comprendre l'autisme
La psychanalyse prise au mot
Henri Rey-Flaud est psychanalyste. Il enseigne la psychanalyse à l'université Paul-Valéry de Montpellier.Il est l'auteur de plusieurs ouvragesdont :" Et Moïse créa les Juifs... » Le testament de Freud (Aubier, 2006) et La Vérité. Entre psychanalyse et philosophie (avec M. Plon, Ères, 2007). L'enfant enfermé dans sa bulle par Alain Rubens Lire, juin 2008 • L'enfant qui s'est arrêté au seuil du langage Henri Rey-Flaud AUBIER 426 pages. Prix : 23 FF / 3 Euros. Dans cette étude brillante sur l'autisme, Henri Rey-Flaud montre l'ordre structurant du langage. En France l'autisme concerne plus de 13 000 enfants, dits «sans solution». Sans soins ni éducation particuliers. Des enfants au domicile de parents en souffrance. Les établissements et le personnel spécialisés font cruellement défaut. Dans notre société, tellement obsédée par la santé mentale, les neurosciences sont tombées sur un os car le gène de l'autisme se révèle aussi improbable et hypothétique que celui de l'homosexualité. C'est le pédopsychiatre américain Leo Kanner qui, le premier, en 1943, décrivit l'autisme infantile précoce. Solitude et immutabilité signent cette pathologie confondue, à tort, avec l'arriération mentale puisque certains sujets sont capables de stupéfiantes prouesses intellectuelles. Ces enfants vivent, reclus, dans leur coquille charnelle, une bulle qu'ils dessinent avec une rare obstination. Le moindre contact leur fait l'effet d'une effroyable intrusion et l'amour de l'Autre (la mère ou le thérapeute) est rejeté avec violence. C'est parce que ces enfants encagés dans un monde figé et sans futur vivent obnubilés par un objet pendant des heures - une boîte ou l'écoulement du sable dans leurs mains -, bétonnés dans cette fameuse forteresse vide évoquée par Bettelheim. Parents et pédopsychiatres connaissent cette débâcle du nourrisson, offert au mitraillage incessant des sensations. A cet âge d'avant le langage, tout n'est que confusion entre le dedans et le dehors, collage du petit corps au mamelon - véritable bouquet de sensations - de la mère dont la privation renvoie à l'anéantissement et à la mort. Privé d'enveloppe corporelle stable, ses gaz et liquides s'échappent comme dans une hémorragie incessante, menaçante que le tout-petit ressent comme son évidement. C'est un terrifiant tohu-bohu que le petit affronte en contractant ses orifices et sa peau. Une première victoire sur la détresse des origines. L'autisme, c'est cette invivable absence, pour tout humain, de bordures, de limites. Ce livre l'éclaire d'un sidérant point de vue clinique. Au moment de sa prise en charge, Maria-Louisa, âgée de douze ans, a des hallucinations. Elle se sent poursuivie par un essaim d'abeilles. Un jour, un thérapeute bien inspiré lui propose d'enfermer les abeilles et tous ceux qui lui parlent dans une boîte. Ce langage est tellement efficace qu'elle enferme son analyste dans son bureau. L'hallucination tombe, piégée par le mot. Le mot - puissance symbolique de la lettre - a enfermé les abeilles. C'est le formidable intérêt du livre d'Henri Rey-Flaud, psychanalyste et enseignant à l'université Paul-Valéry de Montpellier, que de revenir au socle anthropologique qui fait accéder le petit d'homme à l'ordre structurant du langage. Ce langage qui ordonne l'horrible confusion de la prime enfance, où le mot, par son invocation, tient la chose dangereuse à distance, qui projette notre être dans le passé, le présent et le futur. L'enfant autiste est resté, provisoirement, sur le seuil du langage qui, seul, rend le monde habitable. C'est la leçon que délivre, au nom de la psychanalyse, ce livre admirable. --- ----------------------------------------------------------- Henri Rey-Flaud « L’enfant qui s’est arrêté au seuil du langage ». Comprendre l’autisme. Aubier 2008. La psychanalyse prise au mot. L’autisme, sa compréhension, les soins que l’on peut apporter à l’enfant présentant le syndrome décrit par Kanner en 1943, constituent aujourd’hui, pour toute une cohorte de spécialistes de toutes obédiences, l’un des plus grands défis de notre temps. Il en résulte des affrontements parfois violents, le surgissement de théories plus ou moins farfelues et quelques cris prématurés de victoire, chacun supposant son approche plus pertinente que les autres. Les parents sont bien entendu très concernés par les solutions avancées pour faire face aux