Pour déconfiner la psychanalyse

Lettre ouverte à mes collègues

 

Peut-être la crise du coronavirus vient-elle avec plus de vigueur encore interpeller les pratiquants de la psychanalyse. Pourtant, depuis le Livre noir, il y en eu des interpellations.

Au delà d’y percevoir la seule mauvaise foi, quelques collègues y ont bien repéré un symptôme à penser et nous ont apostrophé : « Psychanalystes qu’avons-nous fait de la psychanalyse ? » (Merci A. Millet). Ce fut jugé « intéressant », fit l’objet de quelques colloques avant que chacun retourne à son cabinet. Dommage.

Nous avons continué de privilégier la cure ou ce qui lui ressemblait le plus, dans le confort de nos cabinets et ailleurs, remettant à plus tard de penser l’articulation entre clinique et citoyenneté. Pourtant, intégrer le cri de Winnicott « Un bébé ça n’existe pas ! », c’est soutenir aujourd’hui qu’un humain n’existe pas sans son environnement. D’autant que, maintenant, nous avons également intégré qu’il n’est point de frontière étanche entre réalité et réalité psychique. Et nous savons aussi à quel point le travail groupal ou communautaire, si pas politique, s’avère parfois plus soignant.

Freud, Lacan et les autres ne nous ont pas transmis une bible dont il faudrait éternellement faire l’exégèse, mais plutôt un mouvement dans une époque. Presque celui du « premier reptile qui a traîné son ventre hors de l’eau pour aller vivre sur la terre, sans poumons, et qui a quand même essayé de respirer, il était fou, lui aussi. N’empêche que ça a fini par faire des hommes. » (R. Gary).

Alors, comment faire pour retrouver ce mouvement ? Cet arrachement originaire.

Aujourd’hui la crise du coronavirus nous met au pied du mur. Allons-nous - éternellement plombés par la métaphore de l’or et du cuivre - nous contenter de proposer des entretiens individuels aux infirmières qui craquent, aux petits commerçants au bord du suicide ou aux livreurs qui chutent de leur vélo,… ? Nous savons qu’être psychanalyste ne peut se limiter à  faire des cures, mais se doit de réfléchir à ce qui pourrait être le plus opérant grâce à la prise en compte de l’inconscient. Parfois un divan s’avère nécessaire, pas toujours.

De nombreuses personnes sont décédées en maison de repos, autant de familles n’ont pu rendre un dernier hommage à leurs morts,… Certes, nous ne mettrons pas la focale sur les sentiments d’abandons de leur enfance ; nous savons que le traumatisme existe et qu’ici il dépasse le registre individuel. Au travers de ces proches endeuillés, des soignants rendus impuissants… c’est tout un corps social qui est traumatisé. Que faire alors pour en prendre soin ? Comment inventer des dispositifs de groupes ou soutenir des rituels sociaux, comme le suggère notamment D. Di Cesare (Consacrons une journée à un rite public pour commémorer les victimes du coronavirus) ?

La question n’est pas d’inventer rituels ou dispositifs du haut de notre savoir mais bien d’écouter, soutenir et contribuer à ce qui émerge. Á Bruxelles, les professionnels de la santé ont dressé une haie de déshonneur, tournant le dos à la première ministre venue les visiter. Ce type de geste collectif n’est-il pas d’or pour soigner les équipes ? Face aux traumatismes sociaux, nous aurons toujours à aller chercher leçon auprès des folles de la place de Mai.

Tout était déjà en place il y a six mois, le coronavirus n’est rien d’autre qu’une loupe sur les inégalités sociales, le capitalisme débridé, l’environnement saccagé,… et la psychanalyse trop souvent confinée.

Comme tout un chacun , nous sommes aux prises du même virus et une part de nous aspire à retourner au monde d’avant. Mais peut-il encore exister ? Était-il souhaitable ? N’étions nous pas déjà, nous aussi, dans une forme de déni ? Comment ne pas y retomber ? Nos institutions auront-elles la capacité de se réinventer et de soutenir, si pas susciter, ces questions ?

D’avance je remercie mes collègues qui prendront la peine de me répondre, quand bien même la réponse serait divergente. L’heure n’est pas aux berceuses.

 

Vincent Magos

Bruxelles, le 23 mai 2020