Histoires de famille Une séparation

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Histoires de famille Une séparation

Par un hasard extraordinaire, je suis allée voir le film Une séparation avec ma mère qui passait deux jours à la maison. Que faire ? Du tourisme, des salons de thé, un peu de chaise longue et… si on allait au cinéma ? Nous partageons cette passion. Elle ne fait pas attention, ne sait pas où je l’emmêne. Dès les premières minutes, je sens qu’elle se crispe, s’énerve. Voilà qu’elle se tortille, maugrée, fait mine de vouloir sortir. Finalement, elle reste, tout en grognant à côté de moi. En sortant, c’est le scandale, elle interpelle la pauvre dame du cinéma qui n’en peut mais : quelle horreur ! Ces gens ! Ils sont horribles. Nous, on les déteste ! Avec leur voile, et cette femme qui ment tout le temps, leur hypocrisie ! Nous ? J’essaie de l’entraîner, je m’excuse : elle est folle, je suis désolée. Arrête maman, tu me fais honte. Comment peux-tu ? Qu’est-ce qui lui prend ?

On rentre à pied, presque en courant, elle dans sa fureur, moi dans ma stupéfaction. Je n’en reviens pas. Qu’est-ce qui lui prend. Ce film qui, pourtant, me semble très beau, très juste et qui, en outre est plutôt critique sur sa propre culture.

Ce racisme ordinaire, élémentaire, physique ! Peut-être est-il dangereux de faire un film comme celui-ci qui ne devrait être vu que par les Iraniens eux-mêmes, puisqu’il est une analyse fine, assez critique de leur société. Ne risque-t-il pas ici, d’alimenter une peur de l’autre, de son voile, de ses principes religieux, de sa morale, déjà suffisamment nourrie par les fantasmes et les discours xénophobes du pouvoir ?

Il faut dire que ma mère, de toute façon, est raciste. J’en suis désolée, c’est un point de conflits parfois violents. Tout en ayant toujours espéré que ses filles épousent des émirs, elle n’aime ni les Juifs, ni les Arabes, etc. Elle a une représentation un peu différente des noirs parce qu’elle a gardé l’image éblouie des grands GIs qui ont libéré la Normandie. La famille a toujours eu ce fond raciste et xénophobe : contre les Allemands, les Fritz, ça va de soi, mais aussi contre un peu tous les étrangers. Ce qui n’a pas empêché mon grand-père maternel, qui avait fait Verdun, d’être antipétainiste en 1940. Ils auraient aussi bien pu cacher des Juifs, comme ils ont accueilli des Espagnols arrivés en 1936 et mes parents ont reçu comme leur fils, le petit ami de ma sœur, un Irakien, pendant les années 1970, tandis que maman professe un amour passionné pour un ami américain juif et homosexuel, chez qui elle a séjourné, il y une quinzaine d’années. Le discours, heureusement, n’a guère de rapport avec les actes ni les engagements réels avec les fantasmes, clichés ancrés par des générations de propagande et de rumeurs. C’est souvent ainsi que s’exprime le racisme ordinaire, à la fois virulent, insultant, stupide, méchant, et inconsistant, inconséquent, heureusement inoffensif, dans les situations concrètes de la vie quotidienne. Cela n’excuse pas ce racisme qui n’est peut-être pas sans conséquence, puisque les puissances qui nous gouvernent profitent de ces rumeurs, réflexes et clichés racistes pour justifier leur politique discrimatoire, expulser les immigrés et soutenir des lois xénophobes avec la complicité d’une majorité à la fois manipulée et coupable qu’il faudrait, à l’inverse, éduquer à la tolérance.

