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Qui sont les fous ?

Intervention à la Table-ronde organisée au Théâtre des Amandiers de Nanterre sur le thème « Vive la Culture » les 13,14 et 15 Juin 2008 par le journal « Libération » Cette Table-ronde était animée par Eric Favereau. Antoine Lazarus Professeur de santé Publique en était l’autre intervenant.On pourra regarder cette Table-ronde au cours de laquelle seule une partie du texte ci-dessous à pu être lue.

De la folie de 68 à la folie sarkoziste : éloge de la complexité.

"./.. J'inclinerais, pour ma part, à penser qu'on naît pédophile, et c'est d'ailleurs un problème que nous ne sachions soigner cette pathologie. Il y a 1200 ou 1300 jeunes qui se suicident en France chaque année, ce n'est pas parce que leurs parents s'en sont mal occupés ! Mais parce que, génétiquement, ils avaient une fragilité, une douleur préalable. (…). Les circonstances ne font pas tout, la part de l'inné est immense."

Nicolas Sarkozy

Entretien avec Michel Onfray

Un mal qui répand la terreur : la logique administrative

Qui sont les fous ? aie ! c’est une question à 100 000 dollars ! Il n’y a que Lacan qui avait le chic pour commencer ses séminaires par ce genre de question et nous, naïfs qui pensions que l’on aurait la réponse au bout de la séance. Alors on s’efforçait de suivre sa pensée ce qui n’était pas simple et on finissait comme le disait récemment une collègue, Simone Molinat, par visiter le monde alors que l’on était parti pour visiter Avignon. Je n’aurai bien sûr pas cette prétention.

Faire en 30 minutes le voyage qui va de Mai 68 au show « Carlo-sarkoziste » me donne un peu le vertige. Cela ressemble à la visite imaginée par Godard entraînant Jean-paul Belmondo et Anna Karina à battre le record du monde du temps mis à la visite du Louvre c’est dans « une femme est une femme » je crois. Cela pourrait m’entraîner à réduire le tout à un résumé, à un synopsis et c’est précisément ce à quoi j’ai le sentiment que le monde qui nous est proposé aujourd’hui aboutit : résumer le film à une histoire, résumer « guerre et paix » à une histoire d’amour qui finit mal, résumer un match de foot à une succession de buts, résumer un homme à son code génétique, à sa couleur de peau, aux paroles qu’il entend dans sa tête.

Cette réduction, c’est celle à laquelle sont confrontés infirmières et psychiatres à longueur de journée. Car il faut coder les actes et selon les cas, DSM IV ou autre, transformer un individu en une croix sur une liste, une croix qui n’est jamais loin de correspondre à une ordonnance dûment associée à tel ou tel médicament puisqu’au fond c’est à cela que tout doit aboutir.

Ne croyez pas qu’aujourd’hui cette croix, celle que malgré vous, vous serez vous ou vos enfants obligés de porter, elle ne sera cochée que par un spécialiste psychiatre ou autre. Pas du tout. Cette croix, non seulement vous allez être susceptible de la porter mais vous aussi vous devrez la cocher soit directement au travers de formulaires dits de dépistages si vous êtes enseignants par exemple ( Cela a donné naissance au mouvement « Pas de zéro de conduite pour les enfants de moins de trois ans ») ou de façon plus indirecte, mais non moins dangereuse, au travers l’autorisation donnée au travers de ces techniques de dépistages à tout un chacun qui comme on dit a en connaître : le kiné, l’orthophoniste, le magistrat, etc.

Je vous donne un seul exemple : une famille que je vois à propos d’un enfant. Certes cet enfant ne va pas bien mais il n’est pas autiste. Les parents bien entendu sont inquiets et à l’affût de toute parole concernant leur enfant. La mère en particulier réclame ce diagnostic pour enfin avoir ce qu’elle considère comme étant le pire. Avec le pire on sait à quoi s’en tenir, ça rassure. En plus ça fait groupe avec d’autres, ça fait communauté sur Internet, ça fait mot-clé que l’on peut utiliser sur Google, ça fait punition divine que sais-je, ça sort en tout cas du singulier et du destin individuel. Eh bien c’est l’orthophoniste qu’elle voit en parallèle avec moi qui s’est précipitée dans le panneau. Oui, votre enfant est autiste, il faut une prise en charge et patatras. Et il m’a fallu beaucoup d’efforts pour ramer dans le sens inverse.

