c'était hier, déjà..." Nouveaux contes fantastiques" Pierre-Georges Despierre

Paris covid quai de seine

NOUVEAUX CONTES

FANTASTIQUES

 

 

On est autorisé à sortir, moyennant un laissez-passer, que l’on doit remplir à chaque sortie. Mais bientôt le dé-confinement ; il est annoncé.

 

ANNEXES:

 

ATTESTATION DE DÉPLACEMENT DÉROGATOIRE

 

En application de l’article 1er du décret du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus Covid-19 :

Certifie que mon déplacement est lié au motif suivant (cocher la case) autorisé par l’article 1 du décret du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus Covid-19 :

 

Déplacements entre le domicile et le lieu d’exercice de l’activité professionnelle, lorsqu’ils sont indispensables à l’exercice d’activités ne pouvant être organisées sous forme de télétravail (sur justificatif permanent) ou déplacements professionnels ne pouvant être différés ; déplacements pour effectuer des achats de première nécessité dans des établissements autorisés (liste sur gouvernement.fr); déplacements pour motif de santé ; déplacements pour motif familial impérieux, pour l’assistance aux personnes vulnérables ou la garde d’enfants ; déplacements brefs, à proximité du domicile, liés à l’activité physique individuelle des personnes, à l’exclusion de toute pratique sportive collective, et aux besoins des animaux de compagnie.

 

Fait à ................................., le......../......../2020

(Signature)

 

Je soussigné(e)

 

Mme / M.

Né(e) le :

Demeurant :

.................................................................................................................................

 

......................

La rue, "jours J moins 2

 

 

Aujourd'hui j'ai décidé de sortir un peu plus longtemps, marcher dans la ville. J'espère être seul, à cette heure ils doivent être à table. Il est midi, le temps est doux, 25°C, le ciel un peu couvert, la météo de mon Smartphone n'envisage pas de pluie, aussi un simple veston suffit à cette petite promenade d'une heure.

 

Je contrôle que j'ai bien mon attestation de sortie dans ma poche droite et un flacon de gel hydroalcoolique dans l'autre avec deux ou trois kleenex, le masque sur le nez, un FFP2 acheté dès le début de la pandémie. Me voilà sur le palier, l'ascenseur, la porte extérieure, un coup de gel sur les mains souillées par la porte et les boutons d'ascenseur.... Me voici dehors à l'air libre et frais

que mon masque réchauffe un peu, mais je me sens enfin déconfiné ce matin. Je prends à gauche pour rejoindre le boulevard, je vois à quelques mètres de l'arrêt d'autobus deux femmes en causette, comme si de rien n'était, comme si la contamination n'existait pas, pourtant l'une d'elle que je ne vois au début que de biais, porte un masque blanc de profil, l'autre rien. Elles bavardent comme de vieilles copines l'une contre l'autre pour mieux afficher leurs sentiments je suppose; c'est à peine si avec leurs gestes, elles ne se touchent.

 

Arrivant à trois quatre mètres je les distingue en détail : une de plus de soixante ans, peut-être même, soixante-dix, de taille moyenne, vêtue d'une robe grise et d'une veste doudoune beige avec un joli foulard orange au cou qui égaye son visage aux cheveux blancs. Elle parle, gaie, volubile, sa comparse au masque l'écoute, attentivement; plus jeune, elle avait mis une veste à fleurs printanière sur un jean et une petite doudoune à col de couleur noir ou gris foncé, je m'approche passant par la chaussée où il n'y a aucune circulation et les regarde. J'avais envie de dire combien leur inconséquence, leur manque de sérieux pouvait être grave et porter la mort à une autre personne que son vis-à-vis, où la rencontrer elle-même et en être victime. Mais allais-je donner une leçon à cette sexagénaire qui n'a rien compris de la gravité de la situation que nous vivons ici ? Je détourne la tête, puis plus loin je le regrette. Je continuais mon chemin sur le boulevard, personne, sur le trottoir d'en face, jusqu'au commerce de bouche où une dizaine d'hommes et de femmes les uns derrière les autres attendent pour renter faire leurs courses; pas de voiture pour le moment; ceux-là au moins sont sérieux, la plupart portent un masque, les autres un foulard sur le nez.

