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Nicolas de Staël
Nicolas de Staël
12 mars - 30 juin Nicolas de Staël Galerie 1 / 11h00 - 21h00 8,5€, 6,5€ Nocturnes les jeudis jusqu'à 23h Commissaires / organisateurs: Alfred Pacquement - Jean-Paul Ameline Profitez des nocturnes jusqu'à 23H00 tous les jeudis.
L'exposition consacrée à Nicolas de Staël rassemble près de 220 oeuvres majeures, dont 135 peintures, 80 dessins ainsi qu'une sélection de livres illustrés, de gravures et de documents inédits, provenant de collections publiques et privées ainsi que de la collection du Centre Pompidou.
EXPOSITION NICOLAS DE STAEL
Beaubourg, jusqu'au 30 juin 2003.
Je connaissais comme beaucoup Nicolas de Staël et je trouvais, bien sûr, sa peinture "très belle", ayant vu cependant bien peu d'originaux, les footballeurs, les toits et peut-être quelques tableaux très colorés du Sud de la France ou d'Italie.
Je trouvais même cela un peu trop beau, me méfiant de l'esthétisme, de la beauté trop évidente et facile. Voir l'ensemble de l'œuvre change tout. Comme au cinéma, ne pas voir un film, mais l'œuvre d'un cinéaste change tout, y repérer des récurrences, commencer à entrer dans un univers, saisir quelques angles d'attaque, voir se dessiner une problématique, quelques images ou pensées obsédantes, percevoir peu à peu les signifiants à l'œuvre qui font œuvre et non plus anecdotiquement un film, un tableau, bon ou mauvais, intéressant ou non.Dans cette perspective, il n'y a plus de bon et de mauvais film, il y a l'œuvre de John Ford qui, quel que soit le film vu, fait sens, convie à une émotion particulière, parle à la manière de John Ford ou de Godard ou de Tarkovski, de la condition humaine et de l'art, de la condition humaine en tant qu'elle est donnée à voir sous une lumière plus crue, dans une œuvre d'art, film, quatuor, chorégraphie, ou tableau de de Staël.
Ce qui fascine, dans une exposition d'une telle envergure, c'est cette imprégnation progressive, cette cohérence qui émerge, d'une œuvre à l'autre puis de la totalité. Il s'agit moins de faire le choix de ce qu'on préfère dans l'éventail que de tout voir.
J'ignorais ainsi les tableaux du début, compositions sombres, petits formats ou formats moyens, travaux en noir et blanc qui font penser à des recherches de formes plus sculpturales que picturales, en volumes, en perspective, en arêtes et espaces. Et tout cela si grillagé, enfermé, comme si deux espaces se superposaient le plus souvent, l'un empêchant d'aller vers l'autre, bouchant la perspective à peine dessinée. Très souvent, on aura l'impression qu'il y a deux toiles au moins dans l'œuvre, soit l'une derrière l'autre, soit l'une à côté de l'autre. Deux idées, deux peintures possibles, qui vont se juxtaposer, se superposer, s'emmêler, s'obstruer l'une l'autre comme si, ne pouvant renoncer à une direction, le peintre explorait les deux à la fois, même si elles se contredisent, s'embrouillent. L'une empêche l'autre de respirer, de se développer ; elles entrent en tension, en contorsion, cela fait échouer le dessin. Aucune ligne directrice ne l'emporte et toutefois, l'œuvre demeure presque calme, le pathos ne s'y inscrit pas, cela n'explose ni ne crie ; les formes sont simplement suspendues dans leur trajet, les éclatements s'arrêtent, cela ne repose sur rien, les abîmes affleurent, entourent, mais aussi le cadre, le contour, quelque chose toujours veille à retenir la catastrophe.L'étonnement à découvrir ces peintures et ces encres, à l'orée de l'œuvre, quand on connaît —ou croit connaître un de Staël coloré, tonique, amusant, illuminé par un match de football en nocturne— laisse bientôt place à un autre sentiment, celui que ce de Staël, si empêtré entre deux projets, entre deux espaces, si tiré, si grillagé ou enfermé, se débattant pour en sortir, tout en se prenant de plus en plus étroitement dans la toile d'araignée qu'il a lui-même tissée, ce de Staël, loin de disparaître, est bien ce qui va perdurer, se répéter, insister dans toute l'œuvre. 1Et s'il y a quelque répit, des périodes plus colorées, plus lumineuses, des échappées, dans la matière ou dans la couleur, un passage du "mur", la question qui taraude le peintre est toujours là, obsédante, qui lui fera dire :
