DEVENIR PSYCHANALYSTE... ET LE RESTER Serge André Éditeur : QUE 298 pages / 28,41 € Résumé :Une présentation abordable d'éléments cliniques et théoriques, qui permet d'en savoir plus sur la psychanalyse freudienne et les apports de Lacan. Sébastien VAUMORON Serge André (1948-2003) était un psychanalyste belge, membre de l'École de la cause freudienne . Si son ouvrage Que veut une femme ? est bien connu des psychanalystes, Devenir psychanalyste... et le rester mérite incontestablement d'être inscrit dans les bibliographies des étudiants qui s'orientent vers la clinique "psy", qu'il soient étudiants en psychiatrie, en psychologie ou en psychanalyse. La psychanalyse du côté du psychanalyste Beaucoup trop long pour en rendre compte de façon satisfaisante ici, et beaucoup trop dense pour le passer sous silence, ce livre interpelle. Aussi me limiterais-je à présenter brièvement le parcours que Serge André nous propose. Loin d'être un ouvrage théorique harassant, Devenir psychanalyste... et le rester n'est pas un manuel professionnel indiquant le parcours à suivre pour devenir psychanalyste. Derrière ce titre qui peut être équivoque se cache une invitation à réfléchir sur ce qu'est une psychanalyse et la place qu'occupe le psychanalyste. Cela passe ici par une lecture approfondie et très abordable des éléments cliniques et théoriques présents chez Freud, tels que le complexe d'Œdipe, l'angoisse, l'interprétation, le symptôme... À cela s'ajoutent, dans un langage accessible au non spécialiste, de longs développements sur les apports cliniques lacaniens qui sont parfois passés dans le langage courant : le désir, Nom-du-Père, la Jouissance, le discours du Maître etc. Enfin, tout ceci est régulièrement illustré par des exemples cliniques limpides. Le désir de l'analyste Serge André nous présente "le paradoxe qui fonde l'intenable de la position du psychanalyste, pris entre son désir de devenir analyste et son devoir de le rester : c'est son désir qui l'a amené à devenir psychanalyste mais c'est ce même désir qui fait obstacle à ce qu'il le reste, car le rester implique que le sujet s'efface au profit du psychanalyste fictif que l'analysant produit .../...". Ainsi, l'auteur nous livre sa réflexion sur le désir de l'analyste avant de consacrer un chapitre à commenter deux cures, celles de Sándor Ferenczi chez Sigmund Freud, avec les impasses rencontrées, puis de celle de François Perrier chez Jacques Lacan. De là, il questionne "le fantasme sadique et relation psychanalytique", développant que la position de l'analyste lacanien est désignée de la même manière que celle du bourreau sadien , tout en en soulignant les différences. Vient ensuite un commentaire du texte "Kant avec Sade" de Lacan, reprenant deux versants du fantasme sadien avec cette question : "Comment faire pour que le psychanalyste n'infecte pas les cures qu'il mène avec son propre fantasme ?" Pour y répondre, l'auteur s'appuie à nouveau sur Freud et Ferenczi pour montrer que c'est à partir de son fantasme inconscient que l'analysant construit un fantasme correspondant ou complémentaire chez son propre analyste. C'est ce qu'il appelle "l'hypothèse de l'analyste". Alors, écrit-il, "la problématique de la bonne conduite de la cure consiste à trouver le moyen de rendre le fantasme de l'analyste inopérant pour permettre d'isoler le fantasme que lui suppose son analysant, et de là, pour saisir un point d'entrée dans le fantasme propre de ce dernier" . L'auteur nous éclaire ainsi sur le complexe d'Œdipe, la castration, et l'avancée faite par Lacan. Il revient ensuite sur la fin de l'analyse qui posait un problème théorique à Freud avec comme point de butée l'envie du pénis chez la femme et la peur de la castration chez l'homme. Serge André dégage alors chronologiquement les quatre formules que Lacan a élaborées, à la suite de Freud, pour la fin de l'analyse. Le discours analytique Il en arrive ensuite au "discours analytique" et ses conséquences "comme nouveau mode de lien social" . Il questionne ainsi la situation du psychanalyste face à la position du psychiatre et du discours de la science, puis à celle du philosophe et du tyran, se référant à Socrate et Sénèque. L'auteur développe ainsi la différence de position entre celle du stoïcien