Discours psychanalytique, discours lesbien

S RUE HUMM PAKB «e

Ombre de ton chien

Discours psychanalytique, discours lesbien
de Jean Allouch
88 pages, 4 illustrations, 12 euros

Sigmund Freud n'a consacré qu'un seul texte à l'homosexualité (féminine en l'occurrence), un court article, publié en 1920 et qui fut, l'on s'en doute, très souvent commenté, discuté, voire critiqué par ses successeurs — et Lacan aussi bien. Freud venait alors de décider d'arrêter le traitement d'une jeune fille,
conduite chez lui par ses parents (après qu'elle eut tenté de se suicider) pour qu'elle s'engage dans les voies normales de l'hétérosexualité. Cette jeune fille, c'est Sidonie Csillag, dont nous savons maintenant bien plus que ce qu'en avait dit Freud, grâce à Inès Rieder et Diana Voigt, dont le livre vient d'être traduit en français
et publié par Epel sous le titre

Sidonie Csillag, homosexuelle chez Freud, lesbienne dans le siècle

L'afflux de données nouvelles invite à réinterroger les propos de Freud, et c'est ce à quoi Jean Allouch consacre le second chapitre d''Ombre de ton chien.

Ne disposant pas de ces éléments, Jacques Lacan avait cependant déjà critiqué Freud, sa façon de mener cette psychanalyse, avait déjà indiqué pour quelle raison, selon lui, cette psychanalyse avait échoué.
En 1963, alors que l'on s'apprête à l'excommunier de la communauté psychanalytique, Lacan revisita ce cas désormais pris par lui comme pierre d'angle susceptible de faire valoir comment peuvent être dépassées les limites de l'analyse freudiennement conçue (le « complexe de castration »). Freud avait indûment pris, dans
cette analyse, une position paternelle. Après avoir, quelques années auparavant, considéré la tentative de suicide de la jeune fille comme la réalisation d'un désir d'enfant (elle « tombe bas », elle « met bas », niederkommen en allemand), Lacan envisage, en 1963, ce passage à l'acte suicidaire comme tenant au fait que la jeune fille ne peut affronter le regard courroucé du père (elle se suicide alors que, se promenant avec
son amie, elles rencontrent toutes deux son père dans la rue).

Dans sa présentation des remarques de Lacan, Jean Allouch indique quelles difficultés rencontrait alors Freud avec sa propre fille Anna, qu'il prend en traitement analytique en même temps que Sidonie Csillag, et elle aussi orientée sexuellement vers les femmes.

Lacan corrigeait donc Freud (les chapitres d'Ombre de ton chien s'appellent : corrections). Mais le voici à son tour corrigé (c'est la coirection II), ceci du fait de la parution de l'ouvrage Sidonie Csillag, homosexuelle chez Freud, lesbienne dans le siècle. Lacan est ici corrigé grâce à son propre travail, en usant
de sa distinction entre discours psychanalytique et discours du maître (en l'occurrence : le discours lesbien de Sidonie Csillag). Lacan n'aura pas vu que, loin d'être un cas de Freud, Sidonie Csillag était un maître, et un maître qui délivrait une leçon, dont la vie exemplifiait cette leçon (Socrate lui aussi, et bien d'autres avec
lui, faisait de sa vie une leçon).

Sidonie Csillag enseigne ce que Jean Allouch appelle « la chiennerie de l'amour », à savoir le fait qu'il n'est, pour un maître, pas de plus bel amour que l'amour du chien. Le chien aimant rend aimable le maître.

Aborder l'amour par ce biais de l'amour de l'animal (partagé par des millions de gens en France, donnant lieu aux États-Unis à de vertigineuses dépenses), cela n'avait encore jamais été envisagé.