Correspondance de voyage, 1895-1923
histoire de la pensée
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Pourquoi, donc, quittons-nous ce lieu idéalement beau et calme
et riche en champignons ? » s'interroge Freud, alors qu'il séjourne,
en compagnie de sa belle-sœur Minna, dans une petite ville du
Tyrol du Sud en septembre 1900. « Simplement parce qu'il ne nous
reste qu'une semaine à peine, et que notre cœur, comme nous
l'avons constaté, tend vers le Sud, vers les figues, les châtaignes, le
laurier, les cyprès, les maisons ornées de balcons, les marchands
d'antiquités...»

Le Sud ? Ce sera d'abord l'Italie. Rome, bien sûr, ses entrailles et
ses ruines. Mais bientôt, plus au sud encore, la route de toutes les
splendeurs, celle de Naples, de Pompéi, de Ravello, de Positano, de
la Costiera amalfitana, de Palerme et d'Agrigente. Prodigieux terri-
toires que Freud découvre la quarantaine venue, lorsque sa situa-
tion matérielle l'autorise enfin à voyager. S'instaure alors le rituel :

chaque année, fin août ou début septembre, lorsque sa femme et
ses six enfants ont pris leur quartier d'été, il s'échappe quelques
semaines à l'étranger.

De cette passion pour le voyage témoignent les 189 cartes posta-
les et les 56 lettres ici réunies en un volume splendide, vibrant de
découvertes fastueuses, de la beauté des sites, de l'émotion au quo-
tidien. Freud observe, note, décrit, s'enthousiasme et raconte à son
interlocuteur les surprises du jour. Le plus souvent, c'est à sa
femme ou à l'un de ses enfants qu'il s'adresse. Son Baedeker à la
main, il arpente les chemins de Sicile, déambule dans Rome, goûte
aux plaisirs de la bouche et de l'âme.

Viendra bientôt le tour d'Athènes. Mais il y aura aussi l'Angleterre
et les Etats-Unis. Car si le cœur de Freud tend vers le Sud, sa raison
le ramène inexorablement au Nord...

En septembre 1923, c'est avec sa fille Anna qu'il se rend à Rome
pour la septième fois. Voyage emprunt de nostalgie, visites haletan-
tes des musées. Freud souffre déjà du cancer qui remportera, loin
du Sud, à Londres, chassé par le nazisme, alors que le monde d'hier
a bel et bien vécu. Et ce voyage à Rome, sûrement le sent-il, est
pour lui le dernier.