(nous rappelons que nous n'avons reçu cet ouvrage ni de l'auteur ni de l'éditeur) LLV

Difficile de ne pas être admiratif à la lecture du livre d’Élisabeth Roudinesco, Sigmund Freud en son temps et dans le nôtre, paru aux éditions du Seuil il y a quelques mois. L’ouvrage est parfaitement documenté, les sources nombreuses, en plusieurs langues — correspondances, biographies précédentes, archives diverses — sont répertoriées et citées. L’auteur est devenue l’historienne incontournable du mouvement psychanalytique et on est bien heureux de lire une biographie aussi complète, qui resitue clairement Freud dans son temps, dans son lieu et sa culture, avec un souci d’objectivité, loin des polémiques qui ont surgi naguère, tâchant de noircir la mémoire du grand homme avec des rumeurs qu’Élisabeth Roudinesco ne manque pas d’évoquer et de remettre à leur place, argumentant, archives en main, pour contrer la médisance et les allégations fantaisistes.

Elle n’écrit pas pour autant une vie de saint et laisse entrevoir le portrait d’un homme qui a pu hésiter, se tromper, aussi bien dans ses décisions scientifiques que politiques, dans ses relations familiales et amicales. Au bout du compte, cette biographie donne l’impression d’un grand livre, somme de savoir historique et biographique d’une grande objectivité, même si l’on sent chez l’auteur une certaine empathie, ou du moins un grand respect, une admiration pour l’homme et le penseur qu’elle étudie.

On voit se développer la psychanalyse dans son milieu, la Vienne du début du XXème siècle, milieu social, scientifique, idéologique, moral, culturel, comme une discipline qui tente de devenir une science et un savoir universel plutôt qu’une « science juive », même si la judéité de Freud et de maints psychanalystes ou sympathisants ne fait pas de doute.

Je renvoie pour son excellente présentation du livre à l’article de Christine Cerf, journaliste au Monde :

http://colblog.blog.lemonde.fr/2014/09/11/elisabeth-roudinesco-sigmund-freud-en-son-temps-et-dans-le-notre/

Le titre du livre est cependant un peu inexact car l’auteur n’aborde pas vraiment Freud « dans notre temps ». Il y faudrait un autre volume, tant la psychanalyse et Freud ont infusé tous les domaines de la culture contemporaine d’une part, tant les commentaires et relectures abondent, d’autre part. Élisabeth Roudinesco s’arrête à la mort de Freud et s’en tient, finalement, à la naissance de l’institution psychanalytique plutôt qu’à l’ensemble que représenterait la pensée de Freud. Si elle dessine la silhouette de Lacan, présent au XIV ème congrès de l’IPV à Marienbad, où il expose son interprétation du « stade du miroir » (p. 467-468), c’est pour reconnaître qu’il est encore jeune et que « personne encore sur la scène de l’IPA ne se dout[e] de l’impact qu’aurait un jour la refonte lacanienne de l’œuvre de Freud ». Élisabeth Roudinesco a consacré un autre livre à Lacan et l’on conçoit qu’il aurait été difficile d’écrire le livre de Freud en notre temps, compte tenu du travail de Lacan et de tous les psychanalystes qui, depuis Freud, se sont emparés de son œuvre. Il fallait bien se fixer des limites pour un objet qui n’en a peut-être plus beaucoup, tant il a gagné la société et les mentalités, les modes de pensée, dans tous les domaines, aussi bien artistiques, intellectuels que quotidiens.

Pourtant, le livre m’a souvent inspiré un certain malaise. D’abord, curieusement, malgré toutes les sources de première main, on n’y entend guère la voix de Freud. Les lettres sont souvent évoquées et très peu citées. Élisabeth Roudinesco a beau rendre hommage à la beauté de l’écriture de Freud et à son talent d’épistolier, elle ne cite presque aucun texte. On songe à la méthode des Massin dans leurs merveilleuses biographies de Mozart, Beethoven, Schubert, précisément basées sur les correspondances, et qui ne cessent de citer les textes originaux des lettres, carnets, y compris le fameux « rêve » de Schubert. On conçoit bien sûr que le projet ne peut être le même d’exhumer quelques textes d’un musicien ou d’accompagner une création elle-même entièrement passée par l’écrit. Autant renvoyer le lecteur à l’œuvre, certes. Cependant, certains passages de la correspondance, quelques formules des grands textes, auraient été bienvenus pour faire sentir cette beauté de l’écriture freudienne.

