Psychiatre, psychanalyste, Gérard Pommier est professeur de psychopathologie à l'université de Strasbourg, membre de Espace analytique, directeur de la revue La Clinique lacanienne et fonndateur de ta Fondation européenne pour la psychanalyse. Il a notamment publié : Comment les neurosciences démontrent la psychanalyse (Flammarion, 2004) et Les Corps angéliques de la postmodernité (Calmann-Lévy, 2002).

QUE VEUT DIRE « FAIRE » L'AMOUR ?

Pourquoi dit-on «faire» l'amour alors que cet événement nous fait plutôt que nous
le faisons? Un peu, beaucoup, passionnément... ou pas du tout, nous y sommes
poussés par une force plus grande que nous.

Ce livre explore les puissances qui animent ce moment, des plus pulsionnelles aux plus
culturelles. Il montre comment le choix du genre - se sentir femme ou homme-
est loin d'être conforme à l'anatomie et s'appuie sur une bisexualité psychique
souvent méconnue. Chacun se choisit un genre en refoulant l'autre qui devient le
fieu d'une attirance et d'un conflit, d'une «guerre des sexes» dont les péripéties
animent le désir. Cette guerre se retrouve dans toutes les formes de sexualité,
y compris - curieusement - dans les homosexualités.

Les mêmes corps savent ou ne savent pas jouir ensemble selon des circonstances
qui provoquent l'excitation sexuelle comme sa conclusion. Mais d'où tiennent-ils
un tel savoir? Sans les fantasmes dans lesquels un corps est pris, la jouissance
s'interrompt Comment la puissance du désir s'oriente-t-elle, marquée par la répétition,
bien au-delà du vouloir et de la conscience? Comment, enfin, existe-t-il une dimension
de perversité latente dans la normalité du désir et de l'érotisme? Car ce sont les
perversions qui donnent une clef, le mot de passe oublié d'une apparente normalité.
Dans ce rapport des sexes, la question du « devenir femme » prend une importance
de premier plan, tant la féminité est l'occasion d'un refoulement puissant, y compris
pour les femmes elles-mêmes.

Apres avoir démonté les rouages de la «machinerie sexuelle», ce livre aborde
sa partie la plus importante et la plus novatrice, celle qui concerne l'orgasme.
Ce moment si fascinant, au point d'aveugler, est resté de ce fait largement méconnu.
Si la recherche de ce Souverain Bien commande beaucoup plus que le rapport entre
les hommes et les femmes, on mesure qu'il y a dans cet essai un enjeu politique,
centré sur un ressort secret qui anime la Cité.
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Jean-Michel LOUKA
http://www.louka.eu
Compte-rendu pour Œdipe.org, de « Que veut dire « faire » l’amour », Paris, Flammarion, Bibliothèque des savoirs, 2010, 435 p. .

- Paris, le 28 août 2010.

Après une quinzaine de livres, écrits majeurs publiés de 1983 à 2009, on ne présente plus le psychanalyste parisien, de réputation internationale, qu’est Gérard Pommier, psychiatre, professeur de psychopathologie à l’université de Strasbourg, membre de Espace analytique, directeur de la revue La Clinique lacanienne et cofondateur de la Fondation européenne pour la psychanalyse. Que veut dire « faire » l’amour est ainsi son seizième ouvrage, publié chez Flammarion en cette année 2010.

Long texte de 417 pages, organisé en onze chapitres précédés d’une introduction, mais sans conclusion, il n’en fallait pas moins pour déplier cette étrange expression française de « faire » l’amour, alors que, d’emblée, comme le remarque l’auteur, c’est plutôt l’amour qui nous fait que l’inverse comme le laisse accroire une telle expression. Nous y sommes poussés par une force qui nous dépasse.