difficultés qu’ils rencontrent avec leur enfant et selon les lieux ou les moments, se raccrochent à telle ou telle solution leur paraissant la plus à même de les aider. La psychanalyse a longtemps fait cavalier seul dans ce domaine, bientôt rejointe par les avancées de la génétique, mais combattue par les tenants de théories de la communication regroupées sous le vocable un peu trop large de cognitivo-comportementalisme. Le livre d’Henri Rey-Flaud se place dans une approche uniquement psychanalytique et tente de faire une synthèse des apports des différents courants de la psychanalyse ainsi que des principaux livres écrits par des patients ayant témoigné de leur passé d autiste. Énonçant en introduction, les différentes énigmes que nous posent les comportements de l’enfant autiste, comportements dont nous avons du mal à percevoir la logique et qui laissent le plus souvent l’observateur seul avec ses questions, Henri Rey-Flaud nous propose un ensemble d’outils théoriques à la hauteur des enjeux de cette maladie. C’est sans doute cet aspect qui nous a paru le plus intéressant dans cet ouvrage, par ailleurs écrit avec clarté, dans une langue accessible. Mettant en lien les apports des analystes anglo-saxons s’inscrivant dans la filiation de Melanie Klein, Winnicott et Bion, avec les travaux de Lacan, reprenant les témoignages des patients, les nombreuses observations faites par différents psychanalystes, tissant un fil pour confronter ces observations avec les théories avancées, le livre déroule la pensée de l’auteur de façon fluide. Pour Henri Rey-Flaud, la compréhension des comportements autistiques passe par les étapes d’accession au symbolique au travers des aléas de l’accès de l’enfant au langage et ce à partir de l’océan de sensations indistinctes qui constituerait le point de départ de tout être humain. Parcourant le chemin avec ce dernier, il décrit les étapes qui font successivement passer l’enfant de la sensation indistincte à la perception avec laquelle il ne faut pas la confondre, celle-ci étant une création face à la perte de l’objet. Pour l’auteur l’enfant autiste est d’abord un enfant qui est submergé en permanence par un afflux de sensations indistinctes et envahissantes et c’est pour faire face à ce qui non seulement l’envahit mais aussi le détruit et risque de l’engloutir qu’il met en place les comportements déroutants que nous observons. Échappant en permanence au trou sans bord qui le précipiterait vers l’abîme il se défend de nous tout en gardant secrète une mince ouverture pour qui aura la patience de partir à sa recherche avec pertinence, persévérance et affection. L’intérêt de l’ouvrage d’Henri Rey-Flaud n’est pas contestable mais sa lecture appelle à mon sens un certain nombre de remarques qui n’en diminuent pas le caractère incontournable pour qui s’intéresse à ces questions. Tout d’abord le parti pris qui consiste à ignorer les avancées génétiques nous paraît regrettable. S’il est vrai que celles-ci ne sauraient nous fournir d’explications et encore moins d’aide dans le traitement de l’autisme au moins pour le moment comme d’ailleurs l’auteur en convient assimilant sa position à celle de Freud dans ce domaine, elles permettent cependant de distinguer de plus en plus nettement certaines formes d’autisme d’autres formes avec lesquelles elles sont pour le moment confondues. Par ailleurs les avancées d’autres disciplines ne sauraient s’opposer aux travaux psychanalytiques chacun ayant intérêt à mon sens à suivre, comme le font d’ailleurs nombre de psychanalystes, les développements des recherches des autres disciplines pour le plus grand profit de tous. Quant aux approches cognitivo-comportementalistes si elles nous semblent comme à l’auteur souvent tout à fait simplistes et à rebours de notre démarche, elles ne sauraient aujourd’hui être simplement ignorées ne serait-ce que pour répondre aux sollicitations des parents auxquelles ces techniques sont désormais systématiquement proposées voire imposées. L’autre surprise vient de l’ignorance des travaux déjà anciens concernant la gestation et la mise en route successive et progressive des sensations du fœtus, travaux auxquels nous avons-nous même participé il y a trente ans et qui ont été largement confirmés depuis. Ces données semblent ne pas avoir été reconnues ni par une large fraction de la communauté analytique ni par l’auteur qui place le début de la vie sensorielle de