JLG Film Socialisme : un film à voir en famille

jean-luc Godard

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Durée : 01h42min Synopsis : Une symphonie en trois mouvements.Des choses comme ça :En Méditerranée, la croisière du paquebot. Multiples conversations, multiples langues entre des passagers presque tous en vacances...Notre Europe :Le temps d’une nuit, une grande sœur et son petit frère ont convoqué leurs parents devant le tribunal de leur enfance. Ils demandent des explications sérieuses sur les thèmes de liberté, égalité, fraternité.Nos humanités :Visite de six lieux de vraies/fausses légendes, Egypte, Palestine, Odessa, Hellas, Naples et Barcelone.

JLG Film Socialisme : un film à voir en famille

Autant l’avouer d’emblée, j’ai vu le film deux fois. Il faut dire que la première fois, pour une obscure histoire, trop longue à vous raconter, je n’avais qu’une lentille et je n’ai donc vu le film qu’à moitié. J’y suis retournée avec mes lunettes et j’en ai vu un bout cette fois… Remarquez que Godard, ça s’écoute les yeux fermés, mais les images sont quand même formidables ! J’aime bien me laisser porter, tâcher d’entendre un peu, deviner, m’abandonner, me réveiller. Et par moments, je me sens complètement collée à l’image, fascinée par tout ce qui se passe, un peu hébétée et en deuil de tout ce que je ne vais pas pouvoir comprendre, capter, qui me dépasse de partout. J’en ai donc vu un peu, pas tout. C’est comme la vérité, on ne peut pas la dire toute, les mots y manquent. Eh bien avec Godard, les images, les sons, se démultiplient pour créer du manque, des lézardes, un puzzle dont il manquera toujours quelques pièces.

Le duo des chats

Je me demande pourquoi Godard provoque de telles colères. Bien d’autres cinéastes sont difficiles, obscurs, ennuyeux ou hermétiques, seul Godard énerve à ce point. On croirait que les gens se sentent agressés. Paradjanov ou Debord, De Oliveira ou Rohmer, Gus Van Sant, peuvent être étranges, énigmatiques, jamais ils ne déclenchent de telles crises. Tenez, ma fille, qui est pourtant quelque peu ingénue, revient du cinéma très en colère. Elle en profite pour régler ses comptes avec moi, je suppose. Pourtant je ne l’ai pas envoyée voir le film, comme elle le prétend. Je m’en serais bien gardée. Tout au plus, l’ai-je appâtée, un peu hypocritement, en lui parlant de la scène des chats que j’ai trouvée charmante et drôle. Tu verras, Godard a compris le langage des chats ! Eh bien, elle est furieuse. Si ça n’avait pas été Godard, dit-elle, elle serait sortie au bout de cinq minutes. Je me demande bien pourquoi. Est-ce encore, déjà et toujours, une telle icône, même pour des jeunes de 24 ans, assez peu informés ? Elle s’est ennuyée, elle n’a rien compris, dit-elle.

Voyons, pourtant, cette scène des chats, c’est merveilleux ! Ça vaut bien le duo de Rossini. Voilà enfin quelqu’un qui nous fait entendre, avec une pureté, une justesse incroyables, le vrai son des chats. Eh bien, ils ne font pas miaou ! C’est une jeune fille étendue devant eux qui fait miaou, en les observant. C’est toute une conversation de chats et ça fait des sons inouïs. Enfin, moi, il m’avait bien semblé que mon chat non plus ne faisait pas miaou. Parfois, il m’engueule, je ne sais pas pourquoi, me réveille parce qu’il a faim, me demande d’ouvrir la porte, et cela ressemble à ce que j’ai entendu dans le film de Godard. Les chats s'appellent miaou en égyptien (cette langue ésotérique), mais ne font pas miaou. Passionnant, non ? C’est dire que le signifiant qui nous détermine dans notre relation aux chats nous empêche d’entendre vraiment leur langage. Peut-être avons-nous, également, un nom qui nous détermine et qui n’est pas tout à fait conforme au son et au langage que nous faisons entendre… (socialiste, par exemple, ou Martin, et là ça devient encore plus compliqué parce qu’il y a plus d’un âne, à la foire qui s’appelle Martin, et les Martin (un prénom) du film, portent le nom Martin, avec un prénom : JJ, qui n’est pas le prénom Henri, comme Henri Martin, le résistant dont il est question à la fin !) Godard, c’est de la linguisterie pour/avec les enfants ! Ma fille ne comprend pas, ça l’énerve. Et moi qui complique tout, en plus ! Elle en fait toute une histoire. Comme quoi, chez Godard, le je qui ne comprend pas, ça le touche beaucoup. Moi, je ne comprends rien à Godard, mais je m’en fiche : cela me parle, me fait pleurer ou rire. Il est le plus réaliste de tous les cinéastes, il me parle toujours de ce que je vis.

