Interview de Jacques Siboni

Interview de Jacques Siboni

Tore
Oedipe

Comment perçois-tu les grandes évolutions des sites psychanalytiques sur Internet ?

Jacques Siboni

J'ai fait partie des pionniers en matière d'Internet. Je participais déjà en 1987 à des groupes de discussion scientifique par l'intermédiaire de listes de discussion et j'en appréciais tout l'intérêt. Nous n'étions alors pas plus de 500 en France à nous servir d'Internet. Comme j'étais membre de "Dimensions Freudiennes" à l'époque, il m'a semblé naturel de proposer d'utiliser les possibilités d'échange internationales offertes par Internet. Les réactions de rejet furent violentes. On m'a demandé si je voulais nous vendre aux Américains et même, se référant à la dernière guerre, comment je pouvais oser proposer à des analystes de se mettre sur des listes. En fait, en relisant l'histoire des inventions majeures du 20 ème siècle, comme par exemple le téléphone, je retrouve les mêmes réflexions de la part d'un certain nombre d'intellectuels.

Oedipe

Quelles sont les raisons qui ont d'après - toi provoqué ce refus quasi épidermique ?

Jacques Siboni

Je pense que de façon imaginaire les associations craignaient d'abord pour leur pouvoir, et ce qui pourrait, par ce moyen, leur en échapper. Par ailleurs, il y a aussi une crainte individuelle de ne pas savoir utiliser un tel outil. Il faut se rappeler que bon nombre de nos collègues ont plutôt une culture littéraire que scientifique.

Oedipe

Quelle est la situation aujourd'hui à ton avis ?

Jacques Siboni

Comme cela était prévisible, la situation à rapidement évolué. Presque toutes les associations ont maintenant leur site. Certaines l'ont bâti avec des moyens artisanaux, d'autres en faisant appel à des professionnels

Oedipe

Il est frappant de noter le degré de violence verbale qui se fait jour dans les listes de discussion, ce qui nous a conduits sur le site oedipe dans un premier temps à faire le choix d'un Forum restreint dans son accès. Quelle est pour toi l'origine de cette violence ?

Jacques Siboni

La violence existe aussi dans les associations analytiques mais l'investissement de chacun y est plus important. Cela conduit à une plus grande acceptation du pouvoir du chef. On sait que l'on peut perdre beaucoup en se mettant en marge du groupe. D'où il résulte un plus grand contrôle de soi. Sur une liste, le corps n'est pas investi de la même façon et c'est beaucoup plus simple d'entrer et de sortir. D'où une certaine désinvolture dans les propos et une très grande violence qui surgit dans les échanges. Je tâche de faire en sorte sur Lutécium d'inciter ceux qui dépassent les bornes à se modérer et à écrire directement à un correspondant s'il a quelque chose de personnel à lui reprocher sans encombrer la liste de propos déplacés. Mais il est impossible d'éviter complètement les débordements. Sur certaines listes notamment celle animée par Henri Krutzen tout par principe est accepté. À mon avis, il y a un nécessaire rappel à l'ordre.

Oedipe

Lutécium a pris l'initiative de mettre en écoute audio via Internet les séminaires de Lacan. D'où est venue cette idée ?

Lacan (Jacques) de Pazzi (collection Bourgeron)
Lacan (Jacques) de Pazzi
Collection Bourgeron
Jacques Siboni

Je travaille depuis de nombreuses années sur les textes de Lacan et sur l'ensemble de on oeuvre. Ce travail a trouvé une première expression publique par l'intermédiaire d'un livre sur les mathèmes de J. Lacan que j'ai écrit et dont j'ai repris les données sur mon site personnel. J'ai aussi mis en place une liste destinée à échanger des informations sur la psychanalyse lacanienne. C'est dans ce mouvement qu'à jailli l'idée de mettre en ligne les séminaires. À la suite d'une discussion avec Serge Hajblum, cela nous a paru d'un intérêt évident pour la communauté analytique. Nous avons donc monté un groupe de travail inscrit dans le cadre d'une association Loi 1901. Ce groupe s'est donné pour tâche "l'analyse de la transmission par les élèves des conférences académiques". L'insistance sur ce concept de la transmission nous paraît tout à fait centrale dans l'étude de la problématique qui nous réunit.

Oedipe

Encore faut-il disposer de ces données ? qui vous les a fourni ?