Ma pauvre mère ! Elle est bien vieille et j’aimerais dire qu’elle ne sait pas ce qu’elle dit. Sait-elle, au fond, ce qui, dès les premières images, l’a mise dans tous ses états ? N’était-ce pas, tout simplement, l’image de ce vieil homme atteint de la maladie d’Alzheimer, filmé comme un poids de chair à peine humaine, un poids qui va écraser de sa masse pathétique cette famille et cette société. C’est moins l’altérité qui rend malade ici que l’image de soi-même, projetée crûment sur l’écran : un père, moi-même peut-être dans quelques années, nous tous vieillissant et confrontés à de terribles souffrances et dégradations, la perte de la dignité. Le film, à ce titre, est d’emblée éprouvant.

Et comment l’interpréter, donc, l’image froide de ce corps encombrant que le père, avec l’aide de sa fille, semble le seul à supporter, sans réelle tendresse, cependant, sans gestes aimables ou sourires, juste comme un fardeau qu’il faut bien tenir parce qu’on ne saurait pas où le mettre ni qu’en faire. Est-ce là l’image de la société iranienne ou l’image de tout ce que nos vies produisent d’insupportable qu’il faut bien accepter, sans joie ? C’est un élément purement anecdotique, mais qui, tout de même est à l’origine de toute la chaîne narrative et logique du film. Il convient donc de lui accorder toute son importance.

Ne participe-t-il pas à cette chose, jamais nommée que la femme refuse de continuer à vivre ? Elle veut partir et divorcera pour cela, s’il le faut. Et son mari ne peut l’accompagner à cause de son vieux père. Donc il faut divorcer. C’est l’origine de la « séparation ». On ne saura jamais pourquoi cette femme veut partir, pourquoi elle ne supporte plus son pays. C’est l’un des non-dits les plus étranges du film. La séparation avec son pays n’est pas explicitée, raisonnée, motivée. Alors sans doute est-elle à comprendre dans le témoignage que l’histoire constitue.

C’est cette femme le point d’identification. Parce que tout part de sa présence, de sa décision, et parce qu’elle est physiquement, dans son allure, ses discours, son style de vie, très proche de notre image d’une femme occidentale. Elle nous est d’emblée sympathique parce qu’elle nous ressemble. Je ne sais pas comment les Iraniens la perçoivent. C’est à travers sa position que le spectateur (en tout cas ma mère ou moi) va expérimenter les situations du film. Le point de vue du mari est également emprunté par le film et le spectateur. Du reste, dans la première séance, ils exposent leur situation de manière égalitaire, face au juge-spectateur, partageant l’image et la vérité. Ils ont tous les deux leurs raisons, on comprend mieux celles du mari. Il n’y a pas de conciliation. C’est l’impasse. Toutefois, le silence buté et les lâchetés du mari amèneront le spectateur à mettre en doute sa vision, à abandonner sa cause progressivement, même s’il émeut parfois. S’il reste le plus souvent mesuré et intègre, il est capable de violence et de mensonge, reporte trop souvent ses responsabilités sur les autres et leur en fait supporter tout le poids.

Le deuxième point d’identification est la jeune fille prise au piège du couple et de sa séparation, l’enfant avec laquelle nous sommes nécessairement en empathie. Elle est un regard, un témoin silencieux qui nous guide à travers cette énigme.

Or, le film n’est qu’énigmes. Il commence par l’énigme de ce désir de la femme, de quitter son pays sans dire pourquoi. Puis, les énigmes vont s’accumuler parce que, à la façon d’Hitchcock, le réalisateur masque un certain nombre de séquences narratives. L’essentiel ne nous est pas montré, comme dans Stage Fright (Le grand alibi), magistral modèle. Le film est du reste très hitchcockien, d’une part, du fait de ces ellipses qui mènent le spectateur en bateau, en faisant de lui un témoin désemparé qui ne sait pas où se loge la vérité, et d’autre part parce qu’il joue, de ce fait sur la suspicion et la multiplication de fausses pistes, de faux coupables. La réussite de ce film tient donc aussi bien à son propos audacieux, complexe, à l’analyse quasi documentaire d’une situation sociale et morale, qu’à son suspense et à sa mise en scène alerte ici, pesante ailleurs, entremêlant des séquences au style très différent (huis clos, rues, tribunal, effet documentaire parfois, caméra mobile et plus loin théâtre de chambre.