Les enfants

Car Godard est enfantin, comme Picasso ; il écoute les enfants, les filme : la vérité sort de la bouche des enfants, n’est-ce pas ? Ma fille prétend que les enfants, dans le film, sont horribles, disent n’importe quoi, volent (une casquette), etc. Bon, mais leur regard révèle bien des choses que les adultes ont recouvert depuis longtemps de discours et de petites musiques convenus. Godard filme aussi leurs gestes, parce que « montrer est plus important que dire », caresser ou s’endormir sur une épaule, courir, jouer, rayonner. Les enfants du films sont très charnels, lumineux, plus sensuels et amoureux que les adultes qui les entourent, ils sont caressants et caressés par la caméra, par la lumière. Cela rappelle, bien sûr, Tour Détour France Deux enfants. Les petits Martin, il y a fort à parier que ce sont des résistants, ces « interrogants » enfants, comme aurait dit Voltaire, des esprits curieux et des corps très présents, en mouvement, somme toute assez sereins, comme s’ils étaient prêts à prendre en charge ce monde qu’on leur laisse en morceaux, bien incompréhensible pour nous-mêmes.

On peut donc entrer dans le film par les enfants. Alissa, Alice au pays des merveilles, et son petit frère.

Linguisterie

On peut également entrer dans le film par la langue : « une langue peut se retourner contre elle-même », les jeux de traduction ou d’intraduisible : Goldberg, nom juif qui signifie montagne d’or, Hollywood, « la Mecque » du cinéma, organisée par des producteurs juifs, déjà une histoire entre Juifs et Arabes, alors ? Mais alors « tout le monde regard[ait] dans la même direction ». Entre polyphonie et cacophonie, Babel habite le bateau Costa qui traverse la Méditerranée.

Il faut écouter pour entendre les écarts entre les rumeurs, les conventions, le bruit (comme on dit en linguistique de tout ce qui parasite la communication) et la réalité encore inouïe du langage des hommes et du monde. Les langues, dans leur diversité, donc encore plus souvent à entendre qu’à comprendre : allemand, russe, français, italien, etc. Du reste, c’est étrange comme les langues nous parviennent comme bruit, comme musique et comme signe : l’allemand parlé avec rudesse fait tout de suite se projeter les images de la guerre, des SS, des criminels de guerre ; le russe, même réduit à l’état d’accent, s’associe à la figure de l’espion, etc. mais entendre une langue d’Afrique, sans sous-titre, c’est comme un appel d’air. Quelqu’un dit « on a encore laissé tomber l’Afrique ». Mais la croisière de Godard ne l’oublie pas, filmant visages et corps noirs avec bonheur et émotion, montrant la beauté, faisant entendre quelque chose d’inouï qui soudain en dit plus qu’un long discours : il nous reste beaucoup à entendre de l’Afrique, à commencer par ses langues. Cette femme qui filme, miroir du cinéaste, même si c’est pour la télé et pour le Journal, elle est l’actrice de quelque chose de neuf, par son corps, sa gestuelle, sa parole. C’est encore une enfant, entre objet (de désir, peu vêtue, belle à regarder) et sujet (qui filme, qui parle, qui se défend), elle semble avoir des images à inventer, elle est déjà une image nouvelle. Mais c’est peut-être par le son qu’elle nous réveille et crée cette nouveauté.

