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Proust lesbien

d'Elisabeth LADENSON
Traduit de l'anglais (américain) par Guy Le Gaufey
Epel, novembre 2004,176 pages, 21 ?, ISBN : 2-908855-81-X

Longtemps, la lecture d'À la recherche du temps perdu a été hantée par l'idée qu'Albertine
serait « en réalité » un homme. Étant donné l'homosexualité de Marcel Proust, on a d'emblée voulu
lire dans Albertine un Albert transposé en femme pour des raisons de convenance. Toute une
théorie, dite « de la transposition », s'est alors échafaudée autour de cette idée, en s'acharnant à voir
dans Gomorrhe et le lesbianisme présents dans l'ouvrage rien d'autre qu'une image inversée de
Sodome, de l'homosexualité masculine, tenus pour seuls essentiels. Dans Proust lesbien, Elisabeth
Ladenson s'attaque ouvertement à cette théorie, en montre les inconséquences, en dénonce les
préjugés qui poussent à négliger bien des aspects de l'œuvre.

En mettant en relief certaines parties du texte souvent négligées - Mlle Vinteuil et son
« amie», 1' étrange sexualité de Morel (l’amant du baron Charlus), la passion de la grand-mère et
de la mère du narrateur pour les Lettres de Mme de Sévigné à sa fille, etc. -, Elisabeth Ladenson
montre à quel point la posture du narrateur est déterminée par l'énigme de « ce que les femmes font
entre elles », jusqu'à faire de cet inatteignable la tâche sans fin de la littérature.

Cette lecture singulière, nouvelle et dérangeante de La Recherche est l'œuvre d'une jeune
universitaire américaine. Elle se propose d'étudier comment le lesbianisme est devenu, vers la fin
du XIXe siècle et le début du XXe siècle, un élément récurrent de la pornographie masculine mise en
scène dans la littérature française. Le personnage de la lesbienne, de Baudelaire à Pierre Louys en
passant par Proust et d'autres, possède alors un puissant attrait érotique pour les hommes
hétérosexuels. Mais, la lesbienne se révèle, revers de la médaille, être l'objet d'une frayeur sans
nom, les hommes se sentant bannis de ce qu'ils conçoivent comme un plaisir inconnu.

Cette donnée contradictoire n'est pas l'apanage de la seule littérature : dans Goldfînger, le
personnage féminin central -Pussy Galore- n'est autre qu'une butch agressive... qui finit par
succomber aux charmes de l'hyperphallique James Bond. Ainsi, au fil de son étude de l'entreprise
romanesque proustienne, Elisabeth Ladenson explore-t-elle ce qu'elle nomme, dès son introduction,
le « syndrome Pussy Galore ».

L'identité lesbienne peut-elle se déprendre aujourd'hui de l'image qu'en ont d'abord donnée
les hommes pour leur propre compte érotique ?

Graciela BOUSQUET

0142098692

graciela.bousquet@noos.fr