Gérard Pommier prend son temps pour démonter pièce par pièce les rouages de ce qu’il appelle la « machinerie sexuelle » : pulsions, désir, amour, fantasmes, plaisir, jouissance et tout spécialement l’orgasme (phénomène crucial étrangement laissé de côté, omis dans le discours depuis la nuit des temps culturels). Ils sont ici les pièces de choix, mais c’est avec l’orgasme – ce Souverain Bien comme il le nomme - que Pommier avancera la partie la plus importante comme la plus novatrice de son ouvrage, celle qui restera, sans doute et pour longtemps, un sujet de débat pour les psychanalystes. Gageons que ce ne soit pas pour eux uniquement. On pourrait être un peu gêné par quelques redondances ou répétitions au fil des chapitres, mais ces redites sont certainement nécessaires au lecteur pour articuler ces rouages et bien montrer leur fonctionnement, c’est-à-dire aussi – et non sans humour - leurs dysfonctionnements, multiples, compte tenu également des spécificités que présentent en ce domaine fondamental du sexuel les structures psychiques : névroses, psychoses, perversions, mais encore la mélancolie (on se souviendra ici du texte que Pommier lui a consacré à partir du « cas » Althusser [ La Mélancolie, Vie et œuvre d’Althusser, chez le même éditeur, 2009 (première édition 1998, mais sous un titre un peu différent ]).

Si le grand ordonnateur de tout cela est le phallus (se refuser à être le phallus de la mère, l’obtenir du père mais en ne cédant pas à sa séduction qui féminiserait trop incestueusement le garçon qui s’y refuse et la fille qui ne veut pas abandonner sa part de masculinité), si les pulsions dont le but, via leur activité à but actif, ou leur activité à but passif, est « d’identifier le corps au phallus » (p.229), ne laissent jamais en paix ou même au repos le sujet, si le désir se ressource toujours au manque, si l’amour vient tamponner tout cela mais réclame son dû dans un don impossible, ce sont fondamentalement les fantasmes, dans leurs contradictions internes mêmes, qui mènent la danse de l’excitation sexuelle et sans lesquels rien n’est atteignable : plaisir, jouissance,…orgasme. Mais les fantasmes, dits fondamentaux, sont, en fait, peu nombreux. Au nombre de trois : l’enfant battu, la séduction du (génitif objectif) père et le parricide. Le fantasme du parricide est sous-jacent à toute entreprise sexuelle comme le montre Pommier. Sans lui, le sexe, en quelque sorte, ne peut que rater, échouer, passer à côté de sa réalisation fondamentale et libératrice telle qu’elle s’effectue dans l’orgasme. Sa force toute particulière tient au fait qu’en lui la pulsion de mort trouve un « exutoire extraordinaire » (p.138) dans le meurtre du père.

Ces trois fantasmes fondamentaux sont ainsi les organisateurs du désir sexuel. D’autres se déboîtent à partir de ceux-ci, parfois par retournement, par exemple pour le fantasme d’abandon qui est le retournement du fantasme de séduction du père. On a ainsi, de déboîtement en déboîtement, un autre exemple, le fantasme d’adoption (avec un père adoptif tout serait-il permis ?, p.142), le fantasme de prostitution (le sexe moins l’amour, la femme objectivée, p.143), le fantasme amoureux (un raccord entre amour et désir, p.146, car l’amour est un destin de la pulsion et le désir dépend d’un fantasme, p.146). Cependant, le fantasme amoureux, dit Pommier, « […] fonctionne en ce sens comme un sous-ensemble tardif du fantasme du meurtre du père […] » (p.149). L’amour est une subjectivation du pulsionnel (p.162).

