devrions demeurer modestes, avoir un peu de retenue face aux difficultés que nous rencontrons, aux résultats que nous obtenons. Évitons l’arrogance ridicule d’une docte ignorance prétendant détenir « la » vérité. Soyons également redevables à Éric Toledano et à Olivier Nakache de ne pas avoir sombré dans ces films de propagande, ou dans ces documentaires esthétiquement médiocres, dramatiquement ennuyeux dans lesquels les réalisateurs, à force de torturer leurs « acteurs », finissent par leur faire avouer ce qu’ils voulaient entendre.

Ce film dévoile le talent de conteur des réalisateurs et des acteurs. Ils nous absorbent, nous happent deux heures durant, à la manière de ce peintre chinois qui disparut dans la contemplation du tableau qu’il venait d’achever. En m’abandonnant au rythme endiablé de Hors normes, drame plein d’humour et d’amour, de violence aussi, je crois bien que c’est ce qui m’est arrivé.

 Derniers ouvrages parus : l’Individu ingouvernable (2015), Un monde sans esprit (2017), la Nudité du pouvoir (2018), tous chez les Liens qui libèrent.

(1) Article paru initialement dans le journal "L'humanité"

Comments (1)

Portrait de Le Vaguerèse Laurent

Commentaire de Françoise Rollux:
"Quelques remarques personnelles de la mère d’un adulte autiste
Sur le film « Hors normes »

L’amour, l’empathie suffisent-ils ?

J'ai vu "hors normes" et suis un peu déçue mais j’ose à peine le dire après avoir lu et entendu tant de propos dithyrambiques sur ce film. Ces éloges sont certes parfaitement mérités mais.............
Ce film me dérange car il laisse penser que, face à l'autisme, il n'y a rien à comprendre, rien à chercher, qu'il suffit d'avoir de l'empathie.
Au début du film, nous avons une scène superbe dans laquelle les accompagnants font preuve d’une immense patience pour juste faire sortir du bus, un jeune autiste. Le directeur de l'association dit à un accompagnateur qui craque et veut l’y forcer : " non, tu ne fais pas ça, c'est lui qui donne le timing !". J'ai trouvé cette attitude très juste et j’espérais que le film allait se poursuivre en apportant, à partir de situations réelles, des indices, finalement des conseils simples pour mieux comprendre les personnes autistes et savoir s'y prendre avec elles. Mais ensuite plus rien, le film se déroule avec une série de situations d'urgence dans lesquelles les équipes interviennent comme des pompiers pour éteindre un incendie. Par exemple quand un accompagnateur s'approche de trop près d'un autiste et qu'il reçoit un coup de tête, le directeur ne lui dit aucun mot sur la problématique de la distance physique à respecter avec de très nombreux autistes. Pourtant la plupart des professionnels et parents savent que beaucoup ne supportent pas qu’on les touche ou qu’on s’approche de trop près. C’est vécu comme une intrusion et génère de la violence. Or dans le film on voit ces jeunes, pleins de bonne volonté, qui essaient de rassurer leurs « protégés » en les prenant par le bras, par les épaules. On ne peut alors s’empêcher de penser qu’on les envoie, en quelque sorte, au casse-pipe car on a l’impression qu’on ne leur a jamais rien expliqué sur les particularités sensorielles des autistes.
Si l'empathie, l'amour suffisaient pour prendre soin des personnes autistes, ça se saurait et les parents comme les professionnels seraient moins démunis !

Bien sûr un film grand public n’est pas un documentaire destiné à la formation des professionnels ou des parents. Mais je ne peux pas m'empêcher de penser au film "Chelli" que j'ai vu il y a quelques années. Dans ce film de fiction une femme autiste et sa sœur sont au centre de l’histoire et on perçoit bien, sans grandes explications théoriques, ce qui est en jeu dans les difficultés extrêmes de l’une et de l’autre : https://www.youtube.com/watch?v=OQ4CyExawvQ
Je reconnais cependant que « Hors Normes » est un film formidable car il montre bien la réalité quotidienne des personnes autistes les plus en souffrance, la détresse de leurs familles et le dévouement extraordinaire de certains professionnels. J'ai aussi apprécié la façon tout à fait juste et non manichéenne avec laquelle a été traité le sujet de l’IGAS.
Mais ce film ne m'a pas émue personnellement. C’est peut-être parce qu'il met en scène des situations que je connais depuis longtemps. C’est peut-être aussi parce qu’il n’entraine pas d’empathie pour les personnes autistes qui sont là pour mettre en lumière les qualités indéniables des accompagnateurs.
Finalement « Hors normes » est un film à la gloire des professionnels de l’institution « Le silence des Justes » et ils le méritent bien ! Ce sont eux qui de fait sont les véritables héros du film.

Françoise Rollux
Co-fondatrice et présidente de « Autisme-Liberté »
Co-fondatrice et secrétaire générale adjointe du Raahp