Une nouvelle approche
Laura Dethiville, psychanalyste, membre associé et vice- présidente de la Société de psychanalyse freudienne, anime un séminaire sur Winnicott depuis plus de dix ans. Elle a publié de nombreux articles et a participé à des ouvrages collectifs. Couverture : encre jaune, et le doudou de Clément Jaunet, DR ------------------------------------------------------------ Laura Dethiville Donald W. Winnicott, une nouvelle approche Paris, Éditions Campagne-Première, 2008. Par François Lévy Encore un livre sur Winnicott, dira-t-on ? Oui, mais cette « nouvelle approche » va sûrement secouer quelques-uns de nos chers collègues. Car, ce qui ressort, en premier lieu, de cet ouvrage, c’est que l’écriture en est claire et limpide — ce qui est rare pour un livre de psychanalyse (ou bien faut-il dire pour un livre de psychanalyste ?) —, même pour l’homme de la rue très peu rompu au vocabulaire des analystes, et que l’auteure domine totalement son sujet, ce qui fait de ce livre dès à présent un ouvrage incontournable sur Winnicott. Nul doute que cela vient du fait que Laura Dethiville s’est débarrassée de tout ce qui a pu la gêner par rapport à l’orthodoxie, et c’est ce qui donne à son livre une liberté et une justesse de ton qui vont droit au but. Pendant plus de dix ans, Laura Dethiville, psychanalyste, co-fondatrice, membre associé et vice-présidente de la Société de psychanalyse freudienne, a animé un séminaire sur Winnicott — c’est dire qu’elle en parle en parfaite connaissance. Que sait-on de Winnicott ? Qu’il a été formé de la façon la plus classique qui soit. Que, grand connaisseur des œuvres de Freud, de Ferenczi et de Melanie Klein, il n’a cessé d’innover, d’inventer et de proposer des solutions inattendues à chaque fois qu’il constatait que l’expérience clinique (avec des enfants, des adolescents et des adultes) « ne collait pas avec la théorie ». « Inventeur » et théoricien de l’« objet transitionnel » – le « doudou » –, Winnicott a été, à tort, assimilé à un théoricien de la relation d’objet. En fait, l’originalité de Winnicott nous mène « en deçà » de l’objet, ce qui fait de lui un fervent partisan d’une possibilité toujours présente, pour les patients, de dépasser les traumatismes issus de l’enfance, à condition que l’analyste en offre les possibilités. En outre, Winnicott s’est également révélé un étonnant précurseur des soins à apporter aux maux symptomatiques de notre société actuelle : pertes d’identité, troubles scolaires, anorexie ou boulimie, délinquance, maladies psychosomatiques, etc. Pour le dire en peu de mots, l’ouvrage de Laura Dethiville est vraiment une réussite. Il est si documenté, si habité par l’expérience, si soutenu par une éthique de la cure et par une magistrale aisance théorique qu’il devrait intéresser tout notre milieu, mais aussi devenir un ouvrage de référence pour des générations d’étudiants et d’analystes en formation. Comme elle le montre admirablement, l’auteure a mené des recherches au niveau de la justesse des traductions, parce que, quand elle a commencé à s’intéresser à Winnicott, il y a de cela de nombreuses années, les livres alors disponibles en français lui « tombaient des mains » tant il était difficile de les comprendre et d’en saisir la subtilité. C’est ainsi que d’utiles précisions de vocabulaire courent tout au long du livre : le nourrisson ruthless, par exemple, n’est pas « cruel », comme on l’a lu jusqu’à présent, dans le droit-fil de la pensée kleinienne, il est bien plutôt « sans égard », ce qui se comprend puisque, pour lui, il n’y a pas d’autre au stade où il en est de son développement précoce ; la good enough mother, quant à elle, n’est pas une « mère suffisamment bonne », comme on en a eu les oreilles rebattues, mais une mère « tout juste passable », c’est-à-dire qui ne commet pas trop d’erreurs. Mais, Laura Dethiville le dit, la faute en revient parfois à Winnicott lui-même, puisqu’il n’a pas hésité à reprendre tels quels, quelquefois sans circonspection, les « termes disponibles ». Tout cela, bien évidemment, donne un éclairage pertinent sur le pouvoir des mots – y compris celui de faire fausse route –, et sur la différence, à propos de leur usage, entre la parole dans la clinique et la terminologie dans l’élaboration théorique. En d’autres termes, entre intervention-construction et interprétation. Winnicott ne disait-il pas (certes, à la fin de sa vie) : « Il m’arrive à présent