L’auteur s’interrogera sur le désir, sa puissance (d’où vient-elle ?), sa métamorphose par le complexe d’Œdipe, d’un désir qui « ne cède jamais » (p.185), d’un désir où, le temps de naître, son objet s’évanouit (p.185)…. Pour retomber sur le fantasme et sa répétition « sur place ». « Cherchant à se débarrasser d’un traumatisme qu’il reproduit dans son propre mouvement, le fantasme se développe selon des implications logiques qui soutiennent une seule cause : l’existence du sujet. » (p.190). Le fantasme a un âge et une durée de vie (p.201). Il donne lieu à une répétition restreinte ou à une répétition élargie (p.205). « On distingue ainsi une répétition restreinte de l’infantile (névrotique) et une répétition élargie (au sens où elle prend le large) qui cherche à inverser les contraintes de la première. Quand la répétition est restreinte, il s’agit du même scénario. Et quand elle est élargie, elle fuit cette mise en scène, qui reste son déterminant négatif, sans programmer ce qui va arriver. » (p.206). Le moteur de la répétition élargie est ce que Pommier nomme « contre-amour ». « Le contre-amour se situe au point de retournement de l’amour endogame vers l’amour exogame » (p.212). Le sujet doit passer à l’amour exogame, sinon, il reste enfermé dans l’amour des parents, car « l’altérité, c’est le sexe » (p.222). A chaque fois, à chaque passage, l’emprise de la perversion guette, non pas la perversion « vraie », proprement dite, mais la perversité névrotique. « Ce déplacement de la quête phallique entre le masculin et le féminin (dont le parricide est la condition) entraîne un refoulement de la « perversion polymorphe » de l’enfant. Il en reste une perversité ordinaire qui forme l’envers de la névrose et anime joyeusement, plus ou moins discrètement, la vie quotidienne privée, intime, comme sociale, publique. Elle se distingue de la perversion proprement dite, qui constitue l’activité monomaniaque d’un adulte.» (p.239)…Or, c’est le cas dans la pédophilie qui est un « avatar du désir « de » l’enfant » (p.243). « A quoi correspond le désir sexuel d’un adulte pour un enfant ? Lorsqu’un enfant devenu adulte désire des enfants semblables à celui qu’il fut, il continue sur la lancée de sa sexualité infantile : la perversion polymorphe se transforme en perversion tout court […] » (p.246).

Enfin,…l’orgasme ! Mais « L’orgasme, peut-être », chapitre 8 (p.265).
C’est à partir de la page 265 que l’auteur aborde la pointe de son frayage sur la question sexuelle et sa pratique abordées par la psychanalyse. A cette occasion, remarquons que ce « gros » livre de Gérard Pommier – tel que l’était, entre autres, L’amour à l’envers, PUF 1995, qui traitait du transfert, c’est-à-dire, en somme, de l’amour ; ici il n’y a pas de chapitre entièrement consacré à l’amour, mais ce sujet se voit traité au fil de plusieurs chapitres -, qui est aussi, assurément, un « grand » livre, une somme actuelle sur la question, me paraît, à la lecture, être plus de facture freudienne (69 occurrences, 31 références bibliographiques) que lacanienne (21 occurrences, 9 références bibliographiques). Nullement, cependant, Lacan n’est renié ou contesté, peut-être seulement un certain lacanisme qui se diffuse en répétant des antiennes comme le fameux « il n’y a pas de rapport sexuel », ou « La femme n’existe pas », que Pommier a raison de fustiger, car ces ritournelles ainsi répétées à l’encan finissent par obscurcir les questions qu’elles étaient censées définitivement éclairer !

L’orgasme : il existe manifestement une difficulté à en parler, de tous les temps, dans toutes les cultures. C’est très joliment et très justement à partir du livre de Yukio Mishima, La Musique ([1964], Paris, Gallimard, 2006) que Pommier aborde le sujet. « La musique », on le comprend peu à peu, c’est pour Reiko, l’héroïne, qui est présentée comme « un cas de frigidité féminine observé en psychanalyse » (p.267), comme cela qu’elle nomme ce moment de l’orgasme. Car l’orgasme est un mot « impossible à dire », il entre « en résonance avec le tabou du nom du père » (p.281). « Plaisir, jouissance, orgasme : voilà des termes qui n’ont pas la même incidence psychique, ni la même place dans l’histoire de la langue. » (p.281).