Comme nous ne savons pas vraiment ce qui s’est passé, tout en croyant avoir assisté à tout et avoir tous les éléments en main, nous commençons par juger les uns et les autres, pistant les coupables : le mari de l’aide ménagère qui a tellement l’air d’une brute et d’un extrêmiste manipulateur et dangereux ; celui qui confirme tous nos préjugés contre les Iraniens traditionnalistes et intolérants, fous de religion et violents. Il fait donc un coupable parfait. Ce sera ensuite l’aide ménagère elle-même qui ment à tout le monde, à son mari, mais également à son patron, au juge. La pauvre, coincée de toute part, misérable, faible, victime du mari intransigeant, du patron exigeant et pingre, du père trop lourd et inconscient qui s’évade, de sa morale, de son milieu, de son voile qui l’entrave et lui rend le moindre geste plus difficile encore. Elle est la victime et la coupable. Tout se noue autour d’elle et de sa misère, de sa parole et de son voile encombrant.

Car le voile est bien au centre de ce film. On en voit beaucoup, de différentes sortes, lourds, opaques, ou légers, avec un peu de fantaisie. On sent qu’il y a là un enjeu et que ces voiles empêchent les femmes de bouger, de voir, d’être vues, comme si c’était à la fois un poids très encombrant et un rideau qui empêche de voir. Le mari n’aurait pas vu, dit-il, que la servante était enceinte, à cause du voile. En fait, c’est un mensonge, mais c’est plausible.

Finalement, on s’apercevra que tous sont coupables et tous innocents, que tous mentent et que tous disent un peu la vérité, une vérité dont ils ne savent pas tout eux-mêmes.

L’aide ménagère par qui tout arrive a menti, mais elle-même s’est évanouie et n’a pas vraiment su ce qui s’était passé. Elle a manqué une partie de l’action, comme le spectateur, dans une parenthèse d’inconscience. De toute façon, elle était prise dans un tel piège qu’elle ne pouvait pas dire la vérité à son mari, pour des raisons religieuses : elle n’aurait pas dû accepter de soigner ce vieil homme, un homme tout de même, auquel elle n’aurait pas dû toucher. La transgression de ce tabou était inavouable. Un silence en entraîne un autre ; elle ne pouvait avouer que le vieux monsieur s’était échappé, ni tout ce qui s’en est suivi.

Le mari dit la vérité puisque il ignore que sa femme a vécu tous ces épisodes dont le spectateur ignore également une bonne part. Malgré ses airs de voyou, cet homme est juste, jusqu’au moment où la vérité ne fait plus son affaire !

L’autre mari est également un « homme bien », comme en témoigne sa femme, bien qu’elle veuille le quitter. Un homme intègre et bon, qui fait son devoir, soigne son vieux père, s’occupe de sa fille, garde son calme. Toutefois, il apparaîtra comme un homme passif qui fait peser sur tous une charge dont il ne supporte pas directement le poids. Il impose à la domestique engagée une tâche qui dépasse ses forces, pour un argent dont on comprend qu’il n’est pas suffisant. Il est avare, apparemment, de paroles, de gestes, d’argent. Il fait son devoir mais finalement, à condition que tous les autres le prennent en charge pour lui, ce devoir : sa femme, la domestique, sa fille à qui il fait également endosser sans cesse des responsabilités morales qui devraient être les siennes, des choix qu’il devrait assumer lui-même. C’est sans doute lui, le vrai coupable, parce qu’il entraîne tout le monde dans une aventure trop difficile, inhumaine, impossible, sans en mesurer l’énormité ni en porter le poids. Il sera amené à en assumer davantage, en s’occupant plus directement de son vieux père. Ses gestes, cependant, sont le plus souvent froids, son silence met mal à l’aise, ses larmes ne l’excusent pas tout à fait.