"Je vais aller sans espoir jusqu'au bout de mes déchirements, jusqu'à leur tendresse.2
L'œuvre, de ces déchirements, laisse voir beaucoup. Les compositions sont plutôt des décompositions, des déconstructions ou des constructions si complexes, en palimpsestes, qu'elles n'aboutissent qu'à un savant et obscur désordre. Les lignes partent d'ici, en bas à gauche, par exemple, mais pas tout à fait du bas, et elles montent en oblique vers le haut et la droite mais, de même qu'elles ne partent pas d'une véritable origine, elles n'aboutissent pas davantage, restant en suspens, à la fois tirées vers et arrêtées, retombant parfois, de façon dérisoire, dans un geste d'abandon, de dégoulinade, de brouillage. Obliques, verticales, doubles mais dont le parallélisme est troublé, un peu gauchi, lignes nettes ici, faussées ailleurs, ne traversent pas, ne font pas un cadre, un espace ordonné. La vie dure le montre bien, avec deux espaces très différents dans lesquels les objets ne sont pas de même mesure d'un côté et de l'autre. Un espace occupe un tiers, l'autre deux tiers de la toile, de part et d'autre d'une échelle un peu tordue qui ne pose nulle part. Des deux côtés, cela tombe, s'effondre, comme un paquet d'allumettes jetées, un dépliant qui pendouille, un escalier qui se défait. Une profondeur apparaît, qu'on aimerait explorer, comme une porte de sortie. Mais c'est encore plus noir au fond, il n'y a pas d'échappatoire. L'ambiance est celle d'une cave pendant les bombardements. On a l'impression que le plafond, esquissé par quelques lattes, s'effondre. Quant au sol, comme dans beaucoup de toiles, il suggère davantage l'impression d'un univers sans bases, sans assise, sinon l'ombre. La palette est certes cohérente, mais si ombreuse, avec des luminosités de grotte, de cave. No escape.On aurait aimé voir, à côté des "hommages à Piranèse" quelques toiles de ce peintre des prisons, des architectures et des effondrements, qui semble avoir eu une influence profonde sur de Staël, à moins qu'il ne s'agisse plutôt d'une affinité très intime.
La multiplication des motifs de morceaux, empilements, grilles, juxtapositions confirme tout au long de l'œuvre un univers en miettes, une interrogation permanente sur l'organisation :
"La seule recherche sérieuse dans un tableau, c'est la profondeur, et un tableau c'est un espace organisé", déclare de Staël3.
Pourtant, les compositions ne sont jamais organiques, synthétiques, mais troublantes, donnant le vertige. L'impression d'éboulis ou de masses sans cohérence prédomine. Si l'artiste renouvelle à certains moments son langage, expérimentant d'autres aspects de la peinture, vers moins de lignes, plus de masses, plus de matière, plus de couleurs, de lumière, davantage de lissé puis de fluidité, il ne semble, cependant, jamais loin de sa quête initiale et de cette empoignade avec l'opacité, avec l'obstruction ou les tensions, les fermetures qui accompagnent les percées. Même dans les peintures les plus lumineuses se dessineront, peu à peu, le morcellement, les amoncellements, le poids écrasant des choses. De sorte que si l'on se réjouit parfois d'une envolée, d'un allègement, comme lorsque paraissent ciels, nuages, bords de mer, c'est pour retrouver un peu plus tard, un peu en-dessous, le morcellement, la juxtaposition des petits bouts qui semble de nouveau disloquer le tableau. Même les footballeurs, cette "tonne de muscles [qui] voltige en plein oubli de soi avec toute la présence que cela requiert en toute invraisemblance", deviennent ici ou là invisibles, morceaux et éléments hétérogènes posés côte à côte4.
