Dieu croit-il en la psychanalyse?
Jean Szpirko, psychanalyste, est membre d'associations psychanalytiques françaises et sud-américaines, dont la Société de psychanalyse

Les mots les plus simples, les propositions les plus
abstraites portent toujours la trace d'une érotisation
qui caresse le réel. Reprenant le chemin de la décou-
verte freudienne et des commentaires de Lacan, Jean
Szpirko souligne comment la clinique psychanalytique
implique une autre façon de concevoir les symptômes,
le rapport au savoir, à la vérité, à Dieu... Il propose ici
de constituer une clinique nouvelle des structures psy-
chiques, exclusivement à partir d'une écoute singulière
de la parole ; la phobie trouve ainsi à se spécifier
comme un regard sur le monde, une structure à part
entière.

Dans cette démarche, il relance les questions relatives
au malaise dans la culture auxquelles chacun s'affronte
au jour le jour.

La psychanalyse ne propose pas de lendemain à
enchanter, mais offre à chacun l'occasion de repérer
comment il exprime et masque ses enjeux singuliers
sous l'éclairage et l'ombre des mots qui lui viennent : la
psychanalyse est une science de la singularité.

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Pour parler du livre de Jean Szpirko, « L’ombre des mots » (Edition Campagne première – 2008), je partirai donc de mon propre rapport à la psychanalyse, de ce à quoi j’ai été confronté quand j’ai entrepris cette démarche, de la difficulté, notamment, de trouver un ouvrage qui donne une vue d’ensemble, à tout le moins une idée de ce que peut être une cure analytique. A l’époque, je n’ai pas trouvé de livre qui permette, comme celui-ci, de questionner la spécificité d’une telle démarche, et de ce champ.
Aujourd’hui, alors que je me suis un peu familiarisé avec les théories de différents psychanalystes, je ne cesse d’y trouver des éclairages inattendus, que je peux travailler, puisque tout ce qui est avancé par l’auteur est minutieusement et progressivement étayé, et que, de plus, chose rare, il est très facile d’aller consulter les sources, puisque les références sont toujours données.

Au moment où je m’étais posé la question d’aller consulter un psychanalyste ou un psychothérapeute, je ne savais pas ce qui les différenciait, ce qui différenciait leurs pratiques.. Ce livre m’aurait été fort utile : chaque personne que j’interrogeais me répondait avec des arguments que, souvent, je ne comprenais pas, ou qui me semblaient très personnels, voire irrationnels.
J’ai enfin « trouvé » un analyste. Après quelque temps, j’ai cherché à comprendre ce qui s’était passé dans ma cure à la lumière de lectures, en participant à des séminaires, des groupes de travail, des congrès… J’y ai recueilli des indices qui m’ont été précieux, mais nombre de discussions, voire de conflits, à propos de tel ou tel point me restaient incompréhensibles.
Allant mieux, autrement dit souffrant moins, ce que je ne pouvais qu’attribuer à la cure, je ne comprenais toujours pas, en particulier, pourquoi les analystes tiennent tant à démarquer leur acte d’une « thérapeutique ».
« L’ombre des mots » me semble répondre très clairement à cette question, comme à bien d’autres : pourquoi la parole est-elle parée de tant d’effets, réels ou supposés ? Qu’est-ce qu’entendre, voir, écouter, interprèter, découvrir, inventer, comprendre ? Qu’est-ce que la réalité ? Comment s’articulent science et psychanalyse ? Quel rapport la psychanalyse entretient-elle avec la culture, avec les questions sans réponse ?
En ce sens, ce livre dérangera sans doute ceux pour qui la réitération de citations remplace l’exercice de penser. J’ai ainsi pu « comprendre » certains mécanismes et à quoi pouvaient servir certaines notions : qu’est-ce « qu’une clinique de l’écoute » ? quelles sont les fonctions dévolues aux usages de certains termes : au réel, à l’imaginaire, au symbolique, aux noms du père, … – ou à leur mésusage ?
Au fur et à mesure du texte s’éclairent ainsi la radicalité de la différenciation que Freud a opérée entre la psychiatrie, la médecine et une praxis nouvelle : la psychanalyse, et en quoi les formalisations de Lacan prennent appui sur le texte freudien. Le sous-titre « Dieu croit-il en la psychanalyse ? » trouve des échos dans la mise au clair des liens Dieu / réel, ce qui ouvre bien d’autres perspectives aux avancées de Lacan en permettant d’interroger d’autres disciplines.
Jean Szpirko détourne, tout en s’appuyant sur elle, l’appréhension « classique » des névroses, psychoses et perversions ; toujours préoccupé d’une clinique de l’écoute, toujours singulière, il précise - et donne la possibilité à chacun de repérer à son tour - des modalités de discours distinctives qui dessinent certaines constellations qui sont autant de conceptions du monde. Cela lui permet de proposer une nouvelle clinique dans laquelle la notion de structure est autrement déployée, la phobie trouvant là une place singulière, à part entière.
Ainsi mise à la question, la psychanalyse, se trouve vivifiée dans cet ouvrage, certes dense mais qui se lit aisément. Si ce livre peut être consulté avec profit au cours d’une recherche sur des points précis, il me semble toutefois beaucoup plus intéressant d’en respecter la chronologie ; le lecteur pourra éprouver alors le plaisir de suivre une pensée originale en mouvement.

Ion Stelios