Allègre – Onfray, même combat ?

Professeur Pascal-Henri KELLER

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Allègre – Onfray, même combat ?

par Pascal-Henri Keller*

L'analogie s'impose ici, sans hésiter : Claude Allègre est à la climatologie ce que Michel Onfray est à la psychanalyse. Passionnés l'un et l'autre par l'ignorance de soi, les voilà sur le devant de la scène médiatique, hérauts sans le savoir d'une époque qui brandit cette ignorance là en étendard. A ce stade, il n'est d'ailleurs pas vraiment besoin de s'y connaître en mécanismes de défense inconscients pour s'y repérer avec ces deux-là.  Et tout investigateur un tant soit peu rigoureux en fait le constat, sans s'y tromper : ces auteurs ont choisi de parler de ce qu'ils connaissent le mieux. Le premier parle de l'imposture, le second d'une idole. D'un bout à l'autre de son livre, Allègre prétend dénoncer ce qu'il met lui-même en œuvre sans vergogne (allègrement ?) : la falsification, le goût de la notoriété à tout prix, l'appât du gain. Quant à Onfray, il se charge dans le sien de mettre en pièce un personnage imaginaire qui lui ressemble comme deux gouttes d'eau : ambitieux, démiurge, et prêt à tout pour rassembler autour de lui des fidèles, soumis à sa seule parole. Si l'ouvrage qui vient de réfuter point par point les thèses du premier s'intitule « L’imposteur, c’est lui »[1], quel titre donner à celui qui ripostera aux thèses du second ? « L’idole à déboulonner, c’est lui » ? Ou bien « Le crépuscule, c'est le sien » ? Une chose est sûre concernant le 58ème livre d'Onfray : on peut difficilement le laisser y proférer de telles âneries sur Freud et la psychanalyse sans y apporter les démentis qui s'imposent. C'est aux historiens de démontrer, comme l'a magistralement fait E. Roudinesco, l'incompétence d'Onfray dans le domaine historique[2]. C'est aussi aux philosophes –comme Rotfus[3], René Major[4] ou Maggiori[5]– de démasquer son amalgame inepte entre psychanalyse et philosophie, présenté comme preuve décisive du fourvoiement freudien.  Et c'est enfin aux psychanalystes de déclarer l'incompétence totale d'Onfray lorsqu'il prétend se prononcer sur la souffrance psychique et le sens que la psychanalyse lui donne, au cas par cas[6],[7].

Pour s’y retrouver dans ce double déferlement haineux, peut-on disposer d’une meilleure boussole que celle offerte par la théorie  et la pratique psychanalytiques ? D’autant plus que, sans le dire évidemment, les intéressés en font le point de départ de leurs analyses critiques respectives. De quoi s’agit-il ? D’un côté Allègre traque, dans les discours qui sous-tendent les prises de position du GIEC, ce que les auteurs y auraient mis sans le dire vraiment, l’autorisant alors à y débusquer « l’imposture » (quitte à l’inventer de toute pièce !). De l’autre, après avoir (re)lu « tout Freud », Onfray y découvre aujourd’hui ce qu’il n’y avait jamais vu auparavant (bien que l’ayant enseigné pendant 20 ans). Les psychanalystes auront reconnu sans difficulté ce qui autorise et rend possible chacune de ces deux démarches : l'hypothèse de l'inconscient. Les deux compères en effet, sans bien sûr s’y référer explicitement, ni l’un, ni l’autre, utilisent bel et bien cette hypothèse à laquelle tout psychanalyste se réfère dans son travail, mais explicitement pour ce qui le concerne. Dans ces conditions, quelle serait la différence entre, d’une part les psychanalystes dont le métier les amène à mobiliser cette hypothèse dans leur travail, et d’autre part notre duo médiatique ? Cette différence porte avant tout sur un  point, mais qui est capital : alors que les premiers la mobilisent pour leurs patients comme pour eux-mêmes, du côté de nos deux vedettes, aucun d’eux ne prend le risque de considérer l’hypothèse d’une intention cachée par l’ennemi désigné, comme pouvant valoir aussi pour lui-même.

Si les psychanalystes ont le souci de la vérité, telle qu’elle se dissimule dans les propos, les symptômes et la vie de leurs patients, les deux chouchous des médias n’ont de préoccupation que pour celle qui les arrange : la leur. Devenus l’un comme l’autre d’authentiques faussaires, ils dénoncent sans vergogne –et presque ingénument– des falsificateurs n’existant que dans leur imagination. Inutile d’ailleurs de leur consacrer davantage de temps : la baudruche médiatique va sans doute se dégonfler aussi vite qu’elle est apparue sur tous les écrans de télévision, comme à toutes les unes des journaux. A moins que, sans le savoir, ces deux lascars soient en réalité le symptôme de ce qui nous attend demain : la tromperie élevée au rang d’œuvre médiatique. A l’époque de la « télé réalité » (qui n’est rien d’autre qu’une réalité taillée sur mesure pour la télé), il n’y aurait finalement rien d’étonnant à voir surgir dans ce sinistre paysage une « télé philo » ou une « télé climato ». Et si c’était le cas, les livres d’Allègre et d’Onfray auraient servi au moins à une chose : nous ne pourrons pas dire que nous n’étions pas prévenus.

* Professeur de psychopathologie, Université de Poitiers

[1] Huet Sylvestre, L'imposteur, c'est lui, 2010, Stock

[2] Elisabeth Roudinesco, Le Monde, 16 avril 2010, p. 7

[3] http://www.cifpr.fr/

[4] René Major et Chantal Talagrand, Libération, 26 avril 2010, p. 20

[5] Robert Maggiori, Libération, 18 avril 2010, p. 3-4

[6] Roland Gori, L'express, 26 avril 2010. http://www.lexpress.fr/

[7] Patrick Declerck, Le Monde, 22 avril 2010