Une journée particulière

Françoise Dolto. Une journée particulière. Caroline Eliacheff. Flammarion

18.90 € 250 P

 

 

Au risque du grand public

 

Les tentatives pour faire la promotion de la psychanalyse auprès du grand public ont connu des fortunes diverses au moins en France. Chaque fois, elles ont été vues par les psychanalystes eux-mêmes avec beaucoup de réticences ou bien carrément moquées. Si le livre « Les mots pour le dire » le récit de Marie Cardinale de sa cure auprès de  Michel de M’uzan a plutôt été bien accepté, la tentative de Serge Leclaire avec Psychow a été l’objet de nombreux sarcasmes. Un autre ouvrage qui a pourtant permis à de nombreux patients de prendre le chemin des divans, « Les triomphes de la psychanalyse » de Pierre Dacco a beaucoup fait rire lors des dîners en ville.

 

Lorsque Françoise Dolto s’est mise en tête de parler à la radio en répondant aux questions des auditeurs d’Europe 1 puis de France inter (1976) la communauté analytique s’en est émue car c’était la première fois qu’une psychanalyste déjà reconnue comme une figure du mouvement, compagne de route  de toujours de Jacques Lacan, acceptait de se mettre à répondre aux auditeurs d’une radio à l’instar d’une Ménie Grégoire. Elle avait auparavant défrayé les chroniques avec ses ouvrages sur la religion[1], et la question se posait du tournant risqué qu’elle prenait au nom de la profession et sans lui demander son avis. En effet, les psychanalystes de tous bord se sont sentis engagés dans cette entreprise à leur corps défendant, une initiative qui bousculait les codes qui s’étaient progressivement installés dans la profession. Athéisme, discrétion, voire secret, population des patients plutôt éduquée, fortunée, adulte. Absence de conseil, écoute silencieuse et bienveillante.

 

Aujourd’hui, on peut faire un bilan contrasté des effets de cette aventure. D’un côté les initiatives de Françoise Dolto ont connu un succès public indéniable à l’instar des nombreuses écoles qui portent son nom ainsi que des multiples Maison Vertes qui se sont ouvertes dans toutes la France et supposées fonctionner suivant les principes qu’elle a proposés mais dont il est bien difficile de connaître le fonctionnement véritable. Côté négatif, loin d’avoir été entendue, sa pensée se trouve caricaturée, et même comprise dans une vision radicalement opposée puisque son nom est désormais associé au laisser faire et tout expliquer dans de longues palabres à l’Enfant Roi auquel aucune limite n’est opposée alors que c’est précisément l’inverse qu’elle n’a cessé d’expliquer à longueur de livres et d’émissions.

 

C’est très certainement cette situation qui a conduit Caroline Eliacheff à publier cet ouvrage qui s’adresse exclusivement au grand public, afin de raconter aux jeunes et aux moins jeunes quelle fut sa vie ainsi que les grandes lignes de sa pensée et de sa pratique avec les enfants. Le procédé utilisé celui de la journée de 1979 qui nous est racontée ici sert de prétexte à relater le parcours de Françoise Dolto et les grandes étapes de sa carrière afin, dans la mesure du possible, de renverser la tendance qui fait de Françoise Dolto le bouc émissaire de ce qui est hélas une situation que chaque praticien pédopsychiatre ou psychanalyste a souvent l’occasion de rencontrer au cours de ses consultations ;

 

On reconnaîtra à Caroline Eliachef le courage de montrer les difficultés et les oppositions qu’elle a pu rencontrer au cours de sa longue carrière. Les propos tenus lors de l’exclusion de l'IPA de Jacques Lacan  par Winnicott depuis quasiment canonisé, ont dû retentir longtemps à ses oreilles : « 1-vous êtes intuitive, c’est inutile voire nuisible en psychanalyse. 2 Les gens qui ne vous connaissent pas, ont un transfert sauvage sur votre personne. 3-Vous avez des idées sociales derrière votre recherche de prévention qui nous paraissent suspectes de communisme . Ne formez plus de jeunes ! »

 

C’est Serge Lebovici déclarant de son côté en 1963 qu’elle était inscrite au Parti Communiste (décidément), passait ses week-ends avec ses patients et qu’elle était devenue jungienne (l’injure suprême). Idem lors de la scission au cours de laquelle les injures à son encontre volaient bas, signées par Jacques-Alain Miller et Charles Melman.

On retiendra aussi les oppositions auxquelles elle dut faire face y compris de la part d’autres psychanalystes travaillant avec elle et amis de toujours, à l’instar de Bernard This et Pierre Benoit, ainsi que la relation étonnante qu’elle entretenait avec son mari Boris, l’homme de sa vie.

 

Au total, un livre qui vise à rétablir une certaine vérité contre la rumeur et ceux qui surfent sur celle-ci. Un livre qui je l’espère n’apprendra rien aux psychanalystes qui savent ou devraient savoir l’essentiel de ce qui se trouve dans ce livre mais qui rétabli auprès du grand public certaines données qu’il n’est pas inutile de rappeler.

 

[1] Les évangiles et la foi  au risque de la psychanalyse réédition Gallimard 1996