Vacances. Moment de vide, moment où l’on ne fait rien sinon précisément en certains lieux chercher des « vacancies », des chambres vides que l’on s’empresse alors d’occuper. Car, comme chacun le sait,la Nature a précisément horreur du vide et s’empresse donc de combler celui-ci de diverses manières plus où moins profitable au corps, à l’esprit ou aux deux réunis.

L’angoisse face à ce temps subitement sans emploi est propice aux frénésies et conduit Daniel Sibony à s’exclamer : « Les vacances, quel boulot ! ». Les lieux jusque-là inhabités se transforment vite en ruche bourdonnante de musique et de bruit et il n’est pas jusqu’aux lieux isolés des monastères qui ne se transforment tout à coup en fourmilières à touristes régulièrement pourvus d’appareils photos et de guide de toutes couleurs et en toutes langues, modernes Babel.

C’est un peu ce qui arrive au sujet, objet d’étude que dans son nouvel ouvrage Guy Le Gaufey aborde avec son talent habituel, son humour et sa connaissance non seulement des travaux de Jacques Lacan qu’il possède sur le bout des doigts, mais chose plus rare, également instruit des philosophes qui se sont colletés à cette difficile question.

Qu’est-ce au fond qu’un sujet et quelle est donc la signification de la phrase célèbre entre toutes autant qu’obscure gravée au fronton de tous les cénacles lacaniens « Le signifiant représente le sujet pour un autre signifiant »

Cette phrase est loin d’être immédiatement compréhensible. Il faut tout l’art de Guy Le Gauffey pour l’éclairer et nous instruire du parcours de Lacan mais aussi pour situer la question dans la vaste série des philosophes s’y sont affrontés. La liste est longue en effet : d’Averroes à Foucault en passant par Thomas d’Aquin, Descartes, Renan, de Libera et bien d’autres encore. Qu’est-ce qu’un sujet ? Sujet de quoi ou de qui pourrait-on immédiatement ajouter . Sujet de l’inconscient en l’occurrence. Certes, mais encore.

Pour ma part, cela fait pas mal de temps – bientôt 40 ans – que j’attend que quelqu’un vienne un jour m’éclairer sur la question. Ce n’est certes pas pour cette raison que j’ai choisi d’occuper en partie mes vacances à la lecture de ce livre car enfin la chose aurait pu attendre encore un peu sans trop de dommage pour ma pratique clinique. Sans doute parce que je savais l’homme plein d’humour et qu’à le lire je ne risquais pas de m’ennuyer malgré le caractère parfaitement aride du propos. On croit à tort les logiciens gens de mauvaise compagnie avec lesquels il est préférable de ne point partager la table et le couvert, et qu’à tout prendre il vaut mieux boire seul qu’en leur compagnie ? Quelle erreur ! Guy Le Gaufey est tout d’abord sans révérence aucune à l’égard de Lacan ou de tout autre. Il en prend mais aussi bien, il en laisse et à bien des égards l’ouvrage s’avère tout aussi passionnant qu’un très bon roman policier et certainement aussi drôle même si parfois, comme on dit vulgairement, il faut un peu s’accrocher pour suivre les réflexions contenues dans le livre et que l’on ne saurait conseiller sa lecture à un psychanalyste débutant. Cette remarque posée, venons-en au contenu.

Le défi est bien ici de définir le sujet non pas positivement mais dans une forme de potentialité qui maintienne, pour dire les choses rapidement, le vide vide, chaque signifiant bien séparé des autres bien que reliés entre eux par ce sujet qui vient prendre place et ex/sistence précisément dans cet écart qui les sépare.

« Le sujet barré inventé par Lacan fonctionne pour finir comme une formidable pompe à vide, un instaurateur d’existence de par la contingence qu’il insuffle dans les liaisons signifiantes et pulsionnelles »

Comme toujours en pareil cas, le parcours vaut autant que la conclusion, qu’il s’agisse de la question de la réflexivité, de la « nature » de l’Autre, de la ( ou plutôt des) définitions du signe et du signifiant. Qu’il s’agisse tout aussi bien de la fonction phallique tout comme du virage de Michel Foucault après son archéologie du savoir ». Dans tous les linéaments de son travail, Guy Le Gaufey nous instruit sans nous lasser. Il termine avec cette question qui me le rend encore plus sympathique et qui est bien dans son style :

« À quoi me sert aujourd’hui cette batterie conceptuelle si familière que je ne sais plus bien parfois si je la professe ou seulement la récite ? (…) Pourquoi, face à cet étalage où, éclectique je pourrais faire mon marché à mon gré des jours et des besoins, je continue d’en pincer pour ce sujet presque ringard(..) ? Et de nous livrer un souvenir d’enfance et sa rencontre avec François Mauriac que l’on n’attendait certes pas en un tel propos. Belle confiance dans le lecteur que ce témoignage qui donne plus de corps à son argument.

Cette lecture et ce témoignage ont dû me toucher puisqu’en réponse ils ont engendré un rêve. « Je suis à la recherche de mon passeport (qui de fait a été un moment égaré quelques jours auparavant) Quelqu’un me le rend après qu’il soi passé entre plusieurs mains »

Ah, si l’identité, la consistance du sujet, pouvaient se trouver ainsi collée, constituée par un document officiel. Voilà qui nous simplifierait considérablement…l’existence.