le psychanalyste est-il au service du consommateur?

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Le psychanalyste est-il au service du consommateur ?*

Peut-on se payer une analyse ? Peut-on acheter une analyse comme on s'achète un vêtement ou une maison de campagne lorsque l'on en a les moyens ? peut-on -et avec quel profit c'est le cas de le dire - raisonner de cette façon, ou du moins penser la demande adressée à un analyste en ces termes ?

Les événements de l'an passé concernant la législation sur les psychothérapies, la massification de l'offre « psy » assimilée à un service quelconque et dont le coût tend à diminuer au fur et à mesure de l'évolution des rapports entre l'offre et la demande, m'ont conduit, non sans réticences à me poser ces questions. Je voudrais remercier la sociologue Efi Markou et mon très cher ami Michel Lecarpentier d'avoir accepté d'être mes interlocuteurs durant ce parcours.

« On a l'âge de ses artères », c'est la sagesse populaire qui le rappelle, mais pour les intellectuels que nous sommes, j'aurais plutôt tendance à dire que l'on a l'âge de ses concepts. Quand je parle de concept, je fais référence à ceux par lesquels j'ai moi-même été formé dans un autre domaine, celui de la politique et que voyant leur abandon par d'autres que moi, j'ai pensé : « tout fout le camp ». Ainsi en est-il de la lutte des classes avec laquelle j'ai pris mon café tous les matins depuis une quarantaine d'années. Ce concept de ne plus servir de référence commune doit-il être abandonné ? faut-il considérer que d'autres plus pertinents ont pris sa place ? voire que la société à elle-même changé au point de rendre caduque l'outil même qui prétendait en faire l'analyse ?

Jeune adulte, j'ai entendu tous les poncifs concernant le mouvement de mai 68 décrit comme une révolte contre la société de consommation rejetant son fonctionnement pour mieux le promouvoir ensuite. Ce discours ne m'a jamais intéressé, ne m'a jamais paru pertinent. J'ai toujours eu plutôt tendance à voir dans cette révolte la prolongation d'une longue maturation de l'extrême gauche au sein des mouvements anticolonialiste que les effets d'une prétendue vérification des thèses d'Ivan Illich. C'est vous dire mon retard aujourd'hui. Cette façon de comprendre le monde de l'organiser autour de ce concept de « consommateur » me rattrape, organise le monde où je vis et je suis bien contraint sans doute de le penser à mon tour, car il pense le monde au sein duquel je me trouve.

Et lorsque dans une phrase appelée à atteindre une célébrité au moins égale à celle de richard Virenque et son désormais célèbre « à l'insu de mon plein gré » (qui tout de même peut-être, à bon droit, considérée comme la devise des psychanalystes), Patrick Lelay, directeur de TF1, nous a annoncés sans détours qu'il vendait « du cerveau disponible pour coca-cola », je pense que nous avons tous compris qu'une page, la nôtre sans doute, était définitivement tournée.

Que la société fonctionne à coup de publicité pour des lessives, ne me gêne pas outre mesure. J'avais naïvement le sentiment d'y échapper grâce au discours de second degré que nous offrent les humoristes. Lorsque la publicité a envahi mon espace vital, j'ai pu me replier sur des territoires protégés où elle se fait discrète. C'est une stratégie de la fuite et du repli qui a cours fréquemment chez les intellectuels. Ainsi de la télévision que quelques-uns ont refusé de posséder pour prétendument échapper et faire échapper leurs enfants à la culture dite de masse, aux feuilletons débiles et à la publicité. Bien entendu les dits enfants se sont empressés d'aller regarder la télévision chez les voisins. Les rares qui ne l'ont pas fait se sont retrouvé en rupture avec leurs camarades ce qui ne fut pas sans leur poser des problèmes de socialisation.

