l'ironique sacrifice
Danielle Arnoux est psychanalyste. Élève de Jacques Lacan, elle a été membre de l'école freudienne de Paris, de 1970 jusqu'à sa dissolution. Elle a dirigé la Revue du Littoral de 1991 à 1996, publié plusieurs séries d'articles, en particulier sur Camille Claudel et sur G. Gatian de Clérambault. Elle est membre de l'école lacanienne de psychanalyse. Existe-t-il un lien entre la création et la folie de Camille Claudel ? À une sculpture admirable succède l'enfermement durant trente années stériles. Rodin, qui a d'abord été pour Camille un protecteur effectif, ne représente plus, selon elle, qu'un voleur, un monstre qui s'empare de ses idées, de ses commandes, de ses statues. Une logique épouvantable aurait-elle ainsi fonctionné ? Les dernières grandes oeuvres - L'âge mûr, oeuvre de la rupture, Clotho cri de deuil, Persée et la Gorgone, défaut de la protection, Niobide blessée - sont ici étudiées dans le détail. Chacune à sa façon aura fait rempart au délire en protégeant l'artiste de la haine des femmes, du vol, de la fourberie, de la jalousie. Paul Claudel a parlé de sa soeur, de leur enfance, de leurs parents. Sa trilogie (étudiée par Lacan), L'otage, Le pain dur, Le père humilié, fonctionne comme un chiffrage, non comme une saga familiale. Le théâtre claudélien apparaît structuré par un scénario du sacrifice. Le frère et la soeur tombent sous les mêmes déterminations. Paul s'en tire en forgeant une oeuvre du sacrifice. Le délire, chez Camille, réalise ironiquement le sacrifice de son oeuvre.

Vous avez sans doute déjà entendu parler de mes aventures funambulesques et de ce qui s'en est suivi. Pour terminer, j'ai été enlevée par un cyclone moi et mon atelier, mais par un singulier effet de la tornade, mes plâtras ont filé directement dans la poche de Rodin et consorts, tandis que mon infortunée personne s'est trouvée transportée délicatement dans un enclos grillagé en compagnie de plusieurs aliénés. Je fais mon possible pour figurer honorablement dans cette aimable corporation : je n'y fais pas trop mauvaise figure ! Si vous voulez constater par vous-même ce qu'il en est vous n'avez qu'à prendre le métro jusqu'à St-Mandé puis le tramway de St-Mandé à Ville-Évrard (maison spéciale de santé). Je vous attends derrière la grille.

Lettre non expédiée de Camille Claudel à Henriette de Vertus, automne 1913.