La fenêtre d'en face de Ferzan Ozpetek

fenetre d en face

Rome, 1943. Aux heures les plus sombres de la guerre, un jeune apprenti boulanger tue son employeur avant de disparaître dans les rues de la ville endormie. 60 ans plus tard, un vieux monsieur élégant, de l'argent à la main, erre dans Rome sans savoir qui il est. Un jeune couple, Giovanna et Filippo, le croise par hasard. Filippo le ramène dans leur appartement malgré les réticences de la jeune femme. Au fil des jours, elle se prend d'amitié pour cet homme solitaire et décide de découvrir son secret avec l'aide de son voisin d'en face. Les souvenirs commencent à affleurer. La mémoire de Davide se réveille. Au fur et à mesure que les événements tragiques qui ont marqué l'esprit du vieil homme ressurgissent, Giovanna et Lorenzo se rapprochent enivrés par leur propre attirance et captivés par l'esprit et le passé du vieil homme..

La fenêtre d'en face de Ferzan Ozpetek.

Dès sa sortie en salle en décembre 2005, ce film italien, amplement récompensé, connaît un vif succès : quatre David Di Donatello – l'équivalent de nos César français – dans les catégories Meilleur film, Meilleur acteur (Massimo Girotti), Meilleure actrice (Giovanna Mezzogiorno) et Meilleure musique ; trois Golden Globes italiens dans les catégories Meilleur film, Meilleur acteur (Massimo Girotti) et Meilleure actrice (Giovanna Mezzogiorno) ; ainsi qu'un prix du Meilleur réalisateur au 38e Festival du film de Karlovy Vary.

La fenêtre d'en face s’attarde sur le regard insistant et troublé d'une jeune femme, mariée et mère de deux enfants, vers une autre vie que la sienne. Dans l'immeuble, en vis-à-vis de son appartement, habite un jeune homme seul qui attise le manque et le rêve de Giovanna. Chaque soir, elle observe secrètement Lorenzo de sa fenêtre, prenant soin de ne pas se faire découvrir. Cet acte s'interprète comme un échappatoire à un quotidien familial et professionnel où le désir vacille.

Giovanna est un personnage agacé, énervé, à fleur de peau. Elle n'aime pas son travail dont la fonction est uniquement matérielle. Elle ne supporte pas la faiblesse de son mari et se montre souvent impatiente envers ses enfants.

La première scène du film actualise un autre contexte. Nous sommes en 1943 à Rome et dans un fournil deux hommes vont s'affronter violemment jusqu'au meurtre. L'homme le plus jeune s'enfuit dans les ruelles nocturnes.

Cinquante ans plus tard, nous retrouvons Giovanna et son mari Filippo en plein centre ville. Ils reviennent de faire des courses et se disputent. La tension du couple est palpable : l'un et l'autre ne se comprennent pas. C'est alors qu'ils croisent un vieil homme manifestement égaré et perturbé qui dit ne plus se souvenir de rien, ni de son identité. Filippo se montre soucieux de lui porter secours et propose de l'accompagner à la gendarmerie, là où Giovanna souhaiterait ne pas s'encombrer de cette situation.

A partir de là, une autre histoire commence : les personnages principaux du film sont réunis. Cet homme sans mémoire se retrouve au domicile de Giovanna qui, d'abord hostile, va peu à peu se montrer sensible et s'interroger humainement sur cette personne jouée par Massemo Girotti. Qui est cet homme ? Comment s'appelle-t-il ? Quelle est son histoire ? De quel mal souffre-t-il ?

Au cours de ses investigations, elle croise le chemin de Lorenzo, son voisin d'en face, qui lui propose son aide pour s'occuper du vieil homme. Quelque chose de troublant se noue entre Giovanna et Lorenzo autour de cette quête d'identité et de mémoire. Ce trouble s'accentue à la lecture d'une lettre trouvée dans la poche du costume de Davide Veroli, l'homme à la mémoire empêchée : une lettre d'amour douloureuse écrite il y a cinquante ans. Son contenu donne un écho poétique à ce qu'éprouve Giovanna et Lorenzo l'un pour l'autre, de leur fenêtre respective. Peu à peu, nous apprenons que Lorenzo observe aussi intensément Giovanna. Cette situation en miroir les révèle l'un et l'autre, là où chacun rêve de l'autre comme à ce qu'il manque à leur vie.

Quelque chose commence entre Giovanna et Lorenzo, quelque chose s'enflamme... Parallèlement un lien s’instaure, d'une aussi grande intensité, entre Davide Veroli et Giovanna dont le réalisateur nous dit que la véritable histoire d'amour se passe entre eux.

A côté de ces moments de grande perturbation psychique où Davide est happé par son passé tragique et ses souffrances, il a des moments de présence où il observe de manière bienveillante vivre Giovanna.

A la manière d'un analyste ouvert au manque et au réel du temps, il lui délivre quelques paroles à penser autour des questions de l'amour et du travail : ne pas se contenter de survivre et de rêver, exiger une vie heureuse, ne pas sacrifier sa créativité, savoir aimer après la passion.

D'une grande sensibilité, Davide voit aussi ce que Giovanna – aveuglée par son fantasme et ses frustrations – ne perçoit plus : ce qu'il y a de vivant et de chaleureux dans son quotidien et surtout la vie à côté de laquelle elle risque de passer.

Le film nous entraîne selon un rythme subtil et poétique d'une époque à une autre, d'un trouble à un autre, d'une mémoire à une autre, d'un sens à un autre, sans qu'il nous soit possible de déterminer l'orientation finale. Ce film fait la part belle à l'imprévisible et la fragilité du fil sur lequel repose nos choix d'existence. Ce fil sensible retentit de manière singulière pour chacun des personnages principaux au fur et à mesure de leurs rencontres et de leurs confrontations. La beauté réside dans l'avant et l'après subjectif qu'il en ressort chez chacun, notamment pour Giovanna.

Cet avant et après, ce basculement subjectif, sont magnifiquement représentés à travers une scène clef du film où la fenêtre et le regard prennent une valeur de délivrance. Alors que Giovanna retrouve Lorenzo au domicile de celui-ci, ils s'embrassent, donnent enfin corps à leur attirance mutuelle, l'acte sexuel est proche. Le jeune homme lui parle de son obsession pour elle ; de son attente ; de ses jours à l'observer de sa fenêtre. A ces mots Giovanna ralentit ses gestes, quelque chose l'intrigue, l'interroge.

"De quelle fenêtre ?", demande-t-elle.

Lorenzo la lui indique. Elle quitte son étreinte et pousse les volets de la fenêtre d'en face. De l'autre côté du miroir, il se passe alors pour cette jeune femme une prise de conscience décisive.

Ce film réalise un lien fécond entre le cinéma et la psychanalyse selon ces thèmes cruciaux : l'amour, la créativité et le basculement subjectif à la faveur d'une traversée du fantasme.

Il délivre à mon sens une belle et émouvante représentation à cette parole de Lacan : le fantasme est notre fenêtre sur le réel.

Une présentation du film se trouve ici :www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=53551.html

Il est également disponible en dvd