C'est une réaction assez semblable qui a touché une partie des intellectuels avec Internet mais cette tendance est en passe de s'inverser. On n'échappe pas au monde dans lequel on vit surtout lorsque l'on est analyste. Il nous faut, bien au contraire, prendre ce monde à bras-le-corps. Pour ma part continuant ce processus de fuite et d'auto protection minimale, je suis passé à la radio, de France-inter à France Culture ou alternant les deux. J'ai longtemps fréquenté « le Monde » comme unique source écrite. Je regarde souvent les films des chaînes câblées et il faut un événement majeur pour que je regarde les chaînes publiques. Je ne vais dans les supermarchés que par occasion et fréquente plutôt les marchés chics du 15 e. Et puis la presse est devenue « gratuite » dans le métro, mais je n'en suis pas un utilisateur régulier préférant la marche, l'autobus ou… rester chez moi.

Des journaux gratuits cela veut dire que les rédactions sont directement à la solde des annonceurs ; C'est vrai qu'ils ont parallèlement pris une telle importance dans les « payants » que la différence apparaît moins flagrante qu'on aurait pu le penser. Je n'ai pas été sans combattre dans les temps passés la pieuvre Hersant mais l'arrivée de Berlusconi, de Fox news etc. aurait dû me mettre davantage en alerte.

Puis il y a eu la Loi Kouchner. Personne n'y a prêté vraiment attention et pourtant. Cette loi n'est sans doute pas pour rien dans le découragement et le ras-le-bol qui ont assailli un nombre certain de médecins et principalement les généralistes c'est à dire ceux dont le métier est centré sur la clinique et non sur l'acte technique. Cette loi, instaure, met en scène, en médecine le « consommateur » je dis bien le consommateur, pas le citoyen.

Cette loi vise la protection du dit consommateur. Elle l'invite à consulter son dossier, à se plaindre des médecins qui ne satisfont pas sa demande de guérison, à prendre lui-même les décisions le concernant et fait jouer au médecin non plus le rôle d'agent mais celui d'outil au service du patient ou bien plutôt, trêve de feinte hypocrisie, du client.

Le médecin y perd son rôle et sa fonction. Il n'a plus à s'affronter à la difficulté de sa décision. Il doit seulement s'efforcer d'orienter le malade dans le sens qui l'arrange en lui fournissant les informations qui avant tout dégagent sa responsabilité. L'angoisse que le médecin partageait auparavant avec le patient, tâchant à sa mesure d'en supporter la plus grande part possible, il va au contraire la déverser sur le malade. Sur ce dernier repose maintenant la totalité de la décision alors qu'il ne peut en mesurer sereinement les conséquences. J'ai constaté que la violence contre les patients, violence verbale s'entend, violence symbolique aussi, loin de s'atténuer prenait des allures de plus en plus sauvages. Elle se retourne en son contraire. Un récent cri d'alarme a été lancé par le Conseil de l'Ordre des Médecins qui constate la multiplication des agressions de toutes natures à l'encontre des médecins. Cette violence ne se résume pas aux quartiers sensibles mais touche tous les secteurs de la société. Elle conduit les médecins à faire appel de plus en plus appel à la police et à la justice voir à des mesures d'auto-protections qui caricaturent l'ancienne relation de confiance supposée être au cœur de la relation médecin-malade.

Cette violence, le médecin dégagé de la responsabilité qui lui incombait auparavant la déverse sur le « client ».

Le « Vidal » est en vente libre, sur Internet tout peut s'acheter sans intermédiaire et sans tiers autre que le vendeur, cependant que la liste des contre indications pour chaque produit s'allonge indéfiniment pour couvrir le laboratoire en cas de procès. Toute une politique qui visait à mettre en valeur la nécessité de la médiation d'un professionnel face à l'information des médias et à la publicité des laboratoires tend aujourd'hui à être battue en brêche et à s'inverser en une promotion de l'auto-médication autrefois dénoncée. L'économie à courte vue ainsi réalisée se compte en nombre d'actes médicaux. À long terme au contraire, c'est la santé de toute la population et son rapport aux soins qui s'en trouve profondément altéré.

