Séminaire XVI

Je lis sous la plume de Sollers que Claudel est d'abord pour
lui celui qui a écrit : « Le Paradis est autour de nous à cette
heure même avec toutes ses forêts attentives comme un
grand orchestre invisiblement qui adore et qui supplie.
Toute cette invention de l'Univers avec ses notes vertigineusement dans l'abîme une par une où le prodige de nos
dimensions est écrit. »

Eh bien, Lacan est pour moi celui qui dit dans ce Séminaire :

« L'enfer, ça nous connaît, c'est la vie de tous les jours. »
C'est la même chose ? Ah, je ne crois pas. Ici, pas d'adoration,
pas d'orchestre invisible, ni vertiges ni prodiges.

Commençons par la fin : Lacan « évacué " de la rue d'Ulm
avec ses auditeurs, non sans résistance et tapage. L’épisode
défraya la chronique. Qu'avait-il donc fait pour mériter ce
sort ? S'adresser, non pas seulement aux psychanalystes,
mais à une jeunesse encore grisée par les événements de
mai, qui l'accepte pourtant comme un maître du discours
dans le même temps où elle rêve de subvenir l'Université.
Que leur avait-il dit ? Que « Révolution » veut dire revenir
à la même place. Que le savoir impose désormais sa loi au
pouvoir, et qu'il est devenu immaîtrisable. Que la pensée
est comme telle une censure. Il leur parle de Marx, mais
aussi du Pari de Pascal, qui devient entre ses mains une
nouvelle version de la dialectique du maître et de l'esclave,
et aussi des fondements de la théorie des ensembles. On
passe à une clinique de la perversion, aux modèles de l'hystérique et de l'obsessionnel. Tout cela communique, scintille,
captive.

Entre les lignes, se poursuit le dialogue de Lacan avec lui-
même sur le sujet de la jouissance, et le rapport de celle-ci
avec la parole et le langage.

Jacques-Alain Miller