Finalement, c’est un livre qui, à force d’écarter toute complaisance, de se maintenir résolument dans une rigueur scientifique et historique devient froid. Mais peut-être l’auteur n’a-t-elle pas que de l’admiration pour celui qu’elle nomme très souvent, ironiquement : « Herr Professor », désignant par là l’excès de confiance et de pouvoir du maître. Cette réserve critique n’est pas sans vertu, mais elle contraint un peu le livre et je regrette de ne pas avoir été émue par la personnalité et l’histoire pourtant si extraordinaires et si touchantes de Freud, dans sa famille, sa quête, ses souffrances et ses ambitions, ses amitiés et ses fâcheries. Je me souviens avoir pleuré en lisant le Mozart, avoir partagé la colère de Beethoven, et je ne comprends pas pourquoi ce Freud devrait nous demeurer indifférent ou distant. Pourtant, j’ai eu de véritables émotions en lisant L'Interprétation des rêves, par exemple, à la fois stupéfaite par l’audace de pensée, la beauté de l’écriture, l’humilité et le courage qu’il fallait pour parler de soi ainsi, la fulgurance des intuitions, des associations, de tout le processus qui semblait à la fois si convaincant, si simple et si lumineux, ouvrant des portes magiques sur le rêve et l’inconscient tel que chacun pouvait le deviner en soi.

En fait, je crois qu’une biographie de Freud ne peut pas être une biographie comme les autres. On ne peut pas oublier qu’il a inventé la psychanalyse et on a tendance à utiliser, sans même le vouloir, les outils qu’il nous a légués. Il n’y a pas de biographie non freudienne après Freud, même si c’est dans le sous-entendu. Élisabeth Roudinesco n’échappe pas à cette évidence, même si elle prend toutes les distances possibles avec la psychanalyse, faisant une biographie historique la moins psychanalytique qui soit. Mais alors, il faudrait en revenir à une psychologie classique qui n’est pas nécessairement satisfaisante ? Du reste, l’auteur tend à faire une analyse plus ou moins achevée de Freud. Elle semble très contente, par exemple, d’avoir repéré une sorte de structure psychique qui met Freud aux prises avec la figure de l’ami/ennemi, ou avec Faust ; elle décrit amplement son rapport aux femmes, insiste sur son choix de l’abstinence dans lequel elle décèle une sorte de goût, etc. Sans véritablement faire une psychanalyse de Freud, ce qui serait risqué, et n’est pas son propos, elle en soumet les éléments au lecteur, afin de relativiser la théorie par la biographie, de restituer la vérité du personnage dans son histoire, y compris intime, de démystifier souvent cette grande figure de maître qui n’avait pas plus qu’un autre la maîtrise de son existence. Elle reste en quelque sorte au milieu du gué, entre biographie et psychanalyse, évitant l’une pour rendre l’autre objective, faisant un peu comme si on pouvait aujourd’hui, faire une biographie qui ne serait pas teintée de psychanalyse, y compris du fondateur de celle-ci. On imagine la difficulté de faire la biographie de Freud dans cette position inconfortable.

Je ne sais pas si le pari est réussi. Ce qui m’a fait sursauter et vraiment inspiré un malaise, ce sont les innombrables jugements d’Élisabeth Roudinesco, apparaissant soudain comme supérieure à son objet et le remettant à sa place, non seulement dans l’histoire, ce qui était louable, mais dans une échelle de jugements de valeur qui suppose une maîtrise assez vertigineuse. Combien de fois l’auteure dit-elle : « Herr Professor avait pris la bonne décision » (195), « Freud pensait à juste titre », mais également : « il se trompait lourdement sur Frink », 342), «  Preuve qu’il n’avait rien compris à la folie de Frink qu’il prenait pour un névrosé intelligent » (343), « L’expérience donna raison contre Freud, aux théories kleiniennes » (374), « Armé de sa psychologie œdipienne et de sa conviction selon laquelle les filles auraient conscience de l’infériorité de leur “petit pénis“ » (374), « Freud semblait méconnaître » (413), « Freud passait son temps à se contredire et à être en guerre avec lui-même » (374), « il ne cessa de se contredire au fil des années » (377), « sous l’effet de sa manie interprétative » (405). L’auteure se situe ainsi dans une position d’où elle sait ce qui était juste ou erroné, refait toutes les cures et relit tous les essais en triant le bon grain, sûre de son jugement.