Écrire un dossier d'un malade relève d'un exercice d'hypocrisie permanent puisqu'il s'agit d'une pièce qui non seulement peut être lue par le malade mais qui servira, chacun en est de plus en plus conscient, de preuve pour le tribunal. Ce droit est rétroactif touchant des dossiers écrits par des médecins persuadés au moment où ils l'ont écrit que leurs notes ne tomberaient pas entre des mains non prévenues. Le médecin doit se protéger avec des assurances de plus en plus lourdes et penser sa pratique sous une forme avant tout défensive. L'exercice du pouvoir consiste maintenant à se couvrir et à prendre le minimum de risque. Telle est la nouvelle donne.

Cette loi Kouchner comment ne pas voir qu'elle a fait le lit de la loi sur les psychothérapies dont celle-ci s'inspire d'ailleurs très directement : l'importance de la garantie donnée aux usagers, la normalisation du produit, la qualification du fournisseur sont suffisamment explicites pour que cela ne nécessite pas de longs commentaires.

Le fait, au passage notons le, que la Fédération des psychothérapeutes ait un temps voulu faire jouer le rôle d'expert à l'AFNOR signe bien cette dimension.

Au cours de ce débat sur les psychothérapies j'ai compris que rien décidément n'était plus pareil, que la « société de consommation » avait fini par s'intégrer de telle manière dans la subjectivité de chacun que la demande auprès des analystes s'en était trouvée profondément modifiée.

Pour l'illustrer trop brièvement mon propos, je ne saurais faire mieux que citer un extrait du livre de Nicole Anquetil « Scène de la vie psychiatrique ordinaire. »1 qui rassemble une série de chroniques parues dans le « Journal Français de Psychiatrie » où l'on peut pour une fois sans dommage remplacer le terme de psychiatrique par celui de psychanalytique :

Scène de la vie

psychiatrique ordinaire

Nicole Anquetil

Allô ! J'éééééécOUUUte

- Allô ! C'est combien ?

- Allô ! Je suis bien chez le docteur D. ?

- Oui, c'est de la part de qui ?

-C'est le docteur 0. qui m'a donné votre numéro, c'est combien ?

- À qui ai-je affaire ?

Est-ce un sondage ? s'interroge le praticien.

- Ah, oui, je suis madame M. C'est combien '?

- Bonjour, madame.

- Voilà, je veux savoir combien ça coûte. Votre consultation, c'est pour prendre rendez-vous.

- Je peux vous proposer…

- Vous êtes remboursée par la Sécurité sociale ?

- Moi non, pas pour ma consultation, mais si vous êtes assurée, vous le serez.

- Ah, oui Pardon ! On est remboursé combien ?

-Remarquez, j'ai une mutuelle, vous savez combien rembourse la mutuelle ?

-Madame, je suis. en rendez-vous, si vous le souhaitez, je peux vous en donner un et nous discuterons de tout cela.

- C'est que je travaille, voilà, c'est mon mari qui ne va plus du tout. Il est devenu méchant. Je voudrais vous parler de lui, je voudrais savoir en combien de temps il pourra changer et ce que vous allez faire.

-Madame, peut-être peut-il prendre rendez-vous lui-même ? C'est ce qu'il y aurait de mieux, mais là je suis occupée, je vous remercie de votre appel.

- Mais non docteur, je veux vous voir, bien sûr c'est bien qu'il vienne vous voir, mais je veux savoir combien de temps va durer sa thérapie, ce que vous allez faire et combien ça va coûter, pour le lui dire ; pour

l'instant il dit qu'il va bien, mais je vous assure qu'il a besoin d'une thérapie, moi je n'en peux plus.

- Le mieux est qu'il puisse en discuter lui-même s'il le désire.

