Anne Franski Mauvais sang et Errance

anne franski

Anne Franski Mauvais sang et Errance Exposition photographique

Eglise Saint Merry, 76 rue de la Verrerie 75004

Tous les jours de 13h à 19h

Du 9 au 30 septembre

Anne Franski présente deux séries photographiques qui témoignent, de deux façons différentes, de la fragilité humaine.

Je ne les ai pas vues dans une galerie mais dans l’espace d’une église : l’église Saint Merry. Une église toutefois à l’identité bien spécifique, à la fois ouverte aux marginalités sociales, et attentive aux activités artistiques, stimulée par l’attraction du Centre Pompidou dont elle est proche.

La première série (Mauvais sang) nous montre des hommes machines : des êtres aux visages cachés, reliés comme par un cordon ombilical à une machine impénétrable, formant des couples étranges. Il ne s’agit pourtant pas de fictions évoquant une quelconque post-humanité, mais de la réalité. Celle à laquelle sont astreints ceux qui, en dialyse, doivent la vie aux automates qui purifient leur sang. Si Anne Franski peut nous faire partager l’humanité de ces êtres malades, c’est qu’elle ne nous les montre pas en voyeur. Elle est l’une d’entre eux, dit le livret qui accompagne l’exposition.

Les photographies sont projetées, dans un espace clos qui jouxte l’entrée, sur un drap blanc d’hôpital. Un environnement sonore fait entendre, en sourdine, le bruit des machines de dialyse. Les personnes qui m’entourent pendant la visite, venues là par hasard, semblent hésiter parfois à pénétrer dans ce « claustra », comme si ces quelques images en boucle, nimbées par l’étrange lumière de salle d’hôpital bien captée par l’artiste, et le son machinal qui les environnent, avaient la force de faire ressurgir, en chacun de nous, le sentiment angoissant de notre fragilité organique. Cet espace médicalisé, habituellement présenté dans des images aux intentions documentaires qui le mettent à distance, se charge ainsi, par la force de l’artiste, d’une dimension proprement poétique qui en fait jaillir la généralité. Ces corps de malades liés aux machines, ce sont nos corps ; ce qu’il en adviendra, un jour ou l’autre.

L’autre série (Errance) est, au premier abord, plus simple, apaisante même. Dans une chapelle latérale, un peu à l’abandon, des photographies, non encadrées, sont suspendues, penchées, et éclairées par la pâle lumière qui tombe de vitraux opaques. Leur austérité apparente tranche avec le baroquisme des fresques du XIX° siècle qui les environnent. Mais c’est de leur précarité même qu’elles tirent leur sens. Sur ces images, rien que des personnes, pour la plupart vêtues de noir, dont les murs de pierres blanches, contre lesquelles elles prennent appui, font ressortir les beaux visages sombres. Qui sont ces anonymes, ces quidams ? Des étrangers ordinaires : ces Roms que nous croisons chaque jour, sans vouloir les voir. Les plus précaires des précaires. Leur vie, elle aussi, ne tient qu’à un fil. On comprend alors ce qu’à voulu l’artiste : créer, avec les moyens les plus modestes possibles, ces effets de présence qui ne se saisissent de la représentation que pour figurer l’imprésentable. Comme on le dit des icones.

D. L. V.