C’est surtout à propos du complexe d’Œdipe qu’Élisabeth Roudinesco se montre réservée, elle attaque « sa fameuse structure œdipienne » et estime qu’il l’applique « sans percevoir les dangers de cette psychologisation de la vie psychique, qui finira d’ailleurs par sombrer dans le ridicule » (365). Il ne fait pas de doute, pourtant, que la question de l’œdipe est au cœur de la pensée freudienne et que la dénoncer comme ridicule, datée et aberrante, n’est pas sans conséquence. On se demande si l’on peut encore admirer le corps de la théorie freudienne après lui avoir retiré sa colonne vertébrale.

Le résumé de chaque livre de Freud, en quelques lignes avec une efficacité et une fermeté assertive déconcertantes, s’agissant de livres si complexes, dont on n’a pas fini de discuter le sens, formule par formule, produit un effet de sidération. On se demande par quel tour de passe-passe on peut ainsi prétendre donner la substantifique moelle de tant d’essais si importants et si subtils, qui posent davantage de questions qu’ils n’en résolvent et intéressent autant par leur démarche que par leurs résultats. Quand on a l’impression de n’avoir pas fini de méditer Le mot d'esprit dans ses rapports avec l'inconscient, Deuil et mélancolie, Au-delà du principe de plaisir, La Question de l'analyse profane ou Malaise dans la culture, y revenant périodiquement avec de nouvelles questions, y découvrant de nouvelles idées et de nouvelles énigmes, on se demande comment l’auteur peut en résumer la théorie en six lignes, avec une telle assurance. Si Lacan avait lu Roudinesco, il se serait épargné bien du travail ! C’est-à-dire que si l’on pouvait ainsi mettre à plat la pensée de Freud, on ne voit pas bien pourquoi elle nous travaillerait encore.

De sorte que si la pensée de Freud appartient à sa biographie, il me semble que, pourtant, il n’était pas possible de retracer la pensée de Freud aussi platement pour en faire l’histoire. Il est vraisemblable, cependant, que le projet ait été davantage de montrer que la biographie de Freud faisait partie de sa théorie et que cette dernière devait être historicisée, ce qui, avec une intention légitime, aboutit à un certain appauvrissement de cette pensée et de ses conséquences « dans notre monde ». Il aurait peut-être fallu indiquer des pistes de réflexion, souligner ce qui allait devenir la matière de tant d’enseignements et de discussions, d’engagements et d’approfondissements, sans entreprendre de résumer des livres aussi complexes et prétendre en donner le dernier mot, les refermer, en quelque sorte, comme s’ils étaient définitivement historicisés et dépassés, caduques autant que l’époque qui les avait vu naître.