« Du côté masculin, l’orgasme est trop vite confondu avec l’éjaculation, simple décharge physiologique qui sonne la fin du plaisir. Quand il y en a un ! Car le plaisir masculin - pas plus évident que le féminin – est inconstant […] » (p.289). Et du côté féminin, Pommier de reprendre « le débat sur la jouissance orgastique féminine (vagin vs clitoris) » (p.293). Tout cela montre que l’orgasme reste parfaitement aléatoire selon les diverses circonstances de la vie, l’âge, les amants, mais toujours il a une origine infantile. Combien de comparaisons récurrentes ont été évoquées, décrites, mesurées, depuis Tirésias concernant ces questions de la répartition des parts de la jouissance selon les sexes, selon les genres… La question débouche sur la « guerre des sexes » à ce propos, actualisée par le « faire » de l’amour (p.317), mais elle n’est le résultat, au regard de la psychanalyse, que de l’incontournable « coappartenance d’un seul phallus » (p.312). « Les hommes s’efforcent d’avoir le phallus, au même titre que les femmes d’ailleurs, et leur désir les tient sans répit justement parce qu’ils ne l’ont pas. Ils cherchent à l’avoir en donnant ce qu’ils n’ont pas, ce qui, du coup, leur permet de prétendre qu’ils l’ont. Une sorte de Phallus Neid, une envie de phallus - masculine autant que féminine – obsède un désir qui ne va jamais sans un(e) partenaire susceptible d’en faire la preuve. » (p.314).

Le fantasme est là moteur irremplaçable. « Quelle est la visée du fantasme, sinon de libérer du traumatisme sexuel en l’actualisant grâce à un autre corps ? » (p.320). Mais « seule la part féminine de chaque femme jouit. Cela arrive ou n’arrive pas à quelqu’un, à une autre femme qui est elle-même à cet instant - dépersonnalisée par sa propre jouissance. L’orgasme n’arrive jamais directement à une femme, sinon par le biais d’un fantasme où elle jouit de ce dont elle se débarrasse : de la séduction d’un… [père !]» (p.321). Pour l’homme, « la jouissance d’une femme l’obsède comme s’il s’agissait de la sienne, celle qu’il éprouverait s’il acceptait d’en être une […] » (p.321). « Parce qu’ils se qualifient dans leur masculinité en refusant d’être féminisés par leur père, les hommes ne sauraient connaître cette jouissance, dérobée par principe au masculin. S’ils récusent leur féminisation, ils ne connaissent que l’orgasme que par femme interposée. Cette jouissance par procuration les libère un instant (l’onanisme ne parvient pas à ce résultat) en les assurant de leur genre comme de leur nom. Et la plupart des amants ne sont comblés que si leur compagne profite de ce qu’ils ne connaissent pas. Provoquer l’orgasme de leur compagne obsède nombre d’hommes, qui sont si peu intéressés par leur propre satisfaction qu’ils préfèrent se retenir jusqu’à ce qu’ils l’obtiennent. Prendre un plaisir seul serait honteux. » (p.321). « […] la femme devient le seul sujet de l’orgasme. Mais c’est un sujet sans nom. Une sorte d’amnésie d’identité qualifie le sujet de l’orgasme. Si bien que, impersonnalité d’un côté, dépersonnalisation de l’autre, le nom devient l’enjeu du rapport. » (p.322). « L’orgasme féminin vaut donc pour deux et prend une valeur incommensurable, s’il assure l’homme de sa propre identité : celle de son genre, comme celle de son nom qui - lui aussi – vaut pour deux. C’est le Souverain Bien, puisque le Nom commande la possession de n’importe quel autre bien. Ne faut-il pas qu’un sujet soit d’abord souverain de son genre et de son nom, s’il veut s’approprier quelque autre bien que ce soit, à commencer par son corps ? » (p.322).

L’orgasme est ainsi l’envers du parricide, comme le montre Pommier (p.323). « L’orgasme résout leurs contradictions [des fantasmes] en choisissant la solution qu’il ne faudrait pas : quitter le père. » (p.324). Et « un vœu parricide centre l’orgasme » (p.324). « […] ce fantasme parricide, si l’on appelle ainsi le geste qui se supporte de l’inceste tout en le reniant. » (p.325).