Jacques Siboni

non seulement, il fallait disposer des bandes d'enregistrement mais il fallait aussi qu'elles soient d'une qualité suffisante pour être diffusées. C'est là que le jeu de pistes a commencé. Nous en avons suivi plusieurs. Certaines ont conduit à une impasse. Nous savions qu'un analyste possédait beaucoup d'enregistrements mais nous avons appris de sa bouche qu'après les avoir transférés sur DAT il les avait vendues au Massachusett Institut of Technologie (MIT). Certaines associations nous ont fourni leurs sources. Mais c'est finalement Monique Chollet qui nous a fait parvenir le matériel qui s'est avéré le plus complètement exploitable. G. Crovisier est d'ailleurs en train de tourner un film qui sera disponible courant 2001 et qui raconte cette aventure.

Oedipe

Est-ce que cela ne pose pas des problèmes de droit ? On sait combien Jacques-Alain Miller est chatouilleux sur ce point, même si sa position semble avoir évolué. Dans une interview au journal "Le Monde" il affirme vouloir favoriser la diffusion des séminaires le plus possible.

Jacques Siboni

Je n'ai pas encore pris connaissance de cet article, mais évidemment je me réjouis de ces nouvelles dispositions qui me semblent en contradiction avec la position qu'il a toujours soutenue dans le passé notamment - mais pas seulement-à l'encontre du travail effectué par "Stécriture" et à propos du travail effectué autour du séminaire sur le transfert. Pour limiter les risques, sans pouvoir les écarter totalement, nous avons restreint l'accès. En clair cela veut dire qu'il y a une inscription préalable avec fourniture d'un identifiant personnel et une charte à respecter en particulier celle de s'interdire l'utilisation commerciale de ces enregistrements. Cela ne règle pas tout et bien sûr il y a toute une bande de petits malins qui cherchent à tirer profit de tout ce travail, mais leur mercantilisme les conduit à faire circuler des données de qualité plus que douteuse.

Oedipe

quel est le financement pour tout ce travail.

Jacques Siboni

En fait le coût est limité au prix de revient de la bande passante de l'envoi des données en ADSL. Le serveur est installé chez moi à mes frais. Par ailleurs on demande une cotisation à l'association de l'ordre de 600f qui autorise un accès privilégié car la saturation de la bande passante peut conduire à limiter l'accès aux enregistrements. Pour éviter cet écueil on a commencé à graver des CD à diffusion restreinte uniquement à destination des membres du groupe de travail (environ 450 personnes actuellement) auxquels sont joints les schémas dessinés au tableau par Lacan lorsque l'on peut en disposer. Avant tout je me préoccupe de la conservation des données. Il me semble que nous sommes investis d'un devoir de transmission de ce matériel à destination des générations futures. Elles seraient en effet en droit de nous reprocher de ne pas en avoir suffisamment pris soin et d'avoir laissé ce témoignage de l'histoire se dégrader et finalement être perdu. Un dépôt des CD-rom est prévu à la Bibliothèque Nationale, ce qui me semble préférable au choix du MIT !

Oedipe

Au niveau du recueil des données, peut-on dire que vous avez actuellement la totalité des enregistrements ou vous manque-t-il encore des séquences ?

Jacques Siboni

Non, nous n'avons sûrement pas tout. Il faut aussi vérifier la qualité de ce que nous possédons. Parfois il manque une partie du séminaire ou elle est inaudible. Par conséquent nous lançons un appel en direction de tous ceux qui possèdent des enregistrements et qui souhaiteraient nous rejoindre dans notre démarche. Dans ce processus, le temps jour évidemment contre nous car les supports magnétiques ont tendance à s'abîmer rapidement au fil du temps.

Oedipe

Quels sont les séminaires actuellement diffusés sur le site ?

Jacques Siboni

pour l'instant : L'envers de la psychanalyse, D'un discours qui ne serait pas du semblant, Ou pire, L'objet de la psychanalyse, Encore, Les non-dupes errent, les après-midi de France-Culture et Radiophonie.

Oedipe

Est-ce que l'écoute des séminaires vous a appris des choses sur le fond ? Avez-vous constaté des différences avec la version papier ?

Jacques Siboni

Des différences existent et c'est particulièrement le cas avec les versions sténo. Elles fourmillent d'erreurs multiples liées à des lapsus ou à de contresens, notamment au niveau de la sténotypiste. Mais c'est inévitable. L'écoute permet de corriger ces erreurs. Parfois le doute subsiste malgré tout.

Oedipe

Ces petites erreurs ont leur importance car elles bloquent la lecture sur un texte qui semble alors ne pas avoir de sens.

Jacques Siboni

D'où l'importance de ce travail qui prend évidemment beaucoup de temps.

© oedipe sur internet / J. Siboni

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