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lecture critique : Dire que je me sens de la « gratitude » envers G. Haddad n’est pas un vain mot. Ses livres arrivèrent à point nommé pour m’instruire d’un minimum de notions relatives aux traditions judaïques. Toutes choses que je pus mettre en lien avec l’histoire de ma famille maternelle juive, intellectuelle, « athée », et avec mon parcours personnel. Bref, je découvris par le biais de ces révélations érudites de Haddad une forme de « refoulement » des origines familiales, refoulement par pure omission. On n’«en » parlait pas. Ca ne voulait pas dire que « ça » n’existait pas « quelque part ». L’aphorisme lacanien, « Ce qui ne se dit pas dans le symbolique se retrouve dans le réel », prit là tout son sens pour moi. Et que « L’universel » - concept souvent employé comme étendard vengeur quand on veut faire marcher tout le monde au même pas, et couler tout dans le même moule – « L’Universel » ne peut s’atteindre qu’à reconnaître les particularités et singularités. Rien ne sert de «faire table rase du passé ». N’est-ce pas du reste l’un des messages fondamental de la psychanalyse ? Par ailleurs, et ce n’est pas le moins important, Haddad m’éclaira sur les liens entre judaïsme et psychanalyse, par les enseignements lumineux de «l’enfant illégitime ». Aujourd’hui enseignante, et en «formation analytique » (si tant est que cette idée soit recevable…), le mot « étude », qui est la signification du mot « Talmoud », dérivé de « Talmud », revêt bien plus qu’un sens social pour moi. C’est ce travail judaïsme/psychanalyse qu’Haddad se reprend à tisser dans Le péché originel de la psychanalyse. Et son sujet d’étude trouve à nouveau opportunité pour moi. J’ai eu envie de lire ce livre, non plus parce qu’il interrogeait l’intimité de mes origines familiales, mais bien plutôt l’épineuse question, très publique et actuelle, de la transmission analytique, par laquelle je suis concernée aujourd’hui. On n’«en » parle pas. Ca ne veut pas dire que « ça » n’existe pas. Est-ce donc ainsi pour la communauté analytique ? Haddad, dans son nouveau livre, semble dire que oui. Quelque chose ne s’énoncerait pas à propos des origines juives de la pratique analytique, quelque chose qui ferait retour dans le réel dans le fonctionnement actuel des institutions analytiques., quelque chose qui ferait retour dans le réel dans le fonctionnement actuel des institutions analytiques. G. Haddad s’appuie pour sa réflexion sur les «perches » judaïques que tendit fréquemment Lacan de son vivant en incitant les analystes à réfléchir à ce «refoulé » freudien. Refoulé, qui, faut-il le rappeler, avait aussi sa «bonne raison » consciente : Freud l’universaliste voulait éviter de faire de la psychanalyse une « science juive ». Il voulait la protéger des attaques antisémites qui auraient pu tomber sur elle si cette fameuse «origine » avait été trop mise en avant. Bref, il faisait ainsi œuvre de militance laïque et rationnelle. Par ailleurs, il s’agit aussi d’un refoulement intime, et plus inconscient, propre à Freud lui-même, qui ne pu faire autre chose (ou si peu, avec Fliess) qu’une auto-analyse. Celle-ci laissa bien des questions en suspens, et pas des moindres, dont celle des origines juives de son inventeur. Lacan, fort de son intérêt pour la psychose, eut probablement l’intuition que ce genre de « silence » sur l’origine peut à l’inverse coûter fort cher. Tout laïque que l’on soit, il vaut toujours mieux mettre sur le tapis les questions religieuses, ou les convictions et/ou attaches culturelles, travail de vérité qui est la paradoxale condition d’une solide laïcité. G. Haddad propose un parcours foisonnant et instructif, où les liens et l’intérêt de Lacan avec le judaïsme sont mis en relief : son «excommunication » de l’IPA en 1963, se comparant lui-même à Spinoza excommunié, ses amitiés protectrices avec des Juifs pendant la guerre, son soucis du traumatisme de la Shoah, son amour et mariage avec Sylvia Maklès (Bataille), elle-même juive, son intérêt pour le «Witz », (le mot d’esprit), sa lecture des textes religieux juifs, où il comprendra paradoxalement la participation intense de ce peuple au progrès scientifique, etc… C’est ce que nous montre G. Haddad, tout en pointant cependant les difficultés de Lacan à cerner précisément la bonne route à suivre pour interroger le judaïsme dans la psychanalyse : J. Lacan se perdait par exemple en donnant trop d’importance à la Kabbale (empreinte de magie, et qu’affectionnent les orthodoxes), et pas assez à l’œuvre de Maimonide. Maïmonide, commentateur du Talmud, qui, selon Haddad, annonçait précocement l’esprit des Lumières par sa recherche de rationalité, de mesure, son refus des idoles et de toute magie. La thèse de G. Haddad est celle-ci : par des erreurs « d’aiguillage » de Lacan, qui aurait du privilégier davantage la rationalité maïmonidienne par rapport à l’ésotérisme kabbalistique, et comprendre l’intérêt du « rite », la communauté analytique se noierait actuellement dans un « naufrage psychotique » (selon l’expression de l’auteur, page 82), dont la multiplication des institutions, plus ou moins sectaires, serait le symptôme. L’absence de « rites » (cf page 288) et de règles communes développerait l’émergence de « barons » et de « gourous », chefs d’institutions éparses, favorisant bien entendu l’idolâtrie, et l’absence de réelle laïcité. La personnalité forte de Lacan, père spirituel, faisait de son vivant office d’ancrage solide, et structurait un projet commun dans la communauté analytique. Mais qu’en est-il aujourd’hui… ? C’est là où j’ai envie à la fois de suivre Haddad, mais aussi de l’interroger. Car enfin, cette fameuse multiplication des institutions est-elle signe d’un morcellement psychotique, ou signe d’une richesse démocratique que la parole lacanienne aura incitée par son ouverture et son inventivité ? Que dirait-on en effet d’une institution freudo-lacanienne monobloc, unique, qui serait seule autorisée à dispenser son enseignement ? Que dirait-on d’une institution unique, qui épargnerait à l’aspirant analyste un effort de choix personnel, une démarche autonome de recherche d’un lieu où il se sente «suffisamment » bien pour avoir l’esprit à l’étude ? « Suffisamment » pris au sens Winnicotien, sens qui exclue toute «perfection », et accepte la relativité et le doute. Une institution monobloc, plus «universelle », ne risquerait-elle pas de gommer précisément les diverses approches freudo-lacaniennes actuelles, et faire perdre de son dynamisme à la pensée psychanalytique ? Par ailleurs, la démarche d’Haddad de relance de la question juive au cœur de la pratique analytique est elle-même à questionner quant à la laïcité : insister trop sur cette appartenance, n’est-ce pas en quelque sorte faire acte de possessivité, et de partialité ? Car après tout, la psychanalyse se fonde aussi sur Les Lumières, l’esprit laïque, Les Grecs et de la démocratie qu’ils inventèrent. Bref, la psychanalyse pourrait se réclamer de nombreux champs historico-culturels, et ne peut pas se penser uniquement en termes d’héritage judaïque. Il y a deux points de critique selon moi dans ce livre riche et nécessaire : d’abord, G. Haddad met à l’index la personne d’E. Roudinesco, dans le troisième chapitre, pour le contenu de la biographie de J. Lacan qu’elle avait écrite. G. Haddad lui conteste sa façon d’évoquer les liens nombreux de Lacan avec les Juifs au long de sa vie. Selon Haddad, l’historienne aurait minimisé, voir ridiculisé, ces liens selon lui forts profonds. La confrontation de données historiques et réalités des faits est indispensable à toute entreprise historique. L’apport précis et minutieux de Haddad, érudit et ancien proche de Lacan, est indéniablement précieux. Sa différence d’angle de vision et de sensibilité par rapport à celle de l’historienne de la psychanalyse aussi. Cependant, un ton plus paisible pour émettre cette critique sur le livre d’une collègue n’aurait pas desservi ni « Le péché originel…. », ni son auteur. D’autre part, on aimerait que l’auteur propose, développe son idée quant aux institutions analytiques. Il dénonce un mode de fonctionnement «psychotique » : c’est probablement qu’il a quelque idée sur une meilleure marche à suivre. Qu’attend-t-il pour nous faire part de ses bonnes idées ? Quel genre de « rite » institutionnel, non obsessionnel et laïque (c’est ce qu’il défend, bien conscient des risques « névrotiques » de tels rituels), imagine-t-il par exemple ? Enfin, et pour soutenir le désir « talmudique » de Haddad, on peut constater en effet que de nombreuses querelles agitent le monde analytique. Certains parlent de « querelles de chapelle », de clocher, « Cloche merle », et se désolent de tant de sectarismes. D’autres s’en réjouissent, et y voient la vivacité intellectuelle de la communauté analytique, la capacité de chacun à assumer ses convictions et les conflits, etc. J’ose imaginer J. Lacan, du haut de son paradis intellectuel, le cigare tortillé entre les doigts et l’œil vif, le nœud pap’ haut perché, dire ironiquement aux divers compères : « Dites donc, les gars, vous pourriez pas talmudiser au calme mes séminaires avec vos collègues, au lieu de vous envoyer des insultes à la tête ? Talmudiser, c’est ce que nous faisons ici toute la journée, Mr Freud et moi-même, entourés de quelques charmantes et brillantes camarades… ». Nathalie Cappe.