J’ai fait cette année une supervision d’équipe avec des éducateurs et des psychologues tous formidables de courage et de compétence. La situation d’une adolescente vient dans la discussion. On me dit « elle est dépressive » et tout le monde de reprendre en cœur : « elle est dépressive ». Qui dit ça : « le juge ». Il m’a fallu reprendre les éléments avancés pour montrer qu’à l’évidence il n’en était rien. Et puisque l’on parle de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ), Rachida Dati déclarait récemment que la priorité était à la prévention. Je ne vais pas entrer dans les détails de ce qui est un mensonge éhonté. Pour simplement illustrer ce que je disais précédemment un éducateur de la PJJ m’a rapporté que la Directrice du département de Paris Madame K. avait récemment rencontré les juges pour enfants pour annoncer quoi ? que la présence des éducateurs à l’audience ce n’était pas nécessaire, ça leur faisait perdre du temps, un rapport suffit ! un texte décrivant le bonhomme quoi ,voire un formulaire, pourquoi pas puisqu’on évalue les actes et pas le bonhomme. À quoi ça sert ce temps d’attente au cours duquel l’éducateur discute avec le jeune, voit les parents, les copains, est là lorsque le juge interroge le jeune sur ses actes et sur la sanction qu’il encourt ou prononce ? De plus, les lois Perben 2 sur la récidive rendront bientôt non seulement la présence de l’éducateur à l’audience inutile mais on se demande même si un juge sera bien nécessaire puisqu’à un acte, à un délit équivaudra une sanction. Qu’on lui coupe la tête comme disait dans tintin le jeune chinois fou.

Dans ces conditions évidemment et en accord avec la citation que je vous donnais en introduction tout peut devenir extrêmement simple. Simple mais désespérant, car la thérapie génique n’étant pour le moment pas à l’ordre du jour du moins en psychiatrie, il ne reste plus en effet qu’à recourir à un enfermement allié à des mesures coercitives, à un matraquage médicamenteux, à une psychiatrie profondément placée sous le signe de la désespérance et de la violence envers les malades. Ce d’autant plus que l’on ne sait plus aujourd’hui ce que c’est que soigner mais que l’on assimile de plus en plus le soin à la disparition des symptômes visibles. C’est précisément le contraire de ce que la psychanalyse et une certaine tradition du soin en psychiatrie ont toujours combattu.

Évaluer, cocher, noter cela finit par vous conduire à penser votre vie, votre travail d'une certaine façon. Le temps est comptabilisé, la perte de temps devient l'ennemi combattre. Il en résulte que le temps pour penser se réduit à sa portion congrue. Que le temps pour échanger également et que rien n'est plus dangereux dans une institution que ce temps pour penser soit peu à peu éliminé. Précisons. Ce temps peut-être tout aussi bien réduit à rien par la routine institutionnelle ou par la conjonction des petits avantages, mais qu'elle qu'en soit l'origine, cette réduction conduit à une chose : le déchaînement de la pulsion de mort institutionnelle et individuelle. Cela conduit par exemple à ce que, dans le silence, l'institution s'autorise à organiser la mort d'un malade par passage à l'acte. Le silence institutionnel est devenu silence de mort. Personne n'a décidé du meurtre ou de l'automutilation mais chacun a laissé faire en faisant semblant de ne pas voir. C'est cela que le travail de relance permanent de la pensée individuelle et institutionnelle permet par exemple d'éviter. Ce que l'on appelle intrication des pulsions de vie et de mort. La logique administrative conduit inévitablement à ce que la pulsion de mort prenne bientôt ses aises, et que pointe sa dimension meurtrière. Elle a démontré au cours de ce qui s'est passé dans la tragédie de Shoah son efficacité qu'il est toujours utile de rappeler. Personne n'est coupable mais seulement le rouage d'une machine qui ne pense plus. Une institution qui ne pense plus, qui n'instille plus de la pulsion de vie dans ses rouages est une institution mortifère dont chacun subit la logique, les patients et le personnel. C'est cette logique mortifère qui est actuellement à l'œuvre dans les institutions psychiatriques « Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés »

