LÉO BERSANI ET ULYSSE DROIT
Les secrets du Caravage
Édition revue par les auteurs et Marie-Magdeleine Lessana Traduit de l'anglais par Isabelle Châtelet 128 pages, 31 euros
Dans ce livre Les secrets du Caravage, Léo Bersani et Ulysse Dutoit, poursuivent la question de savoir s'il peut exister un mouvement non-sadique dans les rapports humains.

L'oeuvre du Caravage explore différents rapports spaciaux dans lesquels les auteurs déchiffrent des modes relationnels, affectifs, éthiques, politiques.
Leur interprétation part des premiers portraits de jeunes hommes aguicheurs, aux regards provocateurs, jusqu'au demier autoportrait sous les traits de Goliath décapité, la tête braquée tenue par un David vainqueur. Plutôt que de réduire les premiers portraits à un message homoérotique, les auteurs insistent sur leur caractère impénétrable. Ils mettent en évidence une tension entre une sollicitation érotique et des mouvements de dissimulation et de retrait, ce qui les amène à étudier l'invite énigmatique suscitant l'intimité.
L'incapacité à déchiffrer le « signifiant énigmatique » (Jean Laplanche) dépend elle même d'une certaine ignorance et d'une perception du secret présentes dans la sollicitation.
L'être retenu au moyen duquel l'autre s'adresse à nous serait ce qui le rend désirable.

Le Caravage expérimente un regard détourné d'un espace drconscrit par la fascination mutuelle « paranoide » pour des secrets imaginaires. La diseuse de bonne aventure et le Saint Jean Baptiste au bélier de la Pinacoteca Capitolina sont les exemples majeurs d'un déplacement de l'érotique vers un autre mode relationnel entre les corps. La sensualité non-érotique de ces oeuvres est analysée par les auteurs comme une extensibilité de l'être, sans cartographie possible. S'il reste des « secrets », ils ne relèvent pas de l'intériorité, mais de disséminations spatiales non figurables ; s'il existe encore une « dissimulation », c'est ce qui est visible au-delà du tableau et vers quoi le tableau oriente le regard.

La décapitation (motif récurrent) est la solution extrême que le Caravage trouve à la tête humaine en tant que signifiant énigmatique traumatique. En fin de compte, la décapitation est impossible : tout est lié à la totalité de l'être et indus en elle. Ainsi, l'analyse de l'oeuvre conduit les auteurs à esquisser une esthétique susceptible de ne rien devoir du tout au sacrifice et qui peut s'assimiler à une pleine acceptation de tout l'espace et même, dans la peinture,
à la« sanctification » implicite de tout espace.