On voit la double postulation du lisse, du cohérent, et du morcelé, dans les tableaux intitulés Marseille,Sicile, La Cathédrale ou Le Concert. Les aplats transparents de couleur, la luminosité et l'harmonie des couleurs ou leur relation très chantante, très chaude, n'empêchent pas la conglomération de petits bouts, sous l'horizontale, comme une structure qui perdure sous la surface, ou bien, entre deux, comme dans Le Concert. Là semblent se tenir deux éléments, deux masses mises en rapport (le piano et la contrebasse), verticales, colorées, mises en présence dialectique et reliées par la masse rouge chaude, lissant le tout, tandis qu'entre deux, les touches du piano et les partitions redessinent la mosaïque, celle des Toits ou des anciennes compositions. Il y aurait deux choses à la fois opposées et ressemblantes, deux instruments de musique ici, le ciel et la terre ailleurs, deux espaces (deux êtres? deux postulations?) que relieraient et sépareraient à la fois un amas plus ou moins informe de choses.On dirait que le peintre, dans son labyrinthe, a toujours essayé de faire tenir quelque chose en place, dans l'espace de la toile qui est projection de sa vie intérieure. Au début, il semble véritablement tenter d'architecturer cet espace, de le structurer. Il travaille, comme Piranèse, les lignes, le dessin. Mais cela ne le conduit qu'à la prison, à l'étouffement, à l'effondrement des échafaudages, à des perspectives qui se mêlent et se referment. C'est "la vie dure".
Plus tard, les grands aplats de couleur, les masses de peinture grasse, épaisse, semblent manifester une autre orientation. Le peintre ne construit plus, dans la perspective et l'illusion d'optique, une architecture, il se confie à la matière picturale comme présence —celle même des muscles de footballeurs— muscles de couleur sortie des tubes. La matière a remplacé le dessin et fonde à elle seule, structure la toile. De Staël emploie ces termes :
"Que voulez-vous qui tienne un tableau si ce n'est la couleur?"5
Ç'aurait pu être la ligne, la perspective. Les masses colorées sont chargées maintenant de structurer. Et l'on se demande si de Staël n'a pas en même temps voulu dire : "que voulez-vous qui tienne un peintre si ce n'est la couleur, la matière, la peinture comme réel"? De même déclare-t-il :
"Il y a parfois une montagne d'esprit dans une parcelle de matière"6
De telle sorte qu'on oserait faire l'hypothèse qu'à la faille du symbolique, pressentie dans les difficultés du début, travaillée et reprise dans une tentative de structurer, d'architecturer avec des lignes, des limites, des espaces redessinés qui toujours s'effondrent, c'est le réel qui répond. Le réel de la peinture —comme matière "hors sens", littéralité littorale au rien— fait "tenir" le tableau là où le tracé échoue. C'est un peu comme si, ayant tenté de colmater la faille du symbolique par du symbolique, le peintre s'était heurté à un mur et que c'est sur ce mur qu'il allait désormais bâtir son œuvre, sur ce réel de la toile, vertical, frontal, sans essayer de le sauter, de le transpercer, de l'ouvrir. Il s'adosse désormais à ce "mur" qu'il maçonne, travaille comme un mur de maison, un mur de plâtre aux nuances de blanc, de gris, délicates, acceptant les fissures qui l'animent, le dessinent, le rendent vivant :
"L'espace pictural est un mur, mais tous les oiseaux du monde y volent librement. À toutes profondeurs.7" 8
Puis :
"Le métier de maçon est probablement le plus noble de tous les métiers.9
Plutôt que de continuer à se cogner contre ce mur qui l'empêchait d'y voir, il s'appuie dessus. La peinture ne représente plus, sur la toile, une image en perspective qui fait fuir le regard, ouvrant l'horizon, elle fait écran, s'empâtant, seul objet à contempler, opaque, sans ailleurs. Et cela, merveilleusement, se transforme. La toile ainsi empâtée, murée, se charge de signes, de lignes, de présence. Elle se met à vibrer et devient son propre univers, qu'il ne s'agit plus de traverser mais d'habiter. De là les toits, les ciels, les paysages qui peuvent désormais s'y déposer, non plus référés à autre chose, mais toits, ciels, paysages du peintre, nés de la toile.
L'espace n'est plus celui de la représentation, avec un bas comme assise potentielle et un haut pour diriger un élan, construire une verticalité où s'inscrirait un ciel, un horizon, un ensemble structuré. L'espace devient celui, littéral de la toile, comme assise, posée contre le mur, support solide sur lequel étendre, étaler, superposer de la matière qui s'organise dans la profondeur immanente et non dans une profondeur imaginaire et représentée. Il est, de la sorte, très étrange qu'un commentaire, dans la salle d'exposition, indique qu'au-dessus des toits, un ciel se lèverait. On voit mal comment, du point de vue surplombant adopté par le peintre, un ciel (très blanc) pourrait s'apercevoir. Mais surtout, hors de toute question de vraisemblance, et si tant est qu'il faille voir là de "vrais" toits, il est évident que ce que l'on voit, c'est un mur, et un mur peint sur une toile. Mais ce mur opaque n'est peut-être pas désespérant, il structure effectivement l'espace, donne de la lumière, fait vibrer l'ardoise des toits, donne unité à la palette et au motif, comme un liant visuel. Il élargit tout d'un coup l'espace qui est, en-dessous, morcelé et tassé. Ce n'est pas un ciel, mais c'est une toile peinte, un mur accueillant la matière qui donne tout son espace au tableau, au peintre, au regard.
