L'Amour, la psychanalyse lacanienne et le catholicisme.

Ce n'est plus comme avant...Éloge du pardon dans la vie amoureuse
Ce n'est plus comme avant...

Massimo Recalcati
Ce n’est plus comme avant...
Éloge du pardon dans la vie amoureuse
Ithaque 134 pp 18€

Tout d’abord une précision. Le livre évoque sans doute la question figurant dans le titre à savoir le pardon dans la relation amoureuse. Mais plus généralement c’est bien de l’amour dont il est ici question. De l’amour et de la psychanalyse lacanienne. C’est une longue histoire que celle qui lie la psychanalyse lacanienne et le catholicisme. On sait que Lacan disait de la religion catholique qu’elle était la seule véritable. Et il ne manquait pas dans l’entourage même de Lacan de psychanalystes se référant ouvertement à la religion catholique. Que l’on songe à Françoise Dolto, à Denis Vasse qui fut vice-président de l’École Freudienne de Paris et à bien d’autres encore.

 

Et c’est bien à Rome et pas ailleurs que Lacan a tenu deux de sa célèbre conférence. Les deux discours de Rome sont là pour nous montrer s’il était nécessaire, l’importance que Lacan accordait à la cité Papale. L’amour voilà bien le thème privilégié où se rencontrent ces deux discours celui de la psychanalyse et celui de la religion catholique. L’amour voilà bien l’objet chéri de la psychanalyse et du catholicisme. Sans l’amour, de quoi, mon Dieu, pourrait-on se prévaloir chez l’un comme chez l’autre. Recalcati, cite d’ailleurs le séminaire de Lacan « Encore » dans son ouvrage, puisant dans celui-ci diverses références.


Cette liaison fait-elle bon ménage ? Du vivant de Lacan, bien peu se risquaient à s’en offusquer sinon en aparté sachant bien que Lacan n’y souscrirai pas. Pourtant s’il est un point sur lequel Freud, en ce qui le concerne, ne transigeait pas c’est bien celui de la laïcité (à ne pas confondre avec la question de la psychanalyse dite « laïque » qui oppose la pratique des analystes médecins aux non-médecins) Il prenait ainsi le risque de voir se lever contre lui tous les tenants divers et variés de la vraie foi qu’elle soit juive ou chrétienne comme ce fut évidemment t le cas pour le « Moïse » ou pour « l’avenir d’une illusion. »


Déjà, le thème même du pardon fait résonner à nos oreilles la petite musique des sermons d’autrefois et, n’en doutons pas de ceux d’aujourd’hui. Alors faut-il tout simplement jeter aux orties cet ouvrage issu d’une dérive pernicieuse ? d’une liaison contre nature ? Faut-il au contraire lui pardonner au nom du fait de la nécessaire ou au moins inévitable diversité de la multitude dans la maison du père ?


Eh bien, pas exactement, sinon quelle utilité aurait cette critique. Il faut en effet avec l’auteur considérer que la pratique de l’amour sinon l’amour lui-même, a considérablement évolué dans les sociétés occidentales depuis un siècle. Il en reste pourtant plus que des traces dont l’actualité nous entretien chaque jour. Ainsi en est-il des violences faites aux femmes au nom précisément de l’amour dont on ne dira jamais assez qu’il a bon dos.

 

 Mais que la relation sexuelle et conjugale ne soit plus celle qui dominait au temps de Freud nul d’en disconviendra. La virginité loin d’être une valeur suprême comme elle l’était par le passé, est devenue une sorte de honte pour les adolescentes d’aujourd’hui. Et la fidélité a laissé en partie la place aux speed datings et au caractère inéluctable de la brièveté des amours, de l’évanescence du désir et de la fuite en avant dans un consumérisme que la psychanalyse semble encourager ou du moins semble considérer comme allant de soi. La psychanalyse fille d’un libéralisme assumé autant sexuel que consumériste ?

 

 L’époque où la bourgeoisie partageait la société entre la mère vouée à s’occuper de la famille et à incarner respectabilité et frigidité l’un allant de pair avec l’autre, et le mari vivant ses amours avec une maîtresse, si elle n’a pas disparu bien entendu, ne fait quand même pas autant recette que par le passé. Au moins ceux qui s’y livrent ne s’en font gloire que de façon exceptionnelle. Aussi, le psychanalyste, est-il confronté à une souffrance qui ne s’exprime pas de la même manière qu’autrefois. L’amour fait souffrir comme cela fut le cas depuis toujours, mais cette souffrance ne se couvre pas des mêmes oripeaux, car les voies en impasse où le sujet est invité socialement à s’engager ne sont pas les mêmes que par le passé.


Et c’est bien là ou Recalcati touche juste. Je le rejoins aussi lorsqu’il souligne à quel point l’amour ne saurait être que dépossession. On ne peut faire autre chose que de se risquer dans l’amour, qu’on ne saurait jurer une fidélité dans un amour éternel qu’en vendant à l’autre, soi-disant aimé, un serment de pacotille. Oui, le psychanalyste doit se débrouiller différemment avec des outils toujours actuels et d’autres qu’il faut inventer sans céder à quelque idéologie que ce soit, ni celle d’un libéralisme triomphant ni celle d’un catholicisme moralisateur. Voilà, c’est dit

LLV

 

Mis à jour
11/11/2019