Disparition programmée de la folie et des fous

Est-ce que c’était mieux avant ?

Puisque j’ai annoncé que je partirai de ce que j’ai connu comme jeune psychiatre en 68 je vais brièvement vous rappeler ce qu’étaient à cette époque les hôpitaux psychiatriques. Ce n’était pas Byzance au temps de sa gloire, je vous prie de le croire et encore, pour ma part, je n’ai connu que les hôpitaux psychiatriques de la région parisienne Maison Blanche, Ville Evrard, Ste Anne. Nous étions tous d’accord qu’il fallait mettre un terme au système asilaire même si asile veut d’abord dire refuge. Il fallait réinsérer, supprimer les asiles-parking à malades chroniques. Dans les hôpitaux psychiatriques, le mélange entre des malades aigus, par exemple le jeune homme ou la jeune fille qui fait une première bouffée délirante et la femme âgée démente n’avait rien d’un mélange enthousiasmant bien entendu. Dans la région parisienne, les conditions étaient plutôt meilleures mais en province cela pouvait rapidement tourner au cauchemar. Loin de moi l’idée d’idéaliser cette époque. Ce que je vous décris là, pour moi à l’époque cela représentait l’horreur absolue et si je pensais un jour devenir psychanalyste, j’avais dans l’idée qu’être psychiatre c’était une très bonne chose à condition d’en sortir au plus vite. C’est Lacan qui m’a invité à revoir ma copie et je continue aujourd’hui à penser qu’il avait raison, mais dans mon idée de l’époque, le monde des asiles c’était vraiment pas un endroit où il était intéressant d’être et pourtant c’est à cette époque que tout un mouvement est né ou s’est prolongé dans les traces de ce qui avait précédé le grand chambardement qu’avait constitué l’autonomisation de la psychiatrie par rapport à la neurologie d’une part, et les théories concernant la sectorisation d’autre part.

Nous avions parfaitement conscience qu’il fallait bousculer tout cela. Ce fut un moment de grande effervescence créatrice avec cette combinaison extrêmement féconde du désir de créer et de confronter tout en s’appuyant sur des réflexions théoriques. C’est dans ce mouvement qu’il faut situer des expériences comme celle de Bonneuil, de l’école expérimentale de La Neuville ou de la rue de Vitruve dans le domaine de la pédagogie, des lieux comme La Borde etc.

Nous arrivions avec beaucoup d’énergie et de naïveté et dans une certaine prétention révolutionnaire bien caractéristique de l’époque avec pour certains dont je n’étais heureusement pas, l’idée qu’étant armés par la théorie psychanalytique les problèmes de la folie allaient se résoudre comme par enchantement. On allait voir ce qu’on allait voir et en effet on a vu. On a vu comme toujours à la fois le pire et le meilleur. Le pire cette fatuité, cette condescendance, cette bêtise satisfaite d’elle-même, et de l’autre, des gens au travail avec des patients difficiles et armés d’une intelligence et d’une énergie propre à faire bouger les lignes.