d’interpréter juste pour faire connaître au patient les limites de ma compréhension. » Débat aigu, n’est-ce pas ? Toujours au niveau des éléments strictement psychanalytiques, Laura Dethiville revient sur la question de l’« éternelle référence au transfert », si important en tant qu’outil de la pratique, mais ses remarques apportent des éléments de réflexion que nous cherchions depuis longtemps. L’idée selon laquelle les possibilités de remaniements demeurent ouvertes tout au long de la vie à un sujet en souffrance « pour peu que celui-ci (re)trouve un environnement et des conditions qui les permettent » est une « révolution » dans la conception du (ou des) transfert(s), et, en fonction de ce changement de perspective, qu’est-ce donc que le si décrié « contre-transfert » de l’analyste ? Pour le dire vite, il apparaît, dans ce que Laura Dethiville énonce et raconte à partir de Winnicott, comme une « réflexion conceptuelle » nécessaire, comme une butée des acquis théoriques, en fonction de ce que Winnicott entend de la place de son patient. Il s’agit donc d’une tout autre affaire que des sentiments réactionnels de l’analyste… Le débat est central. Tout particulièrement, on appréciera dans cet ouvrage les importants développements consacrés à la question du « self » et, plus encore, du « faux self », pour des raisons qui tiennent à notre façon de nous situer dans la clinique : ce qui devrait nous importer, à nous autres analystes, ce n’est pas le « faux self » en tant que vague concept sociologisé, mais en fonction de la façon dont il se manifeste dans la séance, c’est-à-dire sous la forme d’une résistance — pour employer ce vieux mot —, d’une résistance à l’analyse, non seulement du côté de l’analysant (pour qui il fait souvent partie des processus de défense et d’adaptation qui ne sont pas forcément pathologiques), mais, ce qui peut être plus ennuyeux, du côté de l’analyste, toujours susceptible de se laisser berner par un discours judicieusement organisé. En bref, on savoure cette lecture. L’auteure est parvenue à synthétiser, sans jamais l’opacifier, la pensée de Winnicott qui, il faut le reconnaître, s’éparpille fréquemment sans pour autant jamais cesser de s’approfondir et de se renouveler tout au long de sa vie. Si, à nos yeux, l’ouvrage de Laura Dethiville a autant d’importance, c’est qu’à le lire on croyait « connaître » Winnicott et qu’on se rend compte qu’on n’en avait que des notions très lacunaires. L’auteure nous guide, comme on fait visiter une cathédrale plongée dans les ténèbres dont on éclaire tour à tour les chapelles latérales, et, de la diversité lentement dévoilée, surgit progressivement l’harmonie de l’ensemble. Pourquoi cette comparaison ? Peut-être à cause de cette phrase que Laura Dethiville cite (p. 169) : « Au cœur de chaque personne se trouve un élément de non-communication qui est sacré et dont la sauvegarde est très précieuse ». Chez Winnicott on demeure ébloui par la démarche infiniment respectueuse qui se met au service de l’humain. Ce qui est saisissant, et que l’auteure de cet ouvrage a si bien su mettre en valeur, c’est combien la théorie de Winnicott est peu totalitaire et ne se prend jamais pour la vérité. C’est l’écoute qui forge la théorie comme « moments » et rêverie. On ne peut, en outre, qu’admirer la capacité de notre collègue de clarifier des notions parfois très obscures ou trop floues. On imagine l’immense travail qui est à l’origine de ces pages. Il renouvelle chez tous les analystes le goût pour ce métier si difficile où nous ne cessons d’apprendre de nos patients.

Donald W. Winnicott n'a cessé d'innover, d'inventer,
de proposer des solutions inattendues dans la
pratique analytique lorsqu'il constatait que
l'expérience clinique « ne collait pas avec la théorie ».
D'où une œuvre dispersée, aux concepts parfois
confus, qu'il était nécessaire de clarifier. Laura
Dethiville s'y emploie en reprenant et en
expliquant les notions majeures du corpus
théorique (objets transitionnels, self, faux self,
importance de l'environnement, dissociation...), et
en montrant comment Winnicott s'est révélé un
étonnant précurseur des soins à apporter aux
maux symptomatiques de notre société : pertes
d'identité, anorexie ou boulimie, délinquance,
maladies psychosomatiques, troubles scolaires...

Cette précieuse initiation à la pensée de Winnicott
fait de cet ouvrage un outil de réflexion
indispensable à la connaissance de cette œuvre.