Je suis bien d'accord avec Roland Gori quant aux immenses qualités de l'oeuvre à part entière qu'est le film Hors normes.

Il y a des années qu'on n'assiste plus à une projection qui fait salle pleine.

Cette semaine, Le Traître de Marco Bellochio et Joker de Todd Phillips, convoquaient un public nombreux et recueilli (je ne compare pas ces films, incomparables en tout point , je souligne qu'ils trouvent leur public et le font vibrer, sur des questions sociales brûlantes).

Hors normes ne fait pas exception, et nous donne une satisfaction supplémentaire en nous faisant savoir (à la fin) que la moitié des bénéfices du film est reversée aux associations. Voilà qui fait de nous des spectateurs militants, chose rarissime. Ainsi, la concurrence avec la littérature donne des ailes au cinéma, qui se surpasse.

Hors normes nous rive à l'actualité insupportable que nous sommes nombreux à connaître dans les services de soins (dont témoigne, entre autres, La Psychiatrie à l'abandon, documentaire récent d'Anaïs Feuillette et Gérard Miller). Le synopsis réussit à renouveler la notion même de fiction en produisant des personnages plus réels que vrais, ces "exilés de l'intime" comme les ont nommés Marie-José Del Volgo et Roland Gori, et la performance magistrale d'un couple d'acteurs masculins qui incarnent ces héros modernes dont a parlé Lacan, luttant pour assumer les conséquences de l'égarement dans lequel sont laissés les exclus du système, achève de donner au film une densité inédite. Il révèle de quel tabou chacun de nous se fait tous les jours les complices, à son corps défendant, et le voile qu'il tend sur l'irreprésentable n'en fait que mieux saillir celui-ci. C'est sa performance artistique.

La force du film l'a installé en travers des mesures de suppression que l'IGAS entendait appliquer aux associations en question. Le film s'est fait acteur, interposé entre l'administration et les association et il a intimidé, si bien que les associations ont été, grâce à lui, maintenues. On a préféré surseoir.

Si on ne perd rien pour attendre, si le combat est perdu par avance, nous restons réalistes et voulons faire reculer les limites de l'impossible, ce nom du réel lacanien. 

En effet, par un de ces paradoxes dont il faudra approfondir la logique, ce n'est pas le narcissisme de la cause perdue qui triomphe, mais la cause du désir qui en sort  renforcée.

Dans le monde de l'autisme et de ses praticiens qui ne renoncent pas à s'orienter de la psychanalyse lacanienne, le documentaire de Mariana Otero "À ciel ouvert" a fait il y a fait il y a quelques années une autre brèche. Il reprend de la vigueur aujourd'hui, car hors normes, il l'était, comme film et comme son objet, du fait du lien qu'il montrait entre le savoir à inventer au quotidien avec les enfants ou les adolescents "oui-autistes" comme les a nommés Laurent Demoulin dans son Robinson. Il faisait valoir les exigences d'un lieu qui nouait ensemble l'ancrage quotidien dans l'élaboration nécessaire de la pratique et un transfert à la recherche fondamentale quant à la nature et aux déclinaisons du lien à l'autre, avec une pratique qui n'a rien à envier à celle que montre le film de Nakache et Toledano.

Il me semble que Hors normes loin d'y contredire, y fait appel, un appel qui n'est pas muet, même s'il n'est pas sonorisé. Nous devons le déchiffrer, poursuivre donc.