Le récit des cures est encore plus surprenant. On comprend l’importance de ces récits qui font partie de l’histoire de la psychanalyse, de l’élaboration de son processus, de la théorie et en même temps de son phénomène social, les analysants formant un milieu avec les psychanalystes qu’ils deviennent souvent, et ceux qui les écoutent, se relaient à côté du divan, comme dans un vaste réseau social et affectif. Toutefois, on est souvent stupéfait des résumés qu’Élisabeth Roudinesco propose, retraçant en quelques paragraphes les histoires si complexes de ces cas qui, elle le sait puisqu’elle s’appuie sur une abondante littérature, ont nourri de nombreux livres et de multiples interprétations. Or, l’auteur est toujours parfaitement affirmative, jamais elle ne propose sa propre interprétation sous une forme interrogative, jamais elle ne présente sa lecture comme une hypothèse, comme une interprétation justement. Elle écrit toujours dans un style objectif, historien, comme si la vérité historique était indéniable, évidente, tandis que les vérités des psychanalystes, tâtonnantes et innovantes, pouvaient être maintenant mises en doutes, voire relever du « délire interprétatif » ou de « manies interprétatives ». Cette position d’historienne, dans ce domaine, est quelque peu surprenante et l’auteure se dédouane un peu aisément d’une critique de sa propre position. Peut-on faire le récit et l’analyse de ces cas sans être psychanalyste, ou sans revendiquer une position de psychanalyste ? De quel lieu parle-t-on ? L’histoire a-t-elle une position supérieure et transcendante qui permette de mettre à nu la vérité, y compris psychanalytique, de ces cas ? Élisabeth Roudinesco semble, en défaisant les cas de leur surnom et en les revêtant de leur vrai nom d’État civil puis en les resituant dans leur véritable contexte social, économique, historique, familial qu’elle met à plat, accéder à une vérité ultime des personnes qui se cachaient sous les formules plus ou moins énigmatiques de « l’homme aux loups », « l’homme aux rats », ou les prénoms de Dora, Anna O, etc. Mais le fait de découvrir en « l’homme aux loups » un dénommé Pankejeff, outre qu’on a l’impression soudain d’une certaine impudeur, ne rend pas plus lumineux son cas. Or, Élisabeth Roudinesco tire les conclusions de façon péremptoire : « (Freud) oublia donc que son patient souffrait d’une mélancolie chronique incurable, et il fit de lui un cas d’hystérie d’angoisse avec phobie des animaux, transformée par la suite en névrose obsessionnelle ou névrose infantile » (248), « Freud s’obstinait à le dire, mais rien ne le prouve » (415).

D’une manière générale, la discussion entreprise par Élisabeth Roudinesco avec Freud, sur l’ensemble des cures historiques et sur les concepts de la psychanalyse dont elle déconstruit l’élaboration au fur et à mesure de la vie de Freud et de l’histoire, est une sorte d’affrontement intellectuel avec un maître, dans lequel l’historienne semble toujours avoir raison. Les cures sont presque toujours un « fiasco » ou des demi-échecs, parce que Freud ne voit pas ceci, ni cela, oublie, est aveugle, etc. ; enfin, les psychanalystes ont l’air d’une bande de fous, plus névrosés les uns que les autres et noués dans un réseau social très serré et endogame. On se demande, finalement, pourquoi la psychanalyse est une découverte aussi importante et géniale, après tant d’erreurs et d’échecs, d’ombres et de folies, avec tout le romantisme noir, les fascinations faustiennes et les mystères qu’elle traîne après elle, en héritière du XIXème siècle.

Peut-on faire la biographie de Freud et l’histoire de la psychanalyse de l’extérieur ? J’en vois la nécessité intellectuelle, certes, et l’efficacité pour convaincre et enseigner. Toutefois, les vérités de la cure et la lecture des psychanalystes ont ceci d’étrange qu’elles ne peuvent pas se manifester sans transfert, c’est-à-dire sans que celui qui s’y aventure ne se trouve impliqué, qu’il ait ou non de la sympathie pour la psychanalyse. On est toujours plus ou moins analysant quand on lit Freud et ce qu’on y découvre, ce sont des questions sur soi, des questions qui nous traversent et dont on sent, en soi, la force, la vérité intime. Que Freud ait eu le fin mot de tel ou tel cas n’est pas alors essentiel, car à travers les cures, les textes freudiens, ce sont maintes formules, maintes questions qui touchent le lecteur et l’assurent d’avoir rencontré une vraie pierre de touche. C’est le travail sur un jeu de mots, les associations sur un rêve, l’élaboration d’une interprétation, comme méthodes et cheminements, qui nous ravissent, nous mettent à notre tour en mouvement, bien plus que l’exactitude ou l’efficacité de la cure dans son ensemble.

Du reste, lorsque Élisabeth Roudinesco déclare : il ou elle « ne fut jamais guéri(e) », on se demande pourquoi elle recourt à des formules à l’emporte-pièce dont on sait, à l’inverse, qu’elles ne rendent nullement compte de la complexité de la cure, de ce qui s’y joue, des apories de sa fin ou de sa non fin, de ce qu’il y a de réducteur à se référer à un système aussi contestable que l’opposition malade/guéri, quand il s’agit de l’analyse. On a pu éprouver soi-même à quel point, une fois la cure finie, peut-être, on n’en savait toujours guère plus sur ce qui s’était passé, comment s’était passé et où l’on était arrivé. On est simplement épuisé. Ou bien on a épuisé son désir. Et peut-être est-on toujours un peu fou ou névrosé, ou malheureux, ou peut-être est-on plus vivant, dans le vide et le rien que laisse la fin, ainsi que Catherine Millot l’a si bien exprimé à la suite de son travail avec Lacan ?