- Je vois que vous ne comprenez rien. Au revoir

Docteur.

Et Nicole Anquetil d'ajouter ce commentaire :

« C'est vrai qu'il ne comprend rien ce professionnel de santé, il ne comprend pas qu'il a affaire à une usagère en santé mentale qui lui demande, somme toute, ce qu'il a en magasin comme outil en thérapie et combien cela va lui coûter que de transformer son conjoint en

objet idéal, dans une valeur d'usage, selon tes critères en cours sur le marché du juste fonctionnement mental en vertu de la Démocratie sanitaire.

Toutefois, une notion semble devoir s'introduire dans le débat que cela pourra susciter : qu'en est-il de l'abus de bien social ? • »

Comme j'annonçais à l'une de mes collègues ce prochain exposé, celle-ci me rapporta que dans ce cas un analyste de ses amis avait coutume de répondre ainsi « ah madame, vous n'avez vraiment pas de chance. Hier c'était gratuit, mais depuis aujourd'hui c'est payant. Que voulez-vous il faut bien vivre ». Certes l'humour peut parfois nous être secourable. On ne peut hélas s'en contenter.

Ce qui me paraît particulièrement préoccupant dans cette affaire c'est que ce type de « dialogue » tend à ne plus être anecdotique mais au contraire en quelque sorte, la règle.

Lors d'une récente consultation une patiente m'a été adressée parce qu'elle venait de perdre son compagnon qui s'était suicidé. Comme elle était en deuil, elle devait forcément être adressée à un « psy ». Ce terme dont il faudrait tracer les étapes de son établissement indique bien l'état de confusion dans lequel nous nous trouvons s'agissant des référents de la psychanalyse dans sa démarche propre. Tous les fondamentaux de la psychanalyse ont aujourd'hui perdu leur caractère d'évidence pour être renvoyés à de vieilles lunes : qu'il s'agisse de la sexualité notamment infantile, de l'inconscient comme discours de l'Autre ; C'est là une transformation profonde, essentielle, que les analystes sont entrain de vivre eux qui pensaient naïvement que ces données étaient acquises une fois pour toutes au même titre que certaines données de la science.

Occupés à des querelles de chapelles, à des débats chimériques ils en ont oublié de défendre ce qui constitue le socle de leur pensée et de leur pratique ;

Qu'importe, ce qu'il faut c'est un spécialiste et ça tombe bien j'en suis un. Il faut bien un spécialiste pour tout sinon que faire pour un proche dont la détresse nous touche. Rien peut-être, ne pas s'évanouir, lui offrir un peu d'amitié, un peu de temps ; non, vous n'y pensez pas quand on a les moyens on va voir un spécialiste. Le spécialiste c'est celui qui fait de façon compétente ce que l'on ne veut pas faire soi-même parce que l'on n'a ni le temps ni le goût et que l'on est prêt à payer pour cela mais pas trop cher et si possible en étant remboursé de ses frais. Comme son compagnon avait consulté lui-même dans un dispensaire, elle s'y était rendue et c'est sans difficulté qu'elle avait eu accès au dossier. Au-delà de la mort pas de secret possible. Rien de tout cela ne semblait choquant ni pour ma patiente, ni pour son entourage et encore moins pour les psychiatres et les psychologues du dispensaire qui avaient fait preuve de beaucoup d'humanité avec elle en lui donnant toutes les informations confidentielles contenues ou non dans le dossier ; même après la mort pas moyen d'avoir le moindre secret pour son entourage y compris ce que l'on a confié à un médecin peut du jour au lendemain être divulgué à tout va sur la place publique.