Pommier va faire dorénavant porter de plus en plus son propos sur le nom, la « prise du nom lors du complexe d’Œdipe » (p.350), puis, à l’âge adulte, en parfaite corrélation avec l’orgasme. « Le fantasme parricide est ainsi la doublure de l’orgasme, en même temps qu’une dépersonnalisation résulte de son moment, puisqu’il coïncide, du côté féminin, avec la perte du nom du père. S’opposant au père, une femme donne son nom à l’homme qu’elle appelle dans l’amour. Mais du coup, elle perd le sien.» (p.326). Car « le nom ancre le sujet » (p.331). Ainsi, dans la rencontre des amants, un homme (ou la part masculine d’un sujet) donne son nom, là où une femme (ou la part féminine d’un sujet), fait don de l’orgasme…aux deux. « […] pour ce qui concerne l’orgasme, il est du seul côté féminin. » (p.333). « Deux amants s’appartiennent à égalité, certes, mais ce qu’ils donnent diffère : orgasme d’un côté, nom de l’autre. » (p.334). Car « […] le nom est l’ancrage secret du sujet à son corps de jouissance » (p.334). « Mais, hélas, le nom n’est légitimé que le temps de l’acte. » (p.336). Et Pommier rappelle alors que : « Le rapport de chaque sujet à son nom lui pose une question cruciale, puisque le nom, pris au père à l’occasion du fantasme parricide, symbolise la pulsion de mort, celle-là même qui est en jeu dans l’érotisme. » (p.337). Le don va, dans ces conditions, acquérir une importance cruciale, car il est une subjectivation de la jouissance, « le don rend [le sujet] à lui-même » (p.340). Car « le lien importe plus que le bien. » (p.340) dans tout rapport de sujet à sujet. Pommier rappelle, à cette occasion que dol et don ont la même étymologie, ainsi tout dol appelle un don en retour. Et comme : « Après tout, l’enfant comme la femme sont offerts à la jouissance, objectivation qui appelle une compensation. Le don a rapport évident à la jouissance dans le rapport sexuel : une femme se donne. Faire l’amour jusqu’à son terme orgastique, c’est se perdre. » (p.342). Bien que, développe l’auteur tout au long de son ouvrage, l’orgasme soit aussi un don sans mesure.

C’est parce qu’il est, précisément, sans mesure que la femme prend alors un risque dans l’orgasme. « Comme une sorte de trou noir - envers du père mort – l’orgasme vaut pour les deux amants, mais seule la femme fait ce don, non sans prendre un risque, celui d’une dépersonnalisation. Les hommes évitent cette menace : comme le rapport sexuel les affronte à un père auquel ils s’identifient au moment de l’acte qu’il leur interdisait dans le passé, et comme ils prennent leur nom lors de cet affrontement, ils cessent ainsi d’être des enfants : ils renouvellent leur identification. En ce sens, lorsque l’acte sexuel légitime leur rapport au nom, il les angoisse moins qu’il ne les rassure. […] les hommes s’assurent d’un nom que les femmes perdent au contraire à proportion de leur jouissance. (p.351). Il y a un « arrimage du corps au nom » (p.351). Les hommes, dans cet acte, « légitiment leur nom ». (p.351). « Dans la sorte d’échange croisé du nom et de l’orgasme, la femme jouit pour deux, et le nom de l’homme vaut pour deux. » (p.351).

Du plaisir l’on passe à la jouissance, de la jouissance à l’orgasme (mais pas toujours). « […] l’infinité du mouvement actif/passif de la pulsion se transpose en masculin/féminin dans le fantasme de séduction, avant que le désir sexuel se déclenche. » (p.353) Et c’est par l’emprise qui s’actualise dans le fantasme fondamental que se fait le point de passage, avant que l’emprise, ensuite, n’apparaisse comme première… dans tout évènement amoureux.

Comment mieux faire sentir encore et résumer ce long texte qu’en citant, une dernière fois, Pommier, lors du paragraphe intitulé « L’orgasme, retour du refoulé » (p.358) ?
« La pulsion a voulu se décharger en s’emparant d’un autre corps. Elle a actualisé ainsi son destin, cette sorte d’avidité d’aller vers son abolition : elle a cherché l’emprise, et dans cette étreinte, son propre sujet s’est perdu. C’est sur le fond de cette perte que la machinerie fantasmatique s’est mise en branle, déplaçant l’anéantissement pulsionnel sur le terrain de l’excitation sexuelle. Pour l’être humain, l’actualisation du fantasme est ainsi devenue une question de vie ou de mort. Né de l’étincelle paternelle, le fantasme est « hors corps » et il prend le relais de la pulsion, qui reste toujours « du corps », mais pourrait le faire imploser. C’est dire que le fantasme et la pulsion courent à chaque instant, l’un refoulant l’autre. A chaque seconde la pulsion travaille le corps, le pousse sans savoir vers quoi, et à chaque seconde aussi, le fantasme cherche à libérer le trop plein. Le refoulé pulsionnel ourle constamment les dessous du fantasme comme l’envers et l’endroit d’une même surface. Il est à tout instant prêt à le déborder, ce qui se produit en effet lorsqu’une contradiction du fantasme entraîne une rupture de la tension. »
Ainsi, « […] et dans le même sens que le lapsus, que le rire ou le rêve, l’orgasme est une formation de l’inconscient. » (p.359).