l’enfant et en conséquence le commencement de sa communication avec l’environnement à sa naissance. De même la position consistant à évoquer la naissance dans un cri comme premier refoulement si elle peut être comprise comme métaphore ne saurait correspondre à l’observation. Chacun peut aujourd’hui constater que l’enfant lorsqu’il est accueilli dans certaines conditions favorables ne crie pas. Enfin, on ne saurait accepter comme une donnée définitivement acquise l’existence d’une supposée unité psychique mère-enfant de laquelle l’enfant émergerait peu à peu et la seule relation orale comme lien à la mère. Cette position est certes dans la pleine orthodoxie freudienne mais cela vaut-il désormais de toute éternité ? Enfin la position d’Henri Rey-Flaud nous semble assez ambivalente en ce qui concerne tant l’avenir de ces enfants que l’importance de la mère comme grand Autre. D’un côté il laisse la porte ouverte à une éventuelle ouverture thérapeutique évoluant sinon vers la guérison complète du moins vers une nette amélioration comme en témoignent d’ailleurs les nombreux écrits qu’il cite lui-même. Mais d’un autre côté il affirme que ces enfants n’auront jamais accès au symbolique. Enfin s’il est clair que dans l’approche qui est la sienne le rôle du grand Autre est fondamental assurant à l’enfant son assomption dans le langage. Cette approche dont la pertinence est très grande pour un psychanalyste, ne saurait en retour avoir pour conséquence de sous estimer le rôle de la réponse de l’enfant aux sollicitations de sa mère. Le comportement aberrant et non intégrable psychiquement de son enfant la plonge le plus souvent dans un désarroi au moins égal à celui des soignants qui tenteront ensuite d’aider l’enfant à émerger de sa position autistique. L’oublier c’est lui faire porter un chapeau dont certains l’ont déjà affublée avec les conséquences que l’on sait. Il reste à ce stade un point d’interrogation fondamental : oui la mère joue un rôle mais elle n’est pas la seule. Elle doit faire face à une difficulté inattendue dans son lien psychique à l’enfant. Qu’elle ne sache pas y répondre mieux que la plupart d’entre nous ne devrait-il pas nous apparaître comme une donnée fondamentale dans la compréhension de leurs échanges. Enfin on regrettera qu’il ne figure dans l’ouvrage aucune indication concernant la conduite de la cure. Toutes ces questions et bien d’autres se déduisent de la lecture de l’ouvrage et ce n’est pas son moindre intérêt que de les susciter et de contribuer ainsi au grand débat qui se poursuit activement dans de nombreux cercles de travail où les psychanalystes sont à leur place et très actifs dans les recherches concernant l’autisme. Ouvrage important donc mais qui ouvre le débat plus qu’il ne le clos. LLV.

Henri Rey-Flaud

Lenfant qui s'est arrêté
au seuil du langage

Ce livre est dédié aux parents et aux soignants qui
accompagnent dans la vie un enfant autiste. L'auteur a
voulu éclairer la route tourmentée sur laquelle ils sont
engagés, en montrant que cette affection n'est pas un
déficit mental irréversible. Les observations les plus
récentes des cliniciens lui ont permis d'établir que les
autistes sont en réalité arrêtés au stade primordial de
la vie, dominé par les sensations, stade où déferlent en
permanence sur le nourrisson des flots d'excitations
anarchiques et insensés. Pour émerger de cet état primi-
tif et accéder à l'espace plus élaboré des perceptions,
l'autiste attend seulement d'être relancé dans la dyna-
mique du langage à laquelle les autres enfants sont intro-
duits spontanément, sans difficultés majeures.

Le défaut de communication, expression la plus mani-
feste de renfermement de l'autiste, révèle alors qu'il
peut être corrigé et le contact avec l'entourage restauré.
Mais il faut pour cela avoir reconnu la nature des
processus psychiques qui régissent normalement les
premiers échanges entre le nourrisson et les parents,
afin d'identifier le type de court-circuit qui, à un moment
donné, a coupé l'enfant de la possibilité du partage.
Redonner leur sens aux conduites aberrantes et souvent
rebutantes des enfants autistes et, à partir de là,
comprendre pourquoi ils ont échoué dans la relation
vitale à autrui est aujourd'hui rapproche la plus respec-
tueuse des sujets prisonniers de cette condition doulou-
reuse, en même temps que la seule véritablement
susceptible de les réintégrer dans la communauté
humaine.