Sans remonter aux calendes grecques, les sociologues nous renseignent sur l'introduction en France, de la notion de consommateur. 2Comme l'indique Louis Pinto, ce changement de perspective est clairement à démarquer de l'accroissement de la quantité et de la diversité des biens de consommation. Il prend son essor dans le mouvement du plan Marshall à la fin de la dernière guerre. Il s'agit avant tout de substituer à l'affrontement au sein de l'entreprise entre une classe ouvrière et une classe possédante, la gestion par le « consommateur » des biens de consommation. Il s'agit donc d'un instrument de régulation économique du marché au sein d'une société d'économie libérale.

Le régulateur, auquel est confiée cette tâche est un personnage qui nous est maintenant devenu familier, c'est la ménagère. Cependant, c'est précisément au détriment de celle-ci que le nouveau consommateur voit bientôt le jour. Il cesse d'être une femme, mère de famille pour devenir un individu pourvu d'un pouvoir d'achat et ce quel que soit son âge ou son sexe. Au sein d'une famille si la femme est le plus souvent l'agent de l'achat du quotidien, tout achat d'importance implique les deux partenaires du couple qui planifient leur dépense et leur engagement dans un crédit pour un bien coûteux (maison, enfant, voiture réfrigérateur, et maintenant psychanalyse3).

Au XI X e siècle la famille ouvrière devait être régulée au nom de la morale, rien de tel dans le XXIe siècle naissant où la morale est affaire privée. Le consommateur aujourd'hui, règne sur une économie domestique dont les gestes comme au sein de l'usine doivent être simplifiés et rationalisés. Gain dans la gestion du temps et de l'espace occupé par les activités ménagères.

Être consommateur n'est pas une donnée brute mais une distinction. Être un consommateur, ça se mérite. Le consommateur est un individu qui se renseigne qui choisit entre les produits. Il doit avoir à sa disposition des instruments qui lui permettent de juger sur des bases « objectives » de la qualité du produit qu'il consomme. Avoir à sa disposition l'information nécessaire à son choix implique le développement d'une presse spécialisée susceptible de l'informer et aussi un organisme régulateur qui sanctionne les abus. Il doit pouvoir s'associer avec d'autres et représenter un groupe de pression susceptible d'intenter des actions contre ceux qui tenteraient de l'abuser. Ce groupe se doit également d'être représenté au niveau des pouvoirs public, et ce de façon distincte des syndicats qui eux représentent le monde de l'entreprise, même si ces derniers pour éviter d'être exclu du « dialogue social » à ce niveau, ont mis en place progressivement des instances supposées remplir ce rôle d'interlocuteur des pouvoirs publics et de représentants des « usagers ».

Toutes ces instances diverses, tout cet appareil a donc été créé de toutes pièces au sortir de la guerre. En s'inspirant d'études faites aux Etats-Unis on voit apparaître le Credoc (Centre de Recherche, d'études et de documentation) chargé de réaliser des études sur l'évolution de la consommation, l'Union Fédérale de la consommation qui donnera naissance à la revue « 50 millions de consommateurs » et l'AFNOR cet organisme ayant pour tâche la « normalisation » c'est-à-dire de la possibilité de comparer des produits similaires.

Louis Pinto souligne qu'au centre de ce dispositif se sont trouvées « les associations dont la référence « familiale » indiquait le primat accordé au quotidien sur les abstractions réputées inhérentes à la (grande) politique ». Il s'agit donc bien d'un processus de dépolitisation, de séparation avec la politisation issue des conflits au sein de l'entreprise. Ce qu'il faut, c'est avant tout modifier la façon de penser les conflits, cesser de les penser en termes de lutte des classes comme les marxistes l'ont seriné aux masses laborieuses durant plus d'un siècle. La notion de consommateur fait émerger simultanément une mobilisation protestataire qui ne rejette pas le cadre conceptuel qui lui est proposé mais son utilisation (ne consommez pas n'importe quoi, consommez moins etc…). Le rôle du consommateur est d'abord de choisir non pas entre un produit et rien, mais entre des produits « comparables » et qu'il s'agit de rendre tels via la création d'une norme. Inutile de préciser davantage qu'en matière de « psy » cette norme de référence sera, est déjà, la « psychothérapie » tout autre référence y compris la psychanalyse ne faisant que se satelliser autour de celle-ci.