Enfin Pommier montrera : « Ce qu’apporte l’étude de l’orgasme à la théorie psychanalytique » (Chap. 9, p.365 et sq.), en en passant par les homologies que présente la crise d’épilepsie avec l’orgasme et en en dégageant des invariants. Seront aussi abordés les aspects différentiels des différentes structures psychiques face à l’orgasme, mais aussi une autre homologie, elle « décalée », montre l’auteur, entre rapport de parole et rapport sexuel.

Le chapitre suivant, indexé 10, abordera ce qu’il en est advenu de « la névrose actuelle » freudienne, avec le fameux coïtus interruptus, dont Freud en faisait la cause majeure, et que Pommier, à juste titre préfère nommer coïtus déviatus, déplacé, donc… Viendra aussi à l’auteur de considérer que : « Les symptôme sexuels, écritures déplacées du rapport sexuel, se présentent comme une sorte de gel de l’orgasme, inhibant la pulsionnalité. Cette coquette définition du symptôme comme « orgasme gelé » - dit-il joliment – signifie qu’une jouissance s’empêtre dans son interdit, tout comme le « oui » de l’orgasme s’appuie sur le « non » à l’inceste, ou encore l’exogamie sur l’endogamie. » (p.398).

Plus difficile pour moi, ancien anthropologue, d’être, non pas « séduit » (sic !), par le chapitre 11 et dernier intitulé « A la recherche du Souverain Bien… moteur immobile de la valeur (?) » (p.403 et sq.), mais « convaincu » par les rapprochements d’éléments fondamentaux de champs épistémologiques différents tels que celui de la psychanalyse et celui de l’anthropologie. La pertinence et l’articulation des propos de Pommier semble pourtant sauter aux yeux, certes, mais le discours psychanalytique peut-il ainsi « envelopper » le discours anthropologique pour y trouver autant son miel que quelque chose qui, nolens, volens, serait de l’ordre de « sa » preuve… ? D’ailleurs l’auteur ne semble-t-il pas ici moins assuré ? Les signifiants qui lui viennent dans ce titre, tels que « recherche » (qui n’est pas « trouvaille »), « moteur immobile » (bel oxymore !), jusqu’à ce remarquable point d’interrogation entre parenthèses qui clôt ce titre, rende déjà l’écriture dudit comme un peu instable…
Par contre, au risque de me contredire, enchâssé dans ce chapitre 11, j’ai beaucoup aimé les sous-chapitres consacrés au don et à sa fétichisation et, tout spécialement, le sous-chapitre intitulé « Le sens fondateur du cadeau fait aux femmes », rigoureuse conséquence logique des propos tenus ici durant toutes ces pages étincelantes sur un sujet si crucial autant que contesté, spécialement lorsque la psychanalyse s’en empare pour y faire valoir ses justes droits à en parler.

On ne manquera pas de lire - intégralement, j’insiste - ce dernier livre de Gérard Pommier, qui marque fortement la position actuelle d’un psychanalyste sur le plus fondamental de l’Homme et qui a pour nom « le sexe». Non, décidément, l’Homme ne « fait » pas l’amour ; il est « fait » par lui, parfois « défait », « refait », « contrefait », « surfait » aussi… En tout cas, l’amour le fait, et non l’inverse, ce que l’on pouvait assez stupidement croire, communément, jusqu’à la lecture de cet ouvrage.

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