La passion du politique

Ce qui nous animait alors c’était une passion du politique, une passion non de la politique des petites phrases mais une perpétuelle tension à la fois pour comprendre le monde dans ses fonctionnements et pour essayer de le changer. Comme toute passion cela ne va pas sans casse, sans mettre de côté la sécurité du quotidien. Folie des propos, folie des barrières sociales bousculées, folie de ceux qui s’emparaient pendant des heures du micro pour ne dire que leur souffrance, folie des petits bureaucrates en herbes rêvant de récupérer tout ça pour en faire leur beurre dans une société en coupe réglée, à la chinoise ou à la soviétique. Même s’ils prêchaient le contraire cela leur sortait par tous les pores de la peau, folie des petits fascistes de gauche. De ceux qui ânonnaient des slogans qu’ils auraient désapprouvés un mois plus tôt, qui bégayaient un discours pseudo-marxiste à longueur de tribune eux qui pour la plupart n’avaient pas lu une ligne de Marx

Ceux qui ont choisi Lacan

Dans le livre Virginie Linhart « le jour où mon père s’est tu » elle cite cette parole de Roland Castro « ceux qui ont choisi Lacan s’en sont sorti, ceux qui ont choisi Althusser ne s’en sont pas vraiment sorti »

C’est un livre attachant parce qu’elle tente, Virginie Linhart, de faire un pont entre la génération qui sans être tout à fait la mienne n’en est pas très éloignée et la sienne et l’on sent que le fossé qui sépare ces deux générations chacun cherche à le combler de part et d’autre car il est tel, est tellement énorme qu’il ne peut pas ne pas nous interroger. On retrouve cette même démarche dans le film de Carmen Castillo « Rue Santa fé » que certains d’entre vous ont certainement vu.

C’est drôle ce monde d’aujourd’hui, c’est bizarre. Chacun cherche à comprendre mais aucun de nous n’y parviens. Ce n’est pas nouveau la rupture des générations, ce qui l’est, c’est cette volonté non de s’affronter mais de comprendre et c’est précisément ce qui échappe sans doute à Sarkozy quand il cherche à monter les deux générations l’une contre l’autre.

Alors pourquoi, face à la folie déferlante de Mai 68, avons nous choisi Lacan, plutôt qu’Althuser ou la pêche à la ligne ?. Une des réponses je l’ai dit, c’est parce qu’il nous semblait donner au monde un moyen de comprendre cette folie qui était la nôtre celle de chacun de nous pris individuellement et aussi celle collective que nous traversions en essayant de ne pas y être emportée comme beaucoup qui précisément de ne pas avoir suivi Lacan s’y sont perdus.

Dans ce maelström il y avait les autres, je cite en vrac le gaullisme, la psychiatrie asilaire, les mandarins, la hiérarchie catholique, le parti communiste et même la philosophie envoyée aux oubliettes. Dans les bons il y avait à nos yeux la psychanalyse pas toute. Nous avions aussi nos réactionnaires de l’« univers contestationnaire » de la Société Psychanalytique de Paris. Et Lacan pourquoi nous parlait-il ? parce qu’il ouvrait nos regards sur le monde en s’emparant alors de ce qui nous paraissait les sciences de l’avenir la linguistique, la sociologie, l’épistémologie, les mathématiques que sais-je.

Comprendre le monde et sa folie, nous en avions les outils. Et il allait nous falloir beaucoup de temps pour ne pas sombrer dans l’activisme ou dans la dépression qui nous guettait du moins les plus lucides d’entre nous qui savions bien que notre merveilleux avenir nous l’avions derrière nous puisque à l’évidence nous avions échoué, sans doute à hésiter à prendre ce pouvoir dont au fond nous n’en voulions pas car c’était devenir adulte, se résoudre à être raisonnables.