Je ne doute pas qu’Élisabeth Roudinesco ne le sache, puisqu’elle a une expérience de la psychanalyse à côté de sa pratique d’historienne ni même que son empathie avec Freud ne dépasse ce qu’elle en laisse supposer dans son écriture objectivante, souvent ironique et distante. Un simple coup d’œil sur son histoire dont Wikipédia fait le récit (mais peut-être certains éléments sont-ils erronés), permet de mesurer la grande proximité, y compris sociale et culturelle de l’auteure avec Freud. Mais cette « guerre » de Freud avec lui-même, ses « contradictions » qu’elle a bien fait de nous indiquer, Élisabeth Roudinesco les vit sans doute de l’intérieur, tiraillée entre construction historique et approche psychanalytique, se demandant par quel biais elle peut rendre la pensée et l’œuvre de Freud plus accessible et comment la protéger des mauvais procès. Il me semble qu’Élisabeth Roudinesco a tenu une position qui lui semblait nécessaire à un projet d’historienne et au dessein de soumettre Freud à un examen objectif, sans complaisance tout en le soustrayant aux procès malintentionnés. Ce faisant, toutefois, elle omet de démarquer sa propre position et ses propres questionnements, cheminements, réinterprétations, elle feint de parler au nom d’une vérité objective, dans l’illusion d’un discours de vérité historique qui devrait être lui-même mis en perspective et finalement, donne à voir un homme de son temps, certes, qui en eut les errements et les passions, et dont on ne comprend plus, au final, pourquoi il nous a si profondément bouleversés, dans notre vie et notre pensée.

Peut-être faut-il accepter que la pensée de Freud opère des clivages et que ses conséquences sur celui qui la rencontre soient telles que certains ne peuvent que la détester et la rejeter avec violence. On ne peut sans doute rendre cette pensée accessible à tous et j’ai, pour ma part, pu constater qu’aucune discussion sur Freud ne peut se situer à un niveau rationnel et objectif : il en va toujours d’emblée d’une croyance, d’une passion et d’un engagement. Tant pis ou tant mieux. Je préfère ce Freud qui divise et déchaîne la mauvaise foi ou les aveuglements mais qui est encore vivant qu’un Freud neutralisé qui, du reste, ne convaincra que les convaincus et qui n’a pas l’air plus important qu’Edison ou Pasteur. Il n’est pas question de s’accrocher à un mythe mais de conserver la puissance d’une pensée bien au-delà de l’homme et de son temps, une pensée telle que l’on ne peut en faire l’histoire sans tenir compte, justement, de ce qu’elle a transformé en nous. Certes, je crois qu’une biographie de Freud aurait pu être plus passionnée et plus émouvante. Freud mérite qu’on l’aime et qu’on s’engage pour lui, au risque de paraître candide aux yeux de ceux qui refusent toujours d’avoir un inconscient et un complexe d’œdipe.

Comments (1)

Portrait de Gárate-Martínez Ignacio

La théorie freudienne échappe à Freud qui ne l'a jamais reçue comme un objet fini, car aussi longtemps qu'il fut vivant il en était l'acteur et l'auteur.
Il n'est pas question de l'analyse de l'œuvre, pas plus que d'une biographie émotionnelle à la manière de celle qu'Anne Bermann produisit sur Marie Bonaparte, ou Jones sur Freud (panegyrique). Ici, il est question d'histoire des idées, replacer la biographie de Freud dans l'histoire des idées, situer le récit de notre histoire dans notre présent, tel est l'enjeu du livre : la prise de distance est respectueuse, car personne ayant lu l'œuvre de Roudinesco ne peut supposer un instant, qu'elle fut anti freudienne, ni même qu'elle put ne pas prendre parti. En revanche, dans le temps qui est le notre, toute notation affective dans le texte serait versé par les censeurs du côté de la complaisance coupable. La clinique psychanalytique et la beauté de son acte, se passent désormais dans les catacombes, les contre comme les pour s'adonnent à la psychologie et aux psychothérapies… C'est le temps des psychologues orienté.