Après Auschwitz et à partir de Lacan
Gérard Haddad, un périphérique de la psychanalyse Après Auschwitz et à partir de Lacan
José Luis Juresa (né en 1964) et Cristian Rodriguez (né en 1965), psychanalystes et it argentins, membres de l'Ecole ouverte de psychanalyse, vivent à Buenos Aires. Ils ont publié ensemble plusieurs essais sur la psychanalyse d'orientation lacanienne et sont chacun l'auteur de romans et d'essais. Ils participent à des revues et dirigent une collection de livres Letra Viva, une des meilleures maisons d édition de sciences humaines d'Argentine. Leurs travaux portent sur la langue, et par ailleurs sur les conséquences des années de dictature argentine (1976-1983) et de ses centaines de milliers de victimes. Traduit de l espagnol (Argentine)

José Luis Juresa & Cristian Rodriguez

Gérard Haddad, un périphérique de la psychanalyse

Après Auschwitz et à partir de Lacan

L'Argentine est certainement le pays au monde où la psychanalyse, toutes écoles confondues, a connu son plus grand essor. L'enseignement de Lacan y a connu un fort intérêt.

Après la mort du Maître, les Argentins ont assisté à une étrange opération « coloniale ». Des psychanalystes parisiens se prévalant de leurs liens familiaux ou personnels se sont rendus dans les pays d Amérique latine, Argentine et Brésil principalement, pour se tailler des fiels dans ces pays et créer des institutions satellites des institutions lacaniennes parisiennes. Ces satellites devaient se plier à l'autorité des barons parisiens. C'est cette opération que dénonce ce livre. Deux psychanalystes argentins, José Luis Juresa et Cristian Rodriguez, se sont app pour cela sur le témoignage qu'a fait Gérard Haddad de son analyse avec Lacan dans son célèbre livre Le jour où Lacan m'a adopté après avoir lui-même rompu avec toutes les institutions post-lacaniennes. À travers l'analyse de ce livre, les deux auteurs tentent de comprendre ce que lut la grande originalité de Lacan, originalité désormais perdue dans des jeux d'appareils.

Le concept de périphérie (et non de marginalité) ici avancé est d'une particulière importance. Il désigne le lieu de la créativité et de la subversion des discours dominants par rapport au centre, lieu des institutions et du pouvoir, lieu mortitère et stérile, lieu aussi de scabreux jeux financiers. Ainsi Freud, Lacan étaient périphériques.

par Viviane Cabannes et Domohina Rakotondravao
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 Livre : Gérard Haddad, un périphérique de la psychanalyse

Après Auschwitz et à partir de Lacan (José Luis Juresa & Cristian Rodriguez)

 

Traduction de Viviane Cabannes et Domohina Rakotondravao

hémisphères éditions, 2018

 

 

Le psychanalyste Gérard Haddad est connu pour ses innombrables essais, auteur de plus d’une quinzaine d’ouvrages où le sentiment religieux et l’influence du judaïsme dans la découverte de la psychanalyse est au centre de ses préoccupations. Il est notamment traducteur de l’hébreu et éditeur, ses livres nous apportent de la matière à réflexion et nous incitent à sortir des sentiers battus.

 

Né en 1940 à Tunis, il fut tout d’abord ingénieur agronome avant sa rencontre en 1969 avec Jacques Lacan avec qui il entama une psychanalyse et au cours de laquelle il entreprit des études de médecine. Il fit le récit de sa cure dans un célèbre ouvrage intitulé « Le jour où Lacan m’a adopté », publié aux éditions Grasset en 2002.

 

Deux psychanalystes et écrivains argentins, José Luis Juresa et Cristian Rodriguez, membres de l’École ouverte de psychanalyse, vivant à Buenos Aires, s’appuyant sur le témoignage de Gérard Haddad de son analyse avec Lacan, dénoncent avec véhémence le « colonialisme » d’un certain nombre de psychanalystes parisiens qui après la mort du Maître, se sont rendus dans les pays d’Amérique latine, dans le seul but de créer des institutions lacaniennes régentées par des barons parisiens se prévalent  de l’héritage et des liens personnels avec Lacan.

 

C’est un livre politique en ce sens qu’il introduit le concept de périphérie, concept clé pour comprendre les enjeux de pouvoir des institutions analytiques parisiennes, nostalgiques des conquêtes coloniales. Les deux auteurs argentins considèrent qu’en psychanalyse il s’agit toujours de périphérie car le pire des jugements que l’on pourrait porter sur quelqu’un à l’issue de son analyse serait qu’il est désormais « centré ». En termes analytiques,  affirment-ils, il vaut mieux que le centre reste vide.

 

En quoi Gérard Haddad appartiendrait-il donc à cette catégorie ? Pourquoi est-il un périphérique de la psychanalyse ? Tunisien, né en périphérie de la métropole française,  ancien membre de la colonie française, juif et communiste, il vient à la psychanalyse à partir de sa profession d’agronome d’abord et puis médecin, abordant la psychanalyse par la périphérie des discours hégémoniques et du pouvoir. C’est dans ce mouvement-là que se produit selon les auteurs sa rencontre avec Lacan, un autre périphérique, toujours en marge,  en rupture, du moins comme analyste à la périphérie du sens commun.

 

Pourquoi devrions-nous, s’interrogent les auteurs de cet essai, continuer à explorer la psychanalyse française avec ce regard fasciné, acculturé et bourgeois ? La psychanalyse périphérique est celle qui se pratique hors des écoles conventionnelles. Dans les années 60, par exemple, on pouvait considérer le psychanalyste comme celui qui portait un discours original, subversif, celui par qui le scandale arrive alors que de nos jours c’est le psychanalyste qui se dit choqué par l’évolution de la société. Sont-ils devenus orthodoxes, réactionnaires, résistants, nostalgiques, des petits-bourgeois ? Si la psychanalyse n’est pas périphérique, désignant le lieu de la créativité et de la subversion des discours dominants, ce n’est pas de la psychanalyse. C’est ainsi que nous pouvons considérer, Freud, Lacan et Gérard Haddad comme étant des périphériques de la psychanalyse, en rupture avec des dogmes et l’orthodoxie.

 

Malgré ses innombrables qualités et intérêt, la langue de nos deux auteurs est quelquefois un peu baroque ou inhabituelle dans la littérature psychanalytique. Retenons l’essentiel : En psychanalyse la créativité vient de la marge, de la périphérie, rarement du centre. La périphérie peut être parfois inconfortable mais créative, et effectivement en ce sens, aucun doute, Freud et Lacan étaient incontestablement périphériques.

 

Paulo QUEIROZ, psychanalyste.

Paris, octobre 2018.