 

Un bruit de plus en plus intense dans ce silence choque mes oreilles, une voiture arrive musique à fond hurlant du rock ou du rap, à plus de cinquante à l'heure, je me bouche les oreilles, puis le silence à nouveau, le véhicule devenu silhouette est déjà à la Bastille, franchissant ou brûlant le feu rouge qui balise l'approche du grand carrefour.

Une demi-heure passe je suis rue de Turenne, un couple arrive avec une petite fille d'environ quatre ou cinq ans, tous trois masqués, je me décale et passe sur la chaussée, arrivé à leur hauteur je ne peux m'empêcher de complimenter la petite "tu en as un beau masque ", elle se retourne et sourit. Ses parents sûrement le lui avaient confectionné, il ressemblait aux leurs. Plus loin, au milieu de la rue quelques joggeurs s'essoufflent sans masque, mais n'approchent personne; ce n'est pas comme ce type, jeune arrogant qui tient le milieu du trottoir et avance sur moi, semblant bien décidé à ne pas s'écarter, c'est moi qui cède et passe à plus de deux mètres du quidam en le traitant derrière mon masque de "jeune con", sera-t-il plus tard un vieux con aussi ? Je dois bientôt rentrer, j’ai fait mes deux kilomètres, et je n'ai croisé en fin de compte que peu de monde.

 

Environ de la moitié avec un masque et respectueux des autres; seulement quelques jeunes je-m'en-foutistes ou de vieux inconscients vaguent dans la rue comme par le passé : ces parisiens me déçoivent, seraient-ils si cons, ou immortels, ou les deux ?

La civilité ! A minima, on ne connaît pas.

Je comprends que respirer avec un masque n'est pas chose facile, mais c'est un petit inconvénient nécessaire; une habitude à prendre comme lorsqu'on respire à deux mille mètres d'altitude, où l'oxygène diminue et on s'essouffle plus vite.

Ici c'est notre gaz carbonique exhalé qu'on respire aussi, et qui nous gêne.

Il suffit de changer de rythme, on marche moins vite que d'habitude, voilà tout, de toute façon la vie va changer, le temps d'hier va décélérer.

Le monde d'hier est caduc, il faut en inventer un autre, mais lequel ? C'est trop tôt ; "il faut du temps au temps", comme disait un homme politique.

Je rentre, me déchausse sur le palier et mets mes chaussures sur la terrasse espérant les décontaminer, puis me lave les mains, une énième fois avant d'aller

à    la douche que je n’avais pas encore prise ce samedi, pressé de me déconfiner.

 

Une nouvelle vie commence !

 

*Le déconfinement, enfin : tout le monde se précipite dans la rue comme dans les commerces heureusement ouverts. Les masques sont trop souvent oubliés, mais le COVID, n’oublie personne, et l’hécatombe risque de réapparaître nous disent les médias, si on ne prend pas garde.

 

La rue, "J" plus 2

Le bruit est réapparu, le calme si dense que j'avais apprécié et qui m'avait adouci le confinement est terminé, la ville et ses mécaniques sortent des parkings, aujourd'hui quelques-uns mêmes osent klaxonner.

Les passereaux sur ma terrasse ont retrouvé leur rythme d'avant le confinement depuis que les corvidés et autres prédateurs sont revenus avec l'apparition du marché sur le boulevard derrière l'immeuble. Les pigeons remontent de la rue vers les toits et les balcons; la circulation sur les trottoirs et la chaussée leur a volé un espace inespéré, la nature recule, après une période de liberté.

Les piétons pressés ne me bousculent pas encore, d'ailleurs, ceux qui le sont, restent plutôt rares, la nonchalance des semaines passées va hélas passer aussi vite que le confinement nous parut long, et lent à surmonter. Toujours les mêmes personnes masquées de façons différentes, de tous âges, mais aujourd'hui les moins de 25 ans, vocable médiatique, se font remarquer par leur indifférence semble-t-il à la pandémie. Leurs rencontres m'inquiètent et me poussent à la réflexion plus qu'à les juger (jeunes cons). Car je me souviens qu'à cet âge, j'ai quitté mes parents pour courir le monde.