Le présent livre donne la raison, jusqu'à présent
occultée, du schisme de 1964 qui a irrémédia-
blement divisé le mouvement psychanalytique.
La cause de cette rupture, Lacan la désigna du
nom de « péché originel de la psychanalyse »,
péché en ceci que « quelque chose dans Freud n'a jamais
été analysé »: son rapport au judaïsme. Or, insiste Lacan,
« remonter à cette origine est tout à fait essentiel si nous
voulons mettre l'analyse sur ses pieds »,

En reprenant tous les textes qu'il consacra à la question juive, mais
aussi en révélant des informations inédites sur le très secret commerce
de Lacan avec la culture biblique, Fauteur dévoile, avec humour et
conviction, l'ampleur de ce « péché origine! » qui n'aurait rien de véniel.
Il pose aussi cette question : dans sa propre confrontation au judaïsme,
Lacan ne se serait-il pas à son tour fourvoyé, entraînant dans l'impasse
ses disciples?

, psychanalyste, spécialiste de la culture juive (il est
notamment le traducteur de Y. Leibowitz chez Desclée de Brouwer), est
l'auteur de nombreux livres dont Le Jour où Lacan m'a adopté. Mon
analyse avec Lacan (Grasset. 2002). « Je vous aime bien, lui disait Lacan,
parce que vous êtes un des rares à piger ce que je raconte. » Grâce à
lui, on pige beaucoup mieux en effet.