Ce que je cherche à vous dire c’est que face au concentré de vie que nous avions reçu en héritage d’un coup comme un paquet cadeau mais un paquet plutôt compliqué à déchiffrer et qui s’appelait le monde dans sa grande mutation on nous livrait des réflexions complexes et qui nous entraînaient dans leur complexité pour comprendre ce monde là. Comprendre les anciens et les modernes tout à la fois et dans le désordre. Pas facile d’absorber à 20 ans Freud Lacan et les autres tous les autres : Ferenczi, Abraham, Klein, Barthes, Dumezil, Levy Strauss, Foucault, Althusser, Marx, Dolto, Deleuze et Guattari , Leclaire j’en passe. Mais enfin ça nous a pas mal occupés d’autant que leurs pensées s’opposaient et qu’elle nous paraissait souvent aussi compliquée que le monde qu’ils tentaient d’expliquer. Y a-t-il eu à un moment donné un refus devant cette trop grande complexité ou celle-ci est-elle apparue justement compliquer un monde que l’on pouvait simplifier pour le rendre plus facile à utiliser au quotidien ? De cette façon ne pouvait-on échapper aux incessantes querelles entre les uns et les autres où l’on voyait bien que les luttes de pouvoir et les histoires de cul jouaient autant que les grandes théories que l’on nous servait. Ça bien sûr la psychanalyse ne pouvait pas ne pas nous l’avoir appris mais hélas ceux qui tenaient les rennes du pouvoir psychanalytique chez les lacaniens n’en étaient pas exempts puisque les combines ont succédé aux coups fourrés jusqu’à la mort dramatique de Lacan et le naufrage de son école.

Après cela, il a fallu nous débrouiller comme on pouvait. Avec aussi un constat que nous avons bien été obligés de faire avec ou sans le passage par la psychanalyse : Impossible de dominer le monde par le savoir pêché ici ou là. Impossible de saisir l’ensemble de la pensée des grands et aussi celle des petits. Impossible de dominer à la fois la pensée de tous ceux que j’ai cité plus la sienne et d’en faire une synthèse pour la mettre en pratique. Renoncer à maîtriser complètement ces pensées complexes et conflictuelles mais ne pas accepter non plus d’en faire une simple boite à outil. S’imprégner au contraire d’un mode de pensée et prendre position à certains carrefours devenus au fil des lectures des incontournables. Mais voilà, pendant que nous continuions à explorer ces arcanes pensant établis quelques fondamentaux comme par exemple l’existence de l’inconscient et ses modes de fonctionnements d’autres avaient tout bonnement abandonné tout cela et avaient planté leurs choux dans des modes de pensées dont le simplisme nous laissaient sans voix! Stupeur et consternation 

Le désarrimage de la psychiatrie et de la psychanalyse et ses conséquences

La sourde opposition des psychanalystes à la psychiatrie

Je ne vous apprendrai rien en vous disant que les psychanalystes passent leur temps à se battre entre eux. Certes, ça leur avait un peu passé mais les histoires d’amendement Accoyer ont ranimé les luttes internes. Je voudrais vous dire quelques mots de l’une des causes du désarrimage de la psychanalyse et de la psychiatrie, c’est la sourde opposition d’une part des psychanalystes, je ne dirai même pas à toute immixtion mais même à tout contact avec la notion même de soin, donc à tout contact avec ce qui de la psychiatrie a à voir avec la médecine.Il faudrait plus de temps pour en parler sérieusement ; L’histoire des institutions psychanalytiques et du mouvement psychanalytique dans son ensemble et pas seulement en France, a longtemps été dominée par la lutte entre les médecins et les non-médecins. La prise de pouvoir dans les principales organisations de psychanalystes par les médecins. Les procès, les questions autour de la psychanalyse profane toute une histoire aussi vieille que la psychanalyse a fait que sur sujet comme sur bien d’autres, la confusion règne et que sa conclusion est souvent ramenée à son plus petit commun dénominateur : la haine de la psychiatrie. On aurait pu croire que Lacan par son approche ouverte à toutes les disciplines émergeant à la fin du siècle dernier et son souci constant de dialoguer avec la psychiatrie aurait mis un terme au malentendu. Il n’en est rien. On peut dire en somme que sur ce point comme sur tant d’autre c’est la caricature de sa position qui a prévalu ; la guérison ne peut survenir que de surcroît est devenu on se fiche de savoir ce que devient le symptôme du patient, la théorie du signifiant et du nom-du-père rend inutile l’usage des médicaments. Être formé à la psychiatrie, débattre avec elle dans le champ clinique c’est trahir la psychanalyse etc.La bêtise n’est le champ exclusif de personne et n’épargne pas hélas les psychanalystes.

