Jacques Lacan
Le séminaire

Livre X

L'angoisse

Texte établi par
Jacques-Alain Miller

"Tout ce que nous savons d'absolument nouveau et original
sur la structure du sujet et la dialectique du désir que nous
avons à articuler, nous analystes, nous l'avons appris par
quelle voie ? Par la voie de l'expériencc du névrosé. Or, que
nous a dit Freud à ce propos? Que le dernier terme où
il soit arrivé en élaborant cette expérience, son point
d'arrivée, sa butée, le terme pour lui indépassable, c'est
l'angoisse de castration.

Qu'est-ce à dire? Ce terme est-il indépassable? Que signi-
fie cet arrêt de la dialectique analytique sur l'angoisse de
castration? Ne voyez-vous pas déjà, dans le seul usage
du schématisme que j'emploie, se dessiner la voie par où
j'entends vous conduire? Elle part d'une meilleure articula-
tion de ce fait de l'expérience que Freud a désigné dans la
butée du névrosé sur l'angoisse de castration. L'ouverture
que je vous propose, la dialectique qu'ici je vous démontre,
permet d'articuler que ce n'est point l'angoisse de castra-
tion en elle-même qui constitue l'impasse dernière du
névrosé.

(Extrait du chapitre IV)

L'insectc qui se promène à la surface de la bande de
Mœbius, s'il a la représentation de ce que c'est qu'une sur-
face, peut croire à tout instant qu'il y a une face qu'il n'a
pas explorée, celle qui est toujours à l'envers de celle sur
laquelle il se promène. Il peut croire à cet envers, alors qu'il
n'y en a pas, comme vous le savez. Lui, sans le savoir,
explore la seule face qu'il y ait, et pourtant, à chaque
instant, il y a bien un envers.

Ce qui lui manque pour s'apercevoir qu'il est passé à
l'envers, c'est la petite pièce qu'un jour j'ai matérialisée,
construite, pour vous la mettre dans la main, celle que vous
dessine cette façon de couper le cross-cap. Cette petite
pièce manquante, c'est une sorte de court-circuit qui l'amè-
nerait, par le chemin le plus court, à l'envers du point où il
était l'instant d'avant.

Cette petite pièce manquante, le a dans l'occasion, l'affaire
est-elle donc résolue parce que nous la décrivons sous cette
forme paradigmarique ? Absolument pas, car c'est le fait
qu'elle manque qui fait toute la réalité du monde où se pro-
mène l'insecte. Le petit huit intérieur est bel et bien irré-
ductible. Autrement dit, c'est un manque auquel le sym-
bole ne supplée pas."

(Extrait du chapitre x)