Je ne crois pas que Godard se traduise par des propositions à énoncer comme : la presse est ridicule, les journalistes et la télé sont à côté de la plaque, ils s’agitent pour rien, etc. Même si quelque chose comme ça se profile dans leur gesticulation assez burlesque. Il font partie du monde chaotique et bricolé/bricolant. Et ce sont deux femmes qui se bagarrent, ont une présence, forment une drôle d’équipe, cherchent quelque chose, ensemble et chacune pour elle-même. Elles sont plutôt l’objet d’une interrogation : « que font les médias ? », que d’un jugement. Elles sont peut-être plus intéressantes par ce qu’elles pourraient dire, raconter, en tant que personnages que par ce qu’elles prétendent « médiatiser » en tant que journalistes. C’est une façon de montrer, peut-être, que tous ces gens qui tentent d’analyser, d’informer, d’être « entre » des objets et des sujets, gagneraient à parler leur propre langue, à raconter leur propre histoire (qui fait partie de l’histoire du monde, comme JLG fait partie de l’histoire du socialisme et de l’histoire du cinéma). On ne sait pas non plus si toutes ces images prises par tant d’appareils photos et de caméras, tout au long du film, produisent essentiellement de la répétition, des gestes stéréotypés, du déjà vu, ou si la multiplication de ces images et points de vue finira par créer quelque chose. C’est un geste familier, montré, face au spectateur et à la caméra, mais sans qu’on en sache davantage. En général, l’image de l’autre n’est pas montrée, imaginée, me semble-t-il, mais seulement l’autre en train de prendre une photo. On ne peut pas se substituer à l’autre, voir à sa place, ou de sa place, mais on peut le voir regardant, et cela interroge sur cette multiplicité, ses manques et ses possibles. L’autre comme objet et comme sujet virtuel. Peut-être Godard montre-t-il aussi beaucoup de médias, des appareils, plus que leur objet dans le champ, comme s’il leur laissait la responsabilité de leur propre image, ou opposait le regard direct et le filtre, la frontalité de ses propres images (médiatisées par la caméra, cependant) et l’obstacle de l’appareil entre des sujets vus entrain de photographier, filmer, et d’autres sujets ou objets. Est-ce qu’on voit encore quelque chose ou quelqu’un, derrière tous ces appareils ? C’est toujours assez tordu le rapport entre le sujet et l’objet : par exemple, la jeune journaliste en maillot de bain, elle filme et c’est elle que nous regardons comme belle fille. Nous ne savons pas ce qu’elle filme. Quand Godard la filme, est-ce qu’il la transforme en objet (comme pour la remettre à sa place, ce qui serait méprisant ?) ou est-ce qu’il en fait un personnage, un sujet qui est plus intéressant que ce qu’elle filme ? Dans l’ambiguïté de l’image, c’est le son qui fait la différence : le sujet parle et n’est plus pris dans la réversibilité sujet/objet, il entre dans l’échange entre sujets, revendique son histoire.

Le bateau-image

Embarquement immédiat sur le bateau images, le bateau-monde, bruissant de la rumeur du monde, nous partons pour une croisière sur la méditerranée (sans Sarkozy, mais on y pense !), au cœur des enjeux contemporains les plus cruciaux, là où s’est faite et se fait encore une histoire difficile, qui est à la fois l’histoire du monde et l’histoire du cinéma, une histoire des images que la rumeur habite. Nous sommes tous dans le même bateau, ce bateau où l’on se divertit, où l’on parle, où l’on joue aux machines à sous, etc. L’image sublime par laquelle ce navire s’impose dès la première seconde nous dit bien qu’il est d’abord une image, des images qui ne cessent de nous mener en bateau.

