Onfray et Freud...

Lettre ouverte à Michel Onfray... et Freud aussi...

Michel Onfray, je vous dois de stimulantes lectures depuis des années, de bons moments à vous écouter depuis Caen et ce jour une surprise... « inattendue ». Comment imaginer qu’en ce moment si riche en actualité les hebdomadaires fassent la une avec Sigmund Freud ? Et Vous ???

Papa Freud avait pourtant, comme chaque année en période de vacances, rendu service avec son dossier d’été préparé d’avance par les grands hebdomadaires. Et vous avez tout le loisir de diffuser le fruit de vos nombreux travaux depuis belle lurette. Quelle mouche vous a méchamment piqué pour lire ainsi tout Freud en un été, dans une belle « intégrale » mais à la traduction discutée par de nombreux germanophones qui soulignent la coloration trop froide des textes. Pas étonnant en un survol estival que votre lecture vous ait fait perdre votre rigueur et votre originalité et vous ait fait perpétrer un essai manquant de dignité. Plus de quarante ans d’écrits freudiens de tout genre lus en un été ! Cet intense travail de pensée lié à la rencontre avec les faits psychiques individuels et collectifs, de remise en question permanente, de repositionnements constants, ne peut être réduit à si peu de choses. Pas par vous...

Cette lecture, à la façon d’un premier de classe adolescent, ne convient pas à ces textes, vous le savez fort bien. La somme d’une telle œuvre devrait se lire de manière plus lente, plus approfondie, moins intégrale... et surtout pas chronologique... .

Ces textes servent de repère et non de religion à bien des cliniciens, psychanalystes et psychiatres, dont je fais partie. Le clinicien est celui qui se tient « au lit du patient », c’est-à-dire proche de lui, de ses problèmes, de sa vie, il l’écoute patiemment et d’années en années lorsque cela est nécessaire, accompagne une pensée naissante vers d’avantage de liberté et moins de souffrance. Il n’y a rien de religieux là-dedans, rien de purement intellectuel. Le clinicien ne prend pas part aux débats médiatiques, s’il écrit parfois, c’est en toute discrétion, ça ne veut pas dire que sa pensée ne mérite pas d’être diffusée, mais qu’il il n’en a guère le temps. Ce ne sont pas ceux qui parlent et écrivent le plus à propos de la psychanalyse qui connaissent le mieux le quotidien analytique en ses difficultés constantes. D’ailleurs ce que le clinicien veut dire n’est pas forcément facile à entendre, même pour ses collègues psychanalystes.

Si je prends la parole pour vous interpeller c’est que vous faites une imposture car je ne crois pas qu’il s’agit d’une méconnaissance de votre part. Vous savez que la psychanalyse que vous pourfendez est une caricature et vous vous en servez pour combattre une vielle Lune crée de toutes pièces. Ce démon que vous décrivez n’existe pas. En niant pas omission, toute l’honnêteté du travail des cliniciens qui restent dans l’ombre, et qui ont « les mains dans le cambouis », vous atteignez surtout douloureusement des gens qui leur font confiance. C’est grave quand on sait la fragilité de ce mot pour des personnes que la vie a tant fait souffrir et qui voudraient s’en sortir sans honte.

Tout ce que les découvertes freudiennes ont apporté et apporteront encore, quoi qu’il arrive, vous ne pouvez le nier. On peu le questionner, c’est même indispensable, mais pas le rejeter sans dialogue. Combien de personnes peuvent témoigner de ce que les rencontres avec leur psychanalyste a pu leur apporter ? Ils ne vont pas, pour autant, le dévoiler à tue tête ! Pourquoi avez-vous choisi cette optique conflictuelle et ce refus du dialogue ?

Je vous assure qu’il y a de très fortes discussions entre psychanalystes et que ces textes freudien ne sont pas lus d’une manière unique et totalitaire, bien au contraire. Ces textes n’ont de sens que corrélés à la clinique. Outre l’expérience personnelle d’un travail analytique qui ne peut se raconter vraiment et très partiellement dans des romans, les découvertes freudiennes sont utilisées pour échanger entre praticiens, parfois après de longues journées de travail. Ce n’est donc pas pour entendre la messe ! Tout le contraire, un moyen d’asseoir sa pensée en toute liberté et de mieux comprendre la clinique en s’aidant de la théorie. L’oeuvre de Freud est destinée à ceux qui cherchent, pas à ceux qui savent. Tout ce travail de pensée, de remise en question, vous n’en faites pas cas ? Vous, pourtant un Philosophe !

Et combien d’auteurs ont commenté, critiqué, Freud et se sont opposés parfois avec violence. Que faite vous de Mélanie Klein, Jung, Ferenczi tous esprits éminents et praticiens respectés qui ont argumenté face à Freud et l’ont aidé parfois à repenser ses théories, tout en proposant eux même des avancées forts utiles ? Des successeurs tels que Winicott, Dolto et Lacan sont-ils à négliger ? Il n’y a pas une vision de la psychanalyse, mais plusieurs et on ne peut pas dire que la contradiction inhérente à la pensée psychanalytique ne s’exprime pas, jusque dans des guerres fratricides, parfois des scissions.

L’invention freudienne n’est pas l’inconscient. De nombreux artistes, dont des médecins - à l’époque ou la médecine était un art- l’ont rendu perceptible depuis fort longtemps. Ce que Sigmund Freud a apporté c’est une méthode scientifique - même si le mot dérange - permettant d’entendre les productions de l’inconscient, de les intégrer comme des parties de soi et non de les exclure hors du sujet. Ces productions inconscientes sont des messages et il est possible d’en faire quelque chose si on les adresse à quelqu’un au lieu de les taire dans la peine.

Évidemment pour un esprit cartésien cela reste violent. Non seulement ne pas être maître « Es Volonté » de soi-même et demander de l’aide à autrui, mais en plus devoir regarder celui qu’on est vraiment, sans pouvoir éliminer ses propres pensées dérangeantes. Il n’est pas facile de supporter ce qui peut être vécu comme des attaques à l’estime de soi. Trouver à vivre en meilleure intelligence avec soi, les autres et le monde, mais sans compromission sur ce qui compte au fond, c’est AUSSI cela la psychanalyse héritée de Freud. Au moins reconnaissez le monsieur le philosophe !

Et laissez chacun librement accueillir ou non cet héritage, comme l’écrivait Goethe dans son Faust : Was du ererbt von Deinen Vätern hast, erwirb es, um es zu besitzen .

Nilks The Coubert