Retour à l'envoyeur.

La perspective que j'ai ébauchée devant vous, si elle n'a rien de réjouissante, nous oblige au moins à considérer une autre question qui nous concerne tous celle de l'envoyeur. On voit bien que le processus que j'ai décrit conduit à établir une relation directe entre l'usager, ici le patient, et le fournisseur de service ici le psychanalyste, bientôt psychothérapeute, l'État servant uniquement de régulateur, d'intermédiaire visant à certifier le produit voire à fournir des outils comparatifs et à servir d'arbitre. Alors que les psychanalystes peinent depuis des décennies sur la question difficile de la garantie et sur la question de qui est psychanalyste et qui ne l'est pas et ce que l'on peut en savoir et ce que l'on peut en conclure, cette question semble avoir été définitivement tranchée par l'État lui-même.

C'est en effet lui qui par la reconnaissance des associations psychanalytiques validantes à la fois, au vu des informations fournies par les associations elles-mêmes, dira qui est psychanalyste et qui ne l'est pas. Soyons plus précis et plus exacts. En effet rien en apparence n'oblige quiconque à entrer dans ce processus et chaque analyste, chaque association peut demeurer fière et insensible aux mouvements du temps. Soyons d'ailleurs certains qu'il en restera un certain nombre qui adopteront cette posture. Mais les choses étant ce qu'elles sont, les données économiques imposeront au plus grand nombre leur logique ;

L'État sera conduit très prochainement en application de l'article 52 à valider les associations psychanalytiques ainsi que leur capacité à former ou non des psychothérapeutes. Si mon raisonnement est pertinent, cela signifie que les associations psychanalytiques qui auront validé cette démarche viendront se placer dans le pool commun des formateurs de psychothérapeutes le seul qui aura quelque valeur dans cette économie de marché que je viens de décrire. À terme, cela conduira à peu près certainement à ce que les associations de psychanalystes qui forment à la psychothérapie deviennent sous la pression de l'État, de la demande et du marché des associations de psychothérapeutes qui forment à la psychanalyse. Je pense d'ailleurs que, dans une certaine mesure, ce processus est déjà très avancé. C'est logique, cela correspond à la mise en norme et au choix devant lequel est placé le « consommateur » encouragé par l'État. Comme je l'ai indiqué ailleurs dans un article sur oedipe : qui adressera à partir d'un lieu public à un psychanalyste non reconnu via son association par l'État ? cela relèvera d'un courage certain. Quelle embauche dans le secteur public ne tiendrait - elle compte de la griffe de l'État dans son mode de recrutement de ceux qu'elle ne nomme pas psychanalystes mais psychothérapeutes ? Dans ce processus, la psychothérapie sera la monnaie de référence et les associations de psychanalystes deviendront progressivement des associations de psychothérapeutes qui forment aussi des psychanalystes.

Il ne s'agit pas de faire, comme pour la commission Gérolami, qui avait offert une issue honorable à la question de la TVA, une étude au cas par cas au sein d'un collège regroupant des représentants de toutes les écoles analytiques, mais bien d'une validation en bloc de telle ou telle association. Il est clair que pour apparaître crédible, l'État ne peut pas reconnaître toutes les associations analytiques qui en feraient la demande. De façon logique pour que l'État garantisse, il doit avoir ses critères de reconnaissance (!) et pouvoir sanctionner les abus. Le consommateur lui doit pouvoir juger et comparer, ne pas être trompé sur la marchandise savoir ce qu'il achète, combien cela va lui coûter pendant combien de temps et comme tout bien durable pouvoir en discuter l'investissement avec son conjoint. Pas d'intermédiaire repérable dans ce processus et pas d'envoyeur.