Par conséquent, si la figuration se fraie une voie, au-delà de l'abstraction, c'est à condition, toutefois, d'admettre que ce qui figure là est moins représentation que création, de même qu'une aube rimbaldienne ne sera jamais une aube, ni ordinaire, ni illuminée, reproduite dans un poème, mais une Illumination intitulée Aube. Les "paysages" naissent de l'œuvre plus qu'ils n'y aboutissent dans une mimesis. Ils sont à la fois abstraits et figuratifs. Ils sont le réel du peintre. C'est pourquoi il pourra peindre, en toute liberté, avec son matériau et sa vision intérieure, des Italies, des Suds, des mers violettes, puis son atelier, sa palette, sa palette, l'atelier, bref, peindre sa peinture. Et l'on s'aperçoit, en rapprochant les compositions, que La vie dure était peut-être déjà une vue de l'atelier, en plus chaotique, mais tout aussi réaliste et abstraite à la fois, travail de peintre sur la peinture, en quelque sorte, sur une vie et une vision de peintre.
Dans les tableaux de la fin, dans les toiles illuminées de Sicile, de Marseille, des Martigues, de la Montagne Sainte-Victoire,
on a l'impression que l'artiste s'est enfin reposé sur la toile, sur la peinture, assumant sa vision, son fantastique, comme s'il ne cherchait plus tant à résoudre un insoluble problème, une tension extrême, qu'à être lui-même. L'inspiration ne vient plus que d'un fantasme, d'une fantaisie absolument singulière, de même que les équilibres plastiques, totalement inédits, ne semblent avoir jamais été explorés par un autre peintre. On s'étonne que tel violet puisse, sans heurter, côtoyer tel rouge et tel bleu, ou du moins que le heurt des couleurs soit en même temps saisissant et satisfaisant, dans un équilibre inattendu. Comment quelques taches de bleu réussissent-elles à contrebalancer une masse si imposante d'orange? Et comment sept verticales fantomatiques peuvent-elles, à elles-seules, suggèrer le mouvement d'un port? Des harmonies parfaitement neuves, tant pour les couleurs que pour les formes, font chanter les toiles, à la limite de l'insoutenable et dans l'évidence la plus incroyable. La peinture s'étale, tranquillement, lisse et transparente, à cette hauteur où se déploie l'aigu d'une soprane, à la pointe de vocalises vertigineuses. De Staël invente sa peinture, à la fois contenue et éclatante, "explosante-fixe", vitriolée et cependant d'une parfaite plénitude. Apollinaire l'avait écrit :"L'amour s'en va comme cette eau courante
L'amour s'en va
Comme la vie est lente
Et comme l'Espérance est vi-olente". 10
Cette exposition marque, semble-t-il, un jalon dans la lecture des œuvres. En effet, les textes d'accompagnement, soit qu'ils émanent du peintre —j'en cite quelques uns— soit qu'ils émanent de témoins privilégiés ou même des commissaires de l'exposition, nous donnent à lire une peinture autobiographique, une peinture dans laquelle se lit une vie intérieure, un psychisme. Il ne me semble pas que l'exposition Rothko, dont la peinture pourtant se prête à des approches similaires, ait été présentée de la même manière. Un pas est franchi dans notre conception de l'art abstrait puisque, désormais, il n'est plus abstrait que par rapport à l'objet réaliste —et encore ne l'est-il pas toujours— mais il se lit comme expression d'un psychisme, comme parole d'un sujet, sous une forme picturale. On peut ainsi se référer au petit texte d'accompagnement qui, en quelques pages, donne des repères biographiques essentiels et retrace les grandes étapes de la peinture de Nicolas de Staël, en des termes qui allient l'analyse des compositions, l'analyse psychologique et la réflexion sur la poétique :
"De cet engloutissement de la réalité, seule émerge la pesanteur brute du monde, perceptible à travers les seules densités de la matière picturale aux couleurs sourdes et terreuses.11
Dès les premières salles, le tableau La vie dure était accompagné d'un commentaire lui donnant sens :
"Je ne sais meilleur autoportrait de l'artiste à ce moment que cette peinture faite d'une accumulation de difficultés : écroulement, grillages éclatés qu'un double vertical en échelle coupe subitement devant un vide qui ouvre à nos yeux son vertige12."