Le vrai coupable, alors, c’est le vieux père atteint de la maladie d’Alzheimer, mais cela n’a aucun sens, évidemment. Il n’y peut rien, pauvre victime absente d’elle-même. Il est responsable et irresponsable. Que faire de cette détresse et de ce poids de l’humain-inhumain ?

Mais alors, c’est cette femme moderne, intelligente, ouverte, tolérante, apparemment juste, qui essaie de comprendre et d’entendre les vérités des uns et des autres, cette belle femme, sensible, réservée, digne, respectueuse du père, de son mari, de sa fille, de la servante, etc., cette autre juste du film, c’est elle la coupable, ainsi que le lui rappelle son mari, car c’est en voulant partir et en quittant son mari qu’elle a tout provoqué : le contrat inique avec la servante, l’accident, la venue du mari, la fausse-couche, le procès. Tout est de sa faute, y compris bien sûr, le malheur de sa fille.

Et pourquoi donc veut-elle partir ? On ne le sait pas.

On peut conclure du film que c’est justement ça qu’elle a voulu fuir : ce poids, cet intolérable du père alzheimer dont elle avait la charge, du silence de son mari et son implacable justesse avaricieuse et égoïste, d’une société de devoir (il n’y a que des gens bien, finalement) qui meurt de morale et devient perverse à force de tabous, de rigueur religieuse, de principes impraticables. Est-elle à son tour l’égoïste qui a voulu s’échapper, ou la victime de tout un système qui l’étouffait et qu’elle a rejeté ?

On comprend qu’elle a ses raisons, que tous ont des raisons d’agir comme ils l’ont fait, que tous sont coupables et tous innocents, qu’ils ont tous dit la vérité et menti, aux autres et à soi-même.

Tous s’agitent, autour d’un être qui n’est plus tout à fait humain bien qu’il soit encore vivant, père malgré tout, quelqu’un qu’on ne peut nier. Tout tourne donc autour de cet humain inhumain, de cette dignité et de cette morale excessives à porter, un corps presque obscène (le voir, cadre serré, est difficile à supporter), représentation des tourments qui oppressent chacun et réel qui crève l’écran et déchire toute la société. Comment porter ce réel, le symboliser par des actes et des paroles, sans imploser ? Sans doute la morale, les principes religieux ont-ils atteint leur limite en l’occurrence, puisque ce sont les tabous et règles qui en émanent (port du voile encombrant, interdit de toucher un homme pour la servante et épouse fidèle, impossibilité de se séparer de son père pour le mari) qui précipitent la catastrophe. La société est sur ce seuil où il lui faudrait inventer d’autres règles, une morale plus humaine. La sainte du film, cette servante admirable et pathétique, est prise dans l’impasse de son martyr, martyr de son pays en même temps, qui la feront criminelle.

On comprend que l’on ait envie de fuir, follement, comme le vieux père qui se retrouve dans la rue à errer aussi léger que fantomatique. On ressent dans son absence et son image d’agonisant, il faut bien l’avouer, un certain soulagement. Mais on ne débarrasse pas du réel aussi simplement, tant qu’il n’est pas symbolisé, en quelque sorte, il revient, têtu, hanter nos vies. Partir n’est sans doute pas une solution, ni même une véritable possibilité, c’est pourquoi la mère ne s’en va pas. Se taire ou masquer certains épisodes, n’est qu’une provisoire escapade. On voit donc une famille en crise, dans un pays très complexe, aux prises avec sa propre morale, ses principes, sa religion et ses interdits. Cela semble à la fois très étrange et très familier. Les tensions, les torsions traversent les individus, les paroles.