Quant au critère retenu, celui de la psychopathologie, il ne peut que laisser plus d'un psychanalyste perplexe. Que met-on aujourd'hui sous ce terme ? Sans doute pas le creuset au sein duquel Lacan disputait avec Henri Ey – et en des termes déjà combien vifs et polémiques- je vous renvoi en particulier au texte des « Écrits » « propos sur la réalité psychique » ainsi que la dispute du colloque de Bonneval au sortir de la guerre. On n'en est plus là tant s'en faut. La psychopathologie n'est plus qu'un champ de ruines ou s'affrontent les tenants du DCM. Assonance disais-je. N'a-t-on pas confondu psychopathologie et métapsychologie ? en quoi un psychanalyste peut-il se fonder d'un savoir en psychopathologie pour se trouver en mesure d'en proposer l'enseignement ? voilà la question que je me pose. Car, cette psychopathologie, il lui faudra bien l'enseigner au sein des écoles ou associations de psychanalystes. Va-t-on aller chercher au dehors des formateurs, non psychanalystes, pour assurer cet enseignement ?

Mais revenons à cette question de l'envoyeur. On sait qu'une phrase de Lacan a fait scandale : l'analyste ne s'autorise que de lui-même dans laquelle certains mauvais esprits ont voulu voir l'apologie du n'importe quoi, n'importe qui. Je ne reviendrai pas sur cet aspect des choses mais sur la suite que chacun connaît où Lacan ajoute : « et de quelques autres ». C'est précisément sur ces quelques autres que l'on aimerait en savoir d'avantage en excluant pour ma part que ce tiers ici désigné par Lacan puisse en aucune façon être ni l'État lui-même ni 60 millions de consommateurs. C'est ce point qui fait problème. Quels sont aujourd'hui ces quelques autres. C'est là un sujet presque tabou. Il s'y trouve sans doute des collègues, des amis, des professionnels de la santé ou du social pour lesquels s'est établi ou non un transfert sur l'analyste auquel on adresse un patient. Comment en savoir quelque chose de son travail ? Qu'en est-il du lien qui s'organise autour de ce premier transfert dont parfois la nature rend impossible ou au moins très problématique le travail analytique ultérieur. Comment ce passage s'effectue-t-il et selon quelles modalités. C'est une question difficile car je n'ai rien trouvé d'écrit à ce propos et je suis moi-même contrains à ces quelques balbutiements tout en notant que certains précisément adressent à quelqu'un qu'ils ne connaissent pas peut-être pour que soit accentué l'effet d'imaginaire qui en résulte.

L'envoyeur c'est précisément celui qui jusqu'à présent servait de support au transfert. Et la qualité de l'envoi, le travail préalable fait par ce dernier garantissait, dans une certaine mesure la qualité du travail possible par le psychanalyste. Bien sûr, il fallait, il faut encore compter sur les effets du prosélytisme lié au transfert de l'envoyeur sur l'analyste en particulier par d'anciens patients. Mais lorsque l'envoi vient d'une personne suffisamment consciente des difficultés et des moyens d'y répondre, l'expérience montre que la tâche de l'analyste s'en trouve grandement simplifiée.

Or c'est précisément l'envoyeur qui tend à disparaître au profit d'un État régulateur de l'offre et de la demande et qui se propose comme support de la garantie. Cela me paraît un changement radical de perspective et c'est à penser ce changement qu'il devient urgent de s'atteler.

*ce texte légèrement remanié a été présenté lors d'une journée organisée par l'association "Euro-psy" en 2004

  • 1.

    Scènes de la vie psychiatrique ordinaire

    À mots passants Nicole Anquetil/ illustration Laurence Teboul

    Érès

  • 2.

    Cf l'article de Louis Pinto

  • 3.

    que l'on pense à la difficulté de fixer un prix à une femme mariée qui ne travaille pas ou dont le salaire est sans commune mesure avec celui de son mari .