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Psy de banlieue par José Morel-Cinq-Mars
En recevant cet ouvrage, jai failli crier au plagiat et intenter un procès à son auteur. Ça fait des lustres que je trimbale dans mes carnets ce titre : « Psy de banlieue » qui mirait comme bague au doigt pour un futur ouvrage. Mais voilà : cest pris et bien pris. José Morel Cinq-Mars sest emparée allègrement de ce signifiant qui lui fait un chapeau à ravir et elle en bricole une mouture de son style : « psydblanlieue », dont je ne peux que saluer linvention. Sont-ce ses origines québécoises, sa complexion naturelle à la légèreté et à lhumour, toujours est-il que cet ouvrage se présente comme une perle.
Dabord par sa forme. Passer par la fiction donne de la marge de manuvre. « La vérité a structure de fiction », nous confiait Jacques Lacan. Quant à Maud Mannoni elle va plus loin en promouvant carrément « la théorie comme fiction ». La « racontouze » chère à Georges Perec donne là son meilleur.
Sur le fond de louvrage, se coulant dans le lit dune forme joyeuse et souple, cest lhistoire fictive et donc plus vraie que vraie dune psy qui exerce dans des zones dites sans cible (euh ! sensibles, mon clavier a fourché). Une psy qui se commet dans les quartiers difficiles. Elle accueille principalement les bébés et leur maman et tant quà faire les femmes qui « tombent » enceintes. Elle les accueille en consultation, mais aussi elle va chez elles. Cest pas bête. Cest là que tout commence dans lhistoire des hommes, puisque nous sommes tous sortis dun corps maternel. Autant commencer par là où ça commence et là où ça commande, comme dit Hannah Arendt.
Cette démarche me fait penser à ce psy qui se trimbalait dans un vieux tube Citroën dans les années 80 et invitait des jeunes vivotant dans des caves dimmeubles de banlieue à venir causer dans son « divan à roulettes ». Bref il est des psy qui savent faire leur ce conseil de Paul Féval : si tu ne viens pas à Lagardère, Lagardère ira-t-à toi ! Il est aussi des psy qui saccoudent solidement sur lexpérience que la Polyclinique de Berlin dans les années 1920 entama avec le soutien de Freud, dune psychanalyse ouverte au plus grand nombre. Freud demandait aux analystes de réserver une séance sur dix gratuite pour les patients des milieux populaires qui ne pouvaient pas payer. Ce qui exige den passer par une éthique du paiement rigoureuse, soit quelle soit discutée avec les patients, soit quelle soit « prise en charge », comme on dit, par la communauté, ce qui est le cas de lauteur qui travaille à la PMI de Saint Denis. Si je puis me permettre une légère pointe critique, cest un élément de la clinique que lauteur laisse malheureusement en jachère. Or ce point, dans la vision dune psychanalyse ouverte et « incarnée », comme la présente lauteur, est crucial. En effet soit la cure est réservée aux bourgeois du XVIè (arrondissement de Paris, pas siècle, quoique ) lesquels du fait de combler sans cesse le manque par la possession, savèrent le plus souvent inanalysables : en gros ça ne leur coûte rien. Soit on pense une psychanalyse ouverte à tous et alors la question du paiement, ce que vaut pour un sujet de se confronter à la vérité, ne saurait être éludée.
Ce bémol étant apporté, on peut saluer la tentative de lauteur de rendre compte dune clinique à ras du quotidien, sans aucun fétichisme du cadre, ni des concepts. « Me sens comme Donquichotte sur le point de tourner le dos à ses moulins à vent : je viens de réaliser quune fois encore les collègues et moi, on est sorti du cadre » (p. 208). Cest justement en tournant le dos aux moulins à vent que lon mouline le mieux.
Le lexique qui clôture louvrage apporte sa touche dhumour, ce qui est sans doute le plus bel habit à faire porter à la clinique. Tout serait à citer. Je ne résiste pas à en offrir une touche, tel un bouquet. A loccurrence Rock and roll il est noté : « Dune certaine façon on est psydbanlieue parce quenvers et contre tout, on est des psys rock and roll. Ce qui nempêche pas certains de préférer Bach aux Stones et Mendelssohn à Led Zeppelin. »
Certes les référence sont datées, mais prenons-en de la graine pour soutenir cette psychanalyse bien ordinaire, comme Robert Charlebois (hommage aux origines de lauteur) célébrait un chanteur bien ordinaire.