L’excès de rigueur morale, intenable du reste de façon absolue, ne produit que la rupture et la souffrance morbide, l’accident, la mort. C’est sans doute ce contre quoi se débat cette femme qui veut partir. Elle respecte la dignité de chacun, ne remet pas en cause leur morale, mais elle veut vivre, sans doute, plus légère et plus agile, dans sa parole et ses gestes. Pourtant on hésite à lui donner raison, on se demande s’il n’est pas un peu trop facile de s’en aller, d’abandonner la partie, son pays, sa famille, le dialogue avec ceux qui doivent changer. Mais est-il possible ?

La première séquence du film, sur ce point, pose une clôture, une impasse, dès l’origine. Aucun arrangement ne semble encore pensable. Et finalement, cette femme dont on ne connaît pas vraiment les raisons, n’est-ce pas tout simplement qu’elle n’aime plus ? Elle ne reviendra pas, malgré l’expérience du procès, malgré la douleur partagée et le dévoilement d’une vérité acceptable. Elle n’aime plus ce mari, froid et infantile malgré son air adulte et responsable ; elle n’aime plus ce pays trop lourd à porter. Avec tout le mystère que comporte ce sentiment, aussi étrange que son inverse. Le désamour, c’est énigmatique. Quelque chose devient insupportable, indésirable, irrémédiablement. Il y a des raisons et pas de raisons.

La leçon du film est à la fois particulière à une société en grande difficulté, qui se trouve prise au piège d’une question impossible à résoudre ou du moins tellement tragique, obscène, que le film préfère ne pas y répondre, et plus universelle : elle nous renvoie à notre humaine inhumanité, et également à cette ambivalence qu’Hitchcock avait si bien su mettre en scène : nous sommes tous de faux coupables et de faux innocents.

Au téléphone, nous avons reparlé du film, avec ma mère. Cela la poursuit. Sans doute se sent-elle honteuse. Elle en entend parler comme d’un bon film. Toute la critique est contre elle !

Elle ne sait plus ce qui l’a tant irritée. Les autres, horribles, insupportables ! Le mensonge ! Surtout s’ils nous renvoient à nos propres mensonges et à nos propres horreurs, les hommes « bien » qu’on a cessé d’aimer, les morales dont on est encore tout voilé et dans lesquelles on est encore tout entravé !

Voile et dévoilement. Peut-être le film plaide-t-il pour un dévoilement qu’il opère après avoir voilé sciemment une partie de la vérité. Il n’omet pas de dire, en même temps, que l’essentiel est au-delà du dévoilement, dans la douleur et l’impossible, l’impureté de toute vérité, sa fragilité, son mi-dire contradictoire et finalement peu satisfaisant. Il n’y a pas de société ni de discours idéaux, de ce point de vue. Il n’y a que des vérités encombrées et conflictuelles.

Il faut remarquer que, comme chez les plus grands cinéastes (Lang, Antonioni, Scorsese), la vérité n’est pas révélée dans les images — les séquences manquent — mais dans des paroles enfin dites. Le cinéma révèle ainsi son rapport profondément ambigu à l’image qui pourtant, a toujours l’air de tout dire, d’être irréfutable. Le cinéma, qui vit des images, s’en distancie et nous montre leur caractère partiel et fallacieux. Les donner toutes ne serait pas possible, il en manquera toujours dans le puzzle. Les paroles et la relation historisée de celles-ci approchent une vérité qui demeure elle-même en partie voilée, inaccessible. Il faut donc nécessairement croiser des images et des paroles pour atteindre une part des vérités contradictoires, complexes, qui rendent la vie sociale à la fois si compliquée et supportable.

Le film est sans doute une critique implicite, mais très manifeste dans la matérialité des images et la signification de son dispositif narratif, du voile et de la condition des femmes sur qui repose à la fois trop de tâches et trop de souffrances, trop de responsabilités ; toutefois, il semble assumer le fait que dévoiler ne suffit pas et/ou demeure toujours une quête difficile, d’un leurre à l’autre.