et celle du psychanalyste alors que, dit-il, "on a souvent pris la position stoïcienne comme un point de référence pour cerner la position du psychanalyste" . Or, "ce n'est sûrement pas la position qu'occupe, ni celle que promet, le psychanalyste" , car "elle est en réalité à l'opposée de celle du stoïcien" . Ce développement sur le discours du maître amène un chapitre sur les signifiants-maîtres qui instituent le sujet et servent de censure à sa jouissance . Ici, Serge André n'hésite pas à se positionner contre l'américain Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM) tout comme contre la neurobiologie à propos de L'homme neuronal de Jean-Pierre Changeux. L'auteur relève ensuite des points de similitude entre la position de l'analyste et la position féminine, ce qu'il étaye par un commentaire de l'histoire de Lou Andréas-Salomé, psychanalyste amie de la famille Freud. Vient ensuite l'examen de la relation de Freud avec Jung dont il explique en détail, à propos de lui et de ses autres élèves, que "finalement, il [Freud] rassemblait ses élèves non comme des fils mais plutôt comme des femmes, tel le père de la horde" , faisant ici référence au texte Totem et Tabou de Freud. Cela l'amène à un développement de l'angoisse dans l'œuvre de Freud et de Lacan. Serge André en arrive ainsi au chapitre intitulé "le terme de l'analyse", c'est-à-dire la fin de l'analyse qu'il aborde dans son rapport à l'angoisse. Cela le conduit à écrire sur l'acte et l'interprétation en psychanalyse, en passant par la question du silence du psychanalyste qui, justement, fait bien souvent parler autour de la psychanalyse. Pour conclure, je ne saurais que trop recommander la lecture de ce livre à toute personne qui souhaiterait en savoir un peu plus sur la psychanalyse freudienne et les apports faits par Lacan. En effet, Serge André su présenter ici, et de manière très abordable, des éléments théoriques et cliniques souvent complexes et difficiles à saisir quand on se plonge seul, par exemple, dans les séminaires de Lacan. Ainsi, que ce soit le simple curieux de la psychanalyse sans connaissances particulières préalables, la personne qui s'allonge régulièrement sur un divan ou encore l'étudiant en psychiatrie ou en psychologie, tous auront très certainement dans ce livre, à la fois de quoi apporter des réponses à leurs interrogations et en faire germer de nouvelles.

DEVENIR PSYCHANALYSTE... ET LE RESTER. Cet intitulé comporte trois éléments et j'y ajouterai un quatrième, dont l'absence, intentionnelle, doit être soulignée : c'est : être. Il ne s'agit en aucune manière, dans mon projet, d'être psychanalyste, pour la bonne raison qu'il n'y a pas d'être psychanalyste. Ce n'est pas d'un être qu'il s'agit, mais d'une fonction qui se faufile entre réel et fiction, et qui est produite par le discours de l'analysant. «Devenir analyste » - moment inaugural qui n'est pas seulement le moment où l'analysant décide de s'installer un divan en tel lieu de son choix, mais aussi celui qui se joue au départ de chaque psychanalyse qui commence - et ensuite « le rester» moment final, au sens où c'est de la fin visée par l'expérience qu'il s'agit -, ce n'est pas la même chose, ce n'est pas du même désir qu'il s'agit. Entre les deux, trois petits points de suspension nous indiquent un temps d'élaboration, de mutation, temps sur lequel l'expérience dite de la passe devrait permettre de jeter un certain éclairage, si elle réussit un jour.
« Lacan dit que... », cette formule tend irrésistiblement à devenir, dans le cercle des analystes qui se réclament de lui, non pas une clef pour ouvrir la discussion, mais au contraire un verrou qui la clôture. C'est contre cet usage, ce mesurage de la parole de Lacan -comme de Freud aussi bien- que je lutte, parce que je suis convaincu que les paroles de Freud et de Lacan ne sont ni des paroles d'évangile, ni des versets de liturgie, ni même des vérités établies, mais avant tout des formulations d'un désir qui vise l'origine ou la cause du fait humain.
Serge André est l'auteur de Que veut une femme, de L'imposture perverse (Seuil) et de FLAC, récit suivi de L'écriture commence où finit la psychanalyse.
À paraître : L'épreuve d'Antonin Artaud et Le sens de l'holocauste : Jouissance et sacrifice.