A propos de Michel Onfray

A propos de Michel Onfray

Comprendre Michel Onfray n’a pas grand intérêt. Sauf pour lui. On dit souvent qu’il n’y a que la vérité qui blesse. Alors de quelle vérité s’agit il ? Ce qui nous enseigne quelque chose n’est pas le Monsieur qui a ses raisons, sa demande, son délire, ses butées, son sourire narquois, sa mèche romantique et ses jolies lunettes. Mais les irritations que ces 700 pages de papier à couverture hollywoodienne produisent. Dans les médias, un peu, il faut bien générer de l’audience et vendre du papier, mais surtout chez les psychanalystes.

Revenons quelques années en arrière: Galilée, Coppernic, Darwin, ont été admis longtemps après leurs découvertes. Démocrite au 4ème siècle avant notre ère, qui a eu l’intuition de la théorie de l’atome en voyant l’effet d’une simple goutte d’huile réussir à couvrir un lac, n’a été validé par la science qu’au 19ème siècle. Toujours le même circuit : découverte, attaques violentes, controverse, attaques moins violentes, réticences, progrès des thèses, influence, révolution, hommage. Nous en sommes encore à attaques violentes .

Alors, nous, vous, amis analystes, analysants, sympathisants, premiers convertis à cette cause noble et jeune de 100 ans, soyons un peu zen et pragmatiques. Si le monde admettait aujourd’hui les acquis de la psychanalyse, comme par magie : l’inconscient décentré, la force de son désir propre, la nécéssité pour tout Sujet de ne pas y déroger, des pans entiers de la pensée et de l’économie seraient à mis à mal. Psychanalyse et CAC 40 ne vont pas de pair. Cela vaut bien que l’environnement y résiste un peu. Aidé de Ninja Onfray ou d’un livre noir par an.

Non, ce que les psychanalystes ont de mieux à faire est de s’adresser lentement mais sûrement à l’opinion éclairée. Celle d’aujourd’hui mais également celle des générations futures qui auront, nous le savons rétroactivement, patiemment digéré nos acquis. Comme était plus éclairé Charlemagne par rapport à Attila et comme l’est Onfray à coté de Madame Sans-Gêne. La psychanalyse comme toutes les grandes découvertes, avec la mise à jour de l’inconscient, la théorisation encore imparfaite de son dispositif, ne s’adresse pas encore à son époque.

La psychanalyse est une mutation dans l’histoire de la philosophie et de la vision de l'homme. Commencer une phrase par « je » fait éclater de rire un psychanalyste. C’est dur à avaler. Ce n’est même pas l’analyste qui sait, c’est le candidat à la cure qui possède un savoir à son insu. On peut essayer de déboulonner l'homme Freud, son carriérisme, ses petites manies. Ce qu'il a débusqué est plus fort que lui, que nous. Les psychanalystes n'y sont pas pour grand chose. L'inconscient est leur meilleur allié. Ce qui compte n’est pas ce qu’on planque à son analyste ou à sa belle-mère mais à soi-même. Plus vite on comprend ça, moins de temps on passe sur le divan. L’analyste passé par là doit simplement ne pas empêcher l’analysant de faire une analyse et en créer les conditions.

Aussi les réactions générées parmi les praticiens de la psychanalyse par chacune de ces fièvres médiatiques nous questionnent. Onfray tape au porte monnaie. Classique. Certains analystes se cabrent. Ils craignent à juste titre pour leurs analysants. Mais cette pratique n’est elle pas devenue trop vite une « profession » ? Malgré le rôle essentiel et symbolique du paiement, on ne garde pas un analysant si on a peur qu’il parte. Même troublé par un philosophe en promotion. Maïmonide, médecin, théologien et philosophe, disait au XII ème siècle qu’il n’était pas bon que les rabbins soient entretenus par leur communauté et leur conseillait d’avoir une autre source de revenus. Egalement sur le terrain de la cure, pour gagner il ne faut pas craindre de perdre.

La psychanalyse rebute ceux, individus ou collectivités qui ont à y perdre, c’est à dire beaucoup de monde. Ainsi que peut-être ceux, ex-analysants qui n’y ont pas eu accès dans de bonnes conditions. Michel Onfray n’a pas craché au visage de ces gens passés par le divan, ses crachats ne salissent que lui. Un analysant satisfait de son parcours « n’en a cure ». Seul le résultat compte. La vie de Gérard Haddad valait la peine d'être vécue, pareil pour la mienne. Et Georges Bataille, et Marie Cardinal, et Françoise Giroud et tant d'autres également qui vous le diront. Oui la psychanalyse sert à quelque chose et elle aura allégé le fardeau des hommes. Oui l’analyste doit veiller sur ses ouailles face à ces attaques violentes. Mais il aura un sourire amusé devant tant de résistances médiatiques et un long soupir devant le chemin qu’il reste à faire. Ainsi que dans une cure, on ne peut pas voir aujourd’hui le chemin qu’il reste à parcourir comme on ne pouvait pas voir hier le chemin qu’on a déjà accompli.

Anne Djamdjian

15.05.2010