Les mots de Dolto

Au moment où la psychanalyse, victime de son succès, est sollicitée par les médias et suscite des attaques parfois justifiées, la parution, ces jours-ci, chez Gallimard de la correspondance de Françoise Dolto avec ses collègues, amis et patients – un événement - vient à propos nous rappeler la place de la psychanalyse dans la société et la position que Dolto a su y occuper. On y voit à l’oeuvre sa créativité et sa simplicité.
En se médiatisant, la psychanalyse risque de laisser penser que « tout est psy », que tout est analysable, et qu’il n’y a plus de différence entre la psychanalyse et la vie : on dérive vers la « psychanalyse sauvage », alors que l’analyse, au contraire, exige une forme de réciprocité, d’égalité dans l’accès à la parole : « Traiter ses patients comme des collègues », conseillait Freud.
De sa formation initiale à la psychanalyse d’enfants avec Sophie Morgenstern, Françoise Dolto a appris l’essentiel : ne pas donner de jouets à l’enfant, lui proposer le dessin et le modelage afin de l’accompagner progressivement à la parole, mais aussi mettre en jeu son propre imaginaire. Pas d’objet fabriqué pour l’enfant, pas de théorie préétablie dans la tête de l’analyste. Ecouter la nouveauté de chaque enfant, inscrite dans son corps initialement offert aux désirs multiples des parents.
Un autre apport essentiel de Dolto, c’est de donner la parole à l’autre pour bien entendre ce qui, jusque-là, est souvent resté inouï, au sens propre du terme. Cela implique une souplesse psychique chez l’analyste, incompatible avec l’embonpoint théorique, ainsi qu’un temps suffisant de parole pour que la séance puisse avoir lieu.
Dans sa pratique de l’analyse d’enfants comme avec les adultes, Françoise Dolto souligne également que la séance est le lieu de l’imaginaire où peuvent surgir les constructions, les fantasmes du patient, avec un début et une fin. Elle ne concevait pas de ne pas serrer la main de l’enfant ou de l’adulte à la fin de chaque séance, marquant ainsi le retour à la réalité pour le patient, et à la simple humanité de l’analyste qui, pendant la séance, n’est que le support des fantasmes de l’autre. Redescendre dans la cité à la fin de la séance, Françoise Dolto l’avait appris de son analyste René Laforgue. La psychanalyse n’est pas la réponse à tous les problèmes, elle le savait. Leçon importante à l’heure où l’on balance entre le tout-médicalisé et le tout-analysable.

Françoise Dolto, une vie de correspondances (1938-1988)
Gallimard, septembre 2005 (1020 pages)

Jacques Sédat Pour L’Express (15 septembre 2005)