De la sorte, on pouvait immédiatement aborder le Brise-lames, non plus en cherchant le bateau —qui s'y trouve peut-être— mais en y percevant le signifiant "brise", "brisé" qui commande effectivement la construction, de même que l'impression de "lames", au sens de vagues et au sens de ce qui coupe, de lamelles, signifiant nécessairement polysémique qui éclaire l'enjeu du tableau. Certes, il pourrait s'agir d'un bateau et d'une mer déchaînée, mais surtout, le tableau apparaît comme évocation d'un univers chaotique, brisé, violent, inorganisé et sombre, un univers intérieur et non la copie, la représentation d'une tempête. La tempête qui sortira de la toile sera celle qui agite un esprit plutôt que celle qui se découvre au bout d'une jetée, dans le cadre de la fenêtre ou de la toile.
Une telle correspondance entre la vie psychique et l'œuvre (musicale, poétique, picturale) peut sembler aujourd'hui une évidence. Pourtant, il me semble assez nouveau qu'elle soit donnée comme fil conducteur dans une exposition. Rien ne ressemblait à une telle orientation dans les expositions Constable, Modigliani ou Picabia que j'ai pu voir récemment. Cela n'éclairait pas plus les tableaux de Magritte, au Jeu de Paume, que l'exposition sur la peinture surréaliste où une telle perspective aurait été justifiée. Il faut donc y voir une conjonction entre la sensibilité du peintre, qui a lui-même laissé entendre ce que sa peinture exprimait de ses drames intérieurs, et la position des commissaires qui ont su mettre en lumière cette dimension de la peinture. On pourrait également penser que la psychanalyse exerce là son influence, permettant de mieux voir ce qui ne se laissait pas percevoir jusqu'alors, grâce à une certaine disponibilité à cet "objet" qui n'est pas figuré mais qui se dit dans les œuvres d'art et qui s'appelle un inconscient.
Il ne s'agit pas de découvrir un nouvel expressionnisme dans l'art de Nicolas de Staël ou dans celui de Rothko, si tragique également. D'ailleurs la peinture de l'un comme de l'autre se défend, par son existence même, par ses réussites, sa lumière, sa beauté, l'émotion, l'équilibre, la densité de formes et de sens qui en émanent, contre le pathétique qu'entretiendrait l'idée d'une existence au bord de l'abîme. Ce sont toutefois des peintures qui suggèrent qu'un sinthome, un nouage, par le réel de l'art, tente de répondre à la défaillance du symbolique et/ou de l'imaginaire, ou du moins à la faiblesse originelle du nouage du réel, du symbolique et de l'imaginaire. La peinture n'en est pas nécessairement mélodramatique, mais on peut y surprendre l'affrontement à des forces obscures, la lutte âpre et dynamique menée contre les pulsions de destruction, contre les tendances à la déréliction, afin de recomposer un organisme, une partition ou une forme structurée, ou tout au moins solide, présence matérialisée et rythmée qui soutient, qui fait tenir quelque chose ou quelqu'un.
- 1.
- 2. Album de l'exposition, p. 44, Nu debout, 1953. La pagination n'est pas inscrite sur les pages de l'album, on peut cependant la déduire de la dernière page, dans la rubrique consacrée aux "références des citations de l'album". "
- 3. Ibid., p. 18, Nicolas de Staël, cité par René de Solier, dans "Germaine Richier, de Staël, Bazaine, Chagall", Les Cahiers de la Pléiade, 9, Paris, 1950.
- 4.
- 5. Album, p. 35, Le Parc des Princes."
- 6.Album, p. 24, Composition, 1951..
- 7.
- 8.Ibid., p. 53, Les Mouettes, 1955.
- 9.Ibid., p. 17, Composition, 1950."
- 10.Ibid., p. 17, Composition, 1950."
- 11. Guide de l'exposition, p. 2, "Le chemin vers l'abstraction"."
- 12..Pierre Courthion, Album, p. 9
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