Les images sont pour la plupart des traces, des images toujours déjà là, qui nous précèdent, parce que nous ne pensons qu’avec des images anciennes. Inutile de les refaire, il est plus important de les convoquer, de les mettre en pièces (à conviction) ou en monnaie d’échange, en morceaux de puzzle à travers lesquels nous passons. Véritable déconstruction, le film coupe, recolle, décolle, remonte une réalité qu’il faut arracher à la viscosité des idées et discours ambiants pour que cela commence à parler.

Entre les images déjà connues, des bribes d’images toutes neuves font l’écart (le quart) et nous réveillent. Le pont et la cheminée si jaune.

Mais alors, c’est quoi le socialisme ? Que dit ce film socialisme et non socialiste ?

Socialisme

Car le socialisme est bien au cœur du film. L’eau est un bien commun ; le langage, mais aussi les images, sont à tout le monde. Godard pioche dans toutes les images qui existent, comme nous tous, c’est un bien qu’il faut s’approprier, gérer de façon collective et collectiviste, c’est notre Histoire. Il termine son film sur la loi qui interdit de reproduire les images et la dénonce comme injuste, il se prononce pour le partage, le copiage, (je ne sais pas si son film est en libre accès), invite à continuer la ronde des citations. Résister, c’est parfois transgresser des lois, si elles sont injustes, c’est en l’occurrence pouvoir télécharger des images, des films, créer et recréer à partir de ce lot commun.

La reproduction est également une entrée. Le film commence sur l’image de magnifiques perroquets. Ils ne parlent pas, ne répètent pas, mais sont simplement deux, quasi identiques. Ici, dans un beau déplacement, la répétition passe du son (parler comme un perroquet) à l’image (deux perroquets qui se regardent en miroir). Des images dédoublées, le film en propose beaucoup. Par exemple, les deux chats continuent leur conversation dans une séquence enregistrée que regarde la jeune fille sur son ordinateur. La mère et la fille se regardent dans un miroir (mais nous ne les voyons que de dos, je crois). La dernière partie du film, Nos Humanités, reprend plusieurs images précédentes, traitées autrement, sur un autre rythme (vraies et fausses légendes, il faut sans cesse revenir sur ses pas, revisiter). La répétition n’est jamais inutile, la variation fait apparaître autre chose, on déplace. On n’est jamais sûr d’avoir bien entendu, bien compris, bien lu, il faut reprendre, hésiter, on bégaie. Le déplacement est une autre entrée. « Tout déplacement est une affirmation de soi », est-il énoncé au début, comme un théorème. Tout est déplacement ici : croisière, vagues, remous, mouvement des personnages, course, marche, merveilleux acrobates volants, travellings bien sûr, déplacements des mots et des images. Entre répétition et déplacement, que se passe-t-il ?

Peut-être faut-il entendre et voir assez finement pour déceler ce qui bouge. Il y a aussi ce qui ne bouge pas (clichés, représentations, activités de consommation, par exemple) à l’intérieur d’un bateau qui bouge : quelle que soit notre propre inertie, le mouvement du monde nous emporte et inversement, quelle que soit notre agitation, nous pouvons être pris dans une structure complètement bloquée. Le spectateur pourrait revoir le film trois fois, il ne serait pas encore certain que c’est bien ce qui a été dit, montré. Il y a à la fois des histoires, des discours, des idées, des bruits, des questions, c’est tout un monde. Les trois parties du film opèrent comme des changements d’échelle, on passe des microcosmes à des macrocosmes dont les mouvements et les révolutions doivent être observés en relation et avec des accommodations différentes. Le jeu n’est pas prédéterminé. Il y a de la résistance et des résistances. Ce n’est pas pareil, les psychanalystes le savent, et on ne sait pas toujours où se font les vrais changements.