 

Alors je n'avais pas peur de m'aventurer, sans être aventurier; mais je ne me sentais pas immortel pour autant, seulement peu vulnérable, aussi me suis-je trouvé dans des situations au bout du monde, plein de ressort et d'initiatives, sans percevoir ce qu'aujourd'hui je considérerais comme risquées. Non à cet âge on ne voit pas l'importance des risques : tout à sa solution, on avance sans se soucier de ce qu'on va découvrir au de la de l'horizon : on verra bien, c'est le goût de l'aventure (et du risque).

 

C'est cela que je leur suppose aujourd'hui, les autres leur sont, non pas indifférents, mais différents : à eux de se protéger comme ils leur semblent bon, ils ne sont pas concernés au même degré.

 

Hier soir sur le boulevard longeant le bassin portuaire de l'Arsenal, plusieurs bandes de jeunes joyeux, garçons et filles, riaient, certains se tenaient par la main, tout en grignotant quelque glace, vu le temps qui était doux de nouveau.

 

Prudent, je m'écartais passant presque sur la chaussée malgré mon masque, comme un cosmonaute aventuré à côté de terriens qui ne les voyaient pas. Par contre, comme la semaine passée, des parents avec leurs enfants, des couples, des solitaires, tous plus ou moins protégés ou prenants leurs distances à chaque rencontre, terminaient leur promenade ce soir de week-end dans Paris.

Ça me rappelle une aventure, le long d'un champ de mine, il y a bien longtemps, après une guerre au proche Orient, où j'étais dans ce lieu insolite avec des éclaireurs de l'armée qui avaient balisé les abords afin qu'on puisse passer en toute (?) sécurité. Je me souviens d'un camarade qui était tenté de voir si c'était aussi dangereux qu'on le disait et : par goût du risque ou provocateur, il allait pisser là où était la limite du balisage faisant le fanfaron, il avait dix-huit ans, moi vingt-deux.

 

Eh bien c'est le sentiment qui m'imprègne, nous sommes sur un champ de mines le balisage de sécurité c'est l'ensemble des directives actuelles, les "recommandations" du monde médical. D'ailleurs si tous les médecins d'accord sur les grands principes, beaucoup se disputent les détailles devant un public profane à ce monde où d'habitudes les querelles restent vécues à l'écart des soignés, ce qui maintient le savoir et le prestige des soignants : car le transfert est important en médecine.

 

C'est la fin de journée, il est vingt heures, un nouveau rituel va avoir lieu : on applaudit à sa fenêtre le monde des soignants, pour les remercier et exorciser un peu de sa peur ou de son angoisse.

 

Pierre-Georges Despierre

 

 

Comments (3)

Portrait de Durussel Ami-Samuel

Ici, en Suisse, la vie continue ,aussi avec des mesures de confinement , mais la barre des 4oo cas ces jours est là.
Moi même , malade très sérieusement du Covid 19. du 26 mars dernier au 29 avril,fin de la physio, Et heureusement très bien en santé actuellement.
Mais je fais assez attention aux contacts publics.
Merci pour ces réflexions P-G-D.
Ami D.

Bonjour,
Bon, je comprends dans l'idée l'intention de la chose mais je trouve qu'il y a un décalage entre le titre "nouveaux contes fantastiques" et le contenu du récit. In fine, je trouve celui ci trop réaliste alors que le titre en appelle à l'imaginaire. C'st juste un point de vue, peut-être y a-t-il à produire un discours intermédiaire qui serait dans la nature du symbolique. Comme un pont, justement entre le réel et l'imaginaire. J'espère que mon commentaire sera constructif...

C'est une jolie histoire sur fond d'histoire réelle et difficile puisque nous le vivons tous et toutes la Covid 19 , avec des différences dûes à notre contexte et à nos moyens
Se mélangent le printemps et la mort à l'horizon, ce qui montre un certain désenchantement du monde , une forme de contradiction avec une saison qui s'éveille et donc nous appelle à la vie et ce" profiler" inquiétant