On ne peut pas passer son temps à se battre, à perdre des batailles et penser gagner la guerre

Eh bien oui, c’est la leçon que j’ai tirée depuis longtemps seulement voilà je ne pensais pas que l’on irait jusqu’à mettre en question tous les fondamentaux. J’avais tort. L’avènement du comportementalisme, le retour des processus d’enfermement et de contention, l’envahissement administratif, global, massif, tout cela a conduit au naufrage d’une certaine psychiatrie, d’une certaine idée de la folie et les psychanalystes sont partiellement comptables de ce qui se déroule maintenant, mais bien sûr ils ne sont pas les seuls. Alors que faire ?

Le film de Sandrine Bonnaire « Elle s’appelle Sabine » a rappelé à tous ceux qui ont accepté de se déplacer pour le voir cette vérité simple : Il y a des folies dont on ne guérit pas pour le moment mais que selon la façon dont on les soigne, ces malades peuvent évoluer de façon totalement différentes. Soit s’enfermer dans une vie purement végétative, abruti de médicaments se détériorant rapidement marqués dans leur corps et dans l’abolition rapide de toute forme de communication avec le monde ou, s’ils sont pris en charge dans le respect de leur corps et de leur environnement, soignés même s’ils ne sont pas pour autant guéris, retrouvent une place dans notre société place fragile, toujours sur le bord de la rupture, mais une place ô combien précieuse.

Que sont les services psychiatriques aujourd’hui ? des lieux où il s’agit de guérir rapidement voire à tout prix. Cela conduit à des déshospitalisations arbitraires. Vous savez que nous avons lutté après 68 et dans la foulée du travail de Michel Foucault dont on ne dira jamais assez combien il a ouvert de champs non seulement à la réflexion mais aussi à l’action. Nous avons contribué à cela au travers de mouvements comme « Garde fou » avec Jacques et Pascale Hassoun par exemple et « Champ Social » aussi avec Bernard de Fréminville. Certains alors se battaient pour un changement dans le droit à la parole dans les HP mais aussi contre les internements arbitraires. Je n’étais pas forcément d’accord car déjà à l’époque c’était plutôt le phénomène inverse qui me semblait majeur. Faute de place à l’hôpital pierre chassait paul. Eh bien aujourd’hui le phénomène s’est accéléré. Il faut que ça tourne !

S’y associe une folie supplémentaire et oh combien nuisible, celle non de vouloir soigner, comprendre, aider, mais de guérir de réduire à tout prix fut ce parfois à la vie même du malade le symptôme au plus vite afin de remettre le malade dans le circuit « normal » fut-ce sans aucune assistance et ce par manque de personnel qualifié. Alors on assomme le malade de neuroleptiques, on l’isole dans les chambres de contention, on l’électrochoc et nous revoici plongés dans l’univers que l’on croyait disparu celui de « vol au dessus d’un nid de coucous ».

Alors que faire ? s’opposer résolument à cette psychiatrie qui descend allégrement vers la préfecture. Se battre contre toute forme de fichage social, renouer les liens même conflictuels entre la psychanalyse , la psychiatrie et l’ensemble des sciences, sciences humaines, sciences sociales, sciences du vivant, sciences formelles et tout ce qui dans la société fait penser, fait ressentir.

L’expression artistique quant à elle est un formidable moteur du vivant et de la pensée dans tous les domaines et c’est à ce titre que nous devons la promouvoir, promouvoir tout ce qui fait la complexité de la vie , tout ce qui fait la richesse de notre humanité. C’est cela qu’il faut faire aujourd’hui et demain, c’est cette société fondée sur une pensée complexe et sensible que nous voulions bâtir et à laquelle,contrairement à ce qu’une certaine pensée dominante laisse entendre, nous continuons de croire.