Résistances

Il y a un certain provincialisme de la petite famille qui s’engage, au centre du film, de ses promesses, de son urgence et de ses déplacements (sur une voie de garage ?) de ses conversations par bribes, et autour, le monde assez opaque, est violemment agité : les guerres, la mer et ses tempêtes, le conflit israélo-palestinien et ses lointaines origines, une histoire du XXème siècle qui recommence toujours à la guerre 39-45, Hitler, l’antisémitisme, les criminels de guerre et ce qu’est devenu Israël aujourd’hui, l’or de l’Espagne volé en 36 et sa circulation occulte. Le socialisme, à l’échelle géopolitique, on dirait bien que l’escalier d’Odessa, le blocus de la Palestine, en symbolisent le martyr et les échecs. L’argent (ou l’or peut-être) est le maître mot, la guerre et la violence en sont les moyens et le cinéma le temple, Hollywood, et en même temps la contestation.

La résistance s’organise dans la famille, petite démocratie le jour des anniversaires : les enfants ont droit à un débat de vingt-quatre heures. Ils ont leur Nuit du Quatre Août, il y aura une nouvelle Convention. La famille est à la fois très figée et très décalée : papa fait les comptes, maman la vaisselle, les couples, papa et sa fille, maman et son fils semblent assez stéréotypés ; mais maman, en pantalons, a un corps d’adolescent avec ses baskets, sa fille semble beaucoup plus femme ; on ne sait plus qui se présente aux élections, papa ou maman, mais on voit bien qui est le plus présent.

Il faut se battre ? Une journaliste parle devant l’ombre d’un moulin à vent. Est-ce parce qu’elle brasse de l’air ? Un peu plus tard, le Don Quichotte (de Kozintsev, je crois) traverse l’écran. La résistance c’est quand même se battre contre les moulins, aimer les livres à la folie, rêver l’utopie. Chaque propos est en quelque sorte redoublé par une répétition ironique ou inquiétante qui donne une deuxième chance au sens (ou au non sens).

Enigmes

Puzzle donc, d’un monde par petits bouts, comme le titre, décousu, l’annonce : JLG Film socialisme, sans virgules, sans « et », sans rien qui couse, relie, présuppose les articulations. Le film comme socialisme, le socialisme comme film (comme on parle des grands récits) le socialisme est un film, un imaginaire cinématographique qui a pour références Eisenstein, et Rossellini. Le film est le socialisme parce qu’il met en commun les images et les références. JL…G : on comprend bien que le verbe avoir (j’ai) soit plus important que le verbe être. Est-ce ironique ? A-voir pour un cinéaste, c’est forcément une façon d’être.

On revient à l’entrée par le signifiant. C’est-à-dire la coïncidence entre le son et le sens, dans la langue. Hommage à Jakob-son. Et du son, on peut en entendre beaucoup, là encore sous forme de puzzle, des sons détachés, des bruits, des sons hors champ ou dans le champ, des dialogues qui correspondent ou non à l’image (dialogues redoublés et décalés comme une traduction pirate). Le film est très musical et dysphonique, amusant et étrange comme une langue étrangère qu’on ne sait pas encore traduire.

Du reste, il n’y qu’énigmes ici, depuis l’Egypte et son alphabet qui a longtemps attendu son Champollion, jusqu’aux énigmes d’Œdipe dans la famille Martin, et à toutes sortes de propos tenus comme autant de devinettes, proverbes et rébus. C’est donc un grand jeu sérieux, un parcours qui ne fait pas sens mais signifiance, invitant chacun à remailler son propre film dans le film, ou à se mettre en mouvement dans cette croisière merveilleusement agitée. Alissa ou Alice au pays des merveilles, ce n’est pas en 3D, c’est en chair et en lumière qu’elle nous accueille à bord d’un monde plein de bruit et de fureur (vous savez cette histoire racontée par un idiot et qui ne signifie rien) ! Mais comme toujours chez Godard, en plein chaos, il y a la grâce d’une arabesque, d’un trapéziste volant, d’une jeune fille épanouie ou d’un enfant joufflu, d’un bégaiement désarmant, d’un jaune à couper le souffle, et ça vaut encore la peine de vivre et de s’interroger.

Dominique Chancé