La vérité historique selon Freud
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Né en 1966, Bruno Karsenti enseigne la philosophie à l'EHESS. Il a publié des ouvrages de philosophie politique et de théorie sociale, parmi lesquels Politique de l'esprit (Hermann, 2006) et La Société en personnes (Economica, 2006). Moïse recevant les Tables de la Loi, par Marc Chagall (1960-1966). Huile sur toile. Crédit photo : © RMN / Gérard Blot. ® ADAGP, Paris, 2012.

«PASSAGES» COLLECTION DIRIGÉE PAR JOCELYN BENOIST
Les juifs sont juifs en Moïse, qui ne l'était pas. Ainsi se résume la proposi-tion scandaleuse de Freud. Scandaleuse pour les juifs sans doute, mais aussi pour la culture occidentale tout entière, où la singularité comme la persis-tance de ce peuple se donnent toujours comme une énigme. De quoi est faite l'idée de peuple dont nous héritons ? Comment se transforme-t-elle depuis l'irruption monothéiste où interviennent conjointement les trois ins-tances du grand homme, du Dieu unique, et du peuple élu ? Questions qui deviennent plus insistantes encore lorsque les modernes en viennent à se définir, avec Rousseau, à partir de F« acte par lequel un peuple est un peuple » - non sans admettre que l'art du grand législateur est plus pour eux qu'un ancien souvenir, mais une source dont ils voudraient de nouveau bénéficier à l'heure où ils prétendent se donner à eux-mêmes leurs lois. C'est pourquoi, en dépit de l'incertitude qui plane sur son existence, le législateur mosaïque n'a de cesse de hanter la conscience moderne. En lui se mêlent deux interrogations : comment se constitue l'expérience politique occidentale, et quelle place vient occuper le peuple juif dans cette histoire, sachant qu'elle est évidemment traversée par des lignes culturelles hétéro-gènes, et marquée décisivement par le christianisme ? Une lecture du dernier livre de Freud permet d'affronter ces deux questions, pour autant que l'on s'efforce d'en restituer la portée politique.