Annie Anzieu 1924-2019

 

Annie Anzieu

 

Dans la nuit du 9 au 10 novembre 2019, Annie Anzieu nous a quittés. Discrètement, dans son sommeil, sans souffrir espérons-le.

Nous la pensions éternelle, tant elle est consubstantielle à la psychanalyse française, au féminin, à la psychanalyse de l’enfant et de l’adolescent et, surtout, à notre SEPEA…

Nous voilà désemparés, tristes, soudain rappelés à l’ordre du temps qui passe et à la finitude humaine.

Elle laisse ses anciens analysants, enfants, adolescents et adultes, dans la peine, mais aussi dans la gratitude pour tout ce développement de l’âme et du corps qu’elle a permis en eux.

Elle laisse des ouvrages de référence, écrits seule ou à plusieurs, sur maints grands sujets de la psychanalyse : le corps et la parole, le féminin, la séparation et le détachement, les enveloppes psychiques, le travail en psychothérapie d’enfants – le jeu, écrit notamment avec sa fille Christine, et le dessin.

Et elle nous laisse nous, ses collègues, ses amis, ceux qu’elle a soutenus, enseignés, encouragés, promus, nous les membres de la SEPEA, qui n’aurait jamais vu le jour sans elle.

Je peux bien le dire, puisque nous l’avons rêvée ensemble et que le rêve est devenu réalité. En deux étapes : l’Association de Psychanalyse de l’Enfant (APE) tout d’abord, qui a vécu dix ans d’une belle et joyeuse existence pleine de découvertes et de bonheurs. La Société Européenne pour la Psychothérapie de l’Enfant et de l’Adolescent (SEPEA) ensuite, qui s’est voulue européenne et qui le souhaite encore, car nous avons cru aux potentialités d’une Europe humaine et sociale capable de transcender les intérêts financiers égoïstes et sordides qui s’y sont grossièrement invités en laissant une portion congrue aux idéaux d’échanges scientifiques et culturels.

Membre titulaire formateur de l’Association Psychanalytique de France (APF), Annie a œuvré à l’Hôpital de la Salpêtrière pendant des décennies prenant des enfants en psychothérapie analytique et formant des jeunes praticiens à cette compétence. Elle avait été introduite dans ce poste, inventé pour elle, par Daniel Widlöcher, qui nous a toujours soutenues dans notre combat pour la reconnaissance d’une psychanalyse de l’enfant à part entière.

C’est sous sa présidence de l’Association Psychanalytique Internationale (API) qu’Annie et moi avons été élues membres titulaires directs de l’Association Psychanalytique Internationale, pour la formation en psychanalyse de l’enfant et de l’adolescent.

Soucieuses de demeurer fidèles à nos deux Sociétés d’appartenance – APF pour elle, Société Psychanalytique de Paris (SPP) pour moi – nous avons choisi de placer nos énergies dans la transmission de nos compétences aux jeunes collègues qui se sont inscrits aux activités de l’APE, puis de la SEPEA, plutôt que dans la scission pour former une nouvelle société qui, selon nous, n’avait pas sa raison d’être.

Cette SEPEA, tu en as été maintes fois la Présidente – toutes les fois où j’en étais la Vice-Présidente – et vice-versa : l’important n’a jamais été le titre, et nous avons toujours partagé la fonction de présider à l’avenir de ce petit navire qu’est la SEPEA – selon le terme si bien choisi de Xavier Giraut, son actuel Président, que je remercie de m’avoir demandé d’écrire ce qui doit bien tristement s’appeler un hommage, et qui ne rendra que bien peu et bien mal tout ce que nous te devons, moi la première.

Et si notre chemin n’a pas toujours été sans obstacle, l’évolution de la société civile semble aujourd’hui nous donner raison : l’exigence métapsychologique de la méthode psychanalytique va devoir se frayer un passage de plus en plus difficile au travers des conditions économiques et culturelles de notre société occidentale présente et à venir, conditions qui ne permettent plus qu’exceptionnellement de proposer une cure-type, tandis que les besoins du monde en thérapie véritablement psychanalytique se feront de plus en plus aigus et tragiques. Sous peine de disparaître complètement, la psychanalyse va devoir, pour survivre, s’exercer principalement dans les eaux mêlées de la psychothérapie psychanalytique. Cela demandera à ses praticiens une rigueur de pensée conceptuelle à la mesure de leur souplesse d’adaptation à des conditions inédites. Or, Annie et moi avons toujours pensé que la meilleure formation pour devenir psychanalyste à part entière était l’exercice de la psychanalyse avec les enfants.

Annie, tu vas me manquer très cruellement, je vais devoir t’intérioriser encore davantage pour supporter de t’avoir perdue dans le monde extérieur, et je ne sais pas si les années qui me restent à vivre y suffiront, mais je vais m’y efforcer bravement, comme tu as toujours fait bravement face à l’adversité. Je le ferai aussi en hommage amical à Christine, ta fille qui t’a emboîté le pas avec toute son énergie et ses compétences, et avec laquelle je me retrouve pour mon plus grand plaisir au COCAP (Committee On Child and Adolescent Psychoanalysis) de l’API.

Parmi les quelques photos que j’ai de toi, chère Annie, j’ai choisi de transmettre à nos amis de la SEPEA celle qui a été prise par un passant à notre demande voici dix ans déjà – le 5 septembre 2009 – sur cette belle plage du pays d’Arcachon que tu aimais tant. On nous y voit heureuses d’être ensemble, ébouriffées par le vent des pensées en quête de penseurs et dynamisées par le soleil de l’été.

Évidemment, ce n’est pas une photo bien conventionnelle. Mais notre profonde amitié n’a rien eu de conventionnel, non plus que ce que nous avons voulu transmettre. Ce sera donc aussi le cas de mon hommage, chère Annie, que je te rends avec toute mon immense gratitude et mon affection sans bornes.

 

Florence Guignard

Chandolin, 11 novembre 2019