- Œdipe
- Prix
- Vidéos
- Lire
- Actualités
- Critiques
- Dossiers
- Grande traversée - Moi, Sigmund Freud
- Lettre de démission de l'Ecole Freudienne de Paris J. Favret-Saada
- Hyperactivité de l'enfant
- Loi du 5 juillet 2011 : interview
- Décrets relatifs à l'usage du titre de psychothérapeute
- L'affaire Onfray
- Mai 68 : sommaire
- Dossiers Interview de jacques Sedat à propos de la parution des travaux de François Perrier
- Le cas 'Richard'
- Chronologie
- Autisme et Psychanalyse
- Colloque : « Du Séminaire aux séminaires. Lacan entre voix et écrit »
- Documents concernant Jacques Lacan
- Livres de psychanalyse
- Revues de psychanalyse
- Newsletters
- Enseignements
- Adresses
- Questions
- Loisirs
Michel Onfray : un retour de l’obscurantisme
Michel Onfray : un retour de l’obscurantisme
Michel Onfray : un retour de l’obscurantisme
Que retenir de la petite polémique suscitée par le livre de Michel Onfray sur Freud –
Le crépuscule d'une idole. L'affabulation freudienne – qui a été fort bien orchestré
par tout un appareil médiatique ? Que dire du brûlot d’Onfray dont on saisit sans
peine qu’il répond à l’idée que l’on se fait aujourd’hui d’un bon produit
marketing (on en parle, on en fait parler, on le vend à tous les rayons) ? Conservons
simplement ceci qui prend valeur de symptôme : Onfray, c’est un retour de
l’obscurantisme. L’affirmer est un paradoxe apparent puisque le Monsieur en
question se veut justement pourfendeur de tout ce qui, dans les religions,
philosophies, ou en divers lieux de pensée, lui apparaît sous ce nomlà
d’obscurantisme. Ce qu’est l’obscurantisme ? C’est ce qui « plonge dans
l’obscurité », notamment le mépris du savoir et de la connaissance. Il est toujours
facile de dénoncer l’obscurantisme qui se manifeste dans des formes de la religion,
ou dans certaines attitudes morales ou culturelles. C’est tellement un lieu commun. Il
est un peu plus compliqué de le dévoiler là où il se manifeste sous une apparence
contraire, là où il se cache dans un discours qui se veut moderne, rationnel, sans
entraves, critiques aussi à l’égard des conventions bourgeoises, référés à de grandes
figures de la pensée. Mais, au fond, c’est bien ce que Nietzsche analyse avec tant
d’acuité dans la Généalogie de la morale quand il montre cette inversion des valeurs
qui permet à l’homme du ressentiment, par un effet de trompe l’oeil, de faire passer sa
haine si profonde pour de l’amour, sa violence pour de la douceur, son désir de
vengeance pour de la justice, etc. Le procédé n’a pas changé : on peut tout aussi
bien faire passer l’obscurantisme pour de la raison éclairée, et le mépris du savoir
pour le respect de la vérité. La falsification est toujours de mise. « L’obscurantisme
est revenu – écrivait Bourdieu – mais cette fois, nous avons affaire à des gens qui se
recommandent de la raison ». Onfray est de ceux-là. Mais il n’est que le signe de
quelque chose qui travaille l’époque. Nous aurons beau jeu de stigmatiser, du haut
de notre suffisance, des religions et des cultures que nous jugeons contraire à notre
vision d’un monde moderne. Nous ne voyons plus ce qui est au coeur de nous-même.
Onfray obscurantiste ? Il suffit de relire – si on a peu de courage – son Traité
d'athéologie, et on verra que, de cet ouvrage de 2005 à l’essai qu’il vient de publier
sur Freud, la méthode est toujours la même. Deux exemples suffiront : dans ses
lettres, l’apôtre Paul écrit qu’il souffre de ce qu’il appelle une « écharde dans la chair
». Tous les spécialistes du christianisme primitif s’accordent pour dire qu’on ne sait
pas quelle est la nature de ce mal (les hypothèses sont multiples). Mais Onfray, lui,
« sait » et déclare tout tranquillement que Paul souffre d’« impuissance sexuelle » et
que, de ce fait, il serait « incapable de mener une vie sexuelle digne de ce nom ». On
pourrait trouver cela cocasse s’il n’en faisait pas la clef de compréhension de toute la
pensée paulinienne, se condamnant à passer complètement à côté d’une pensée aux
multiples facettes, et qui déploie, pour une part, justement une kénose du divin, c’està-
dire une déconstruction des représentations classiques de Dieu (cf. à ce propos
Agamben, Badiou, Derrida, Nancy, etc.). Et Freud ? D’après Le crépuscule d'une
idole, toute la théorie de l’OEdipe découlerait ce que le petit Sigmund aurait vu sa
mère nue et n’aurait pu s’empêcher de la désirer. Est-ce cela une pensée honnête, et
informée ? Peut-on ignorer que Freud n’invente pas l’OEdipe, mais qu’il reprend un
mythe qui est justement récit de l’immémorial et énonciation d’une structure ? Même
chose pour la question du nazisme : dans son athéologie, Onfray fait du
christianisme, notamment de l’Évangile de Jean, l’origine directe du nazisme – rien de
moins – tout en balayant par ailleurs d’un revers de la main les liens entre nazisme et
néo-paganisme. Il écrit : « Hitler était disciple de saint Jean », ignorant tout de
l’utilisation du mot « juif » dans le quatrième Évangile, sans rien mettre en
perspective, sans distance. Il peut bien faire dire alors ce qu’il veut aux textes qu’il
étudie. Dans son nouvel ouvrage, c’est Freud qu’Onfray dévoile comme défenseur
d’un régime autoritaire, et la psychanalyse comme adéquate aux totalitarismes. Freud
n’a-t-il pas dédicacé un de ses ouvrages à Mussolini ? On reste confondu devant les
courts-circuits opérés, l’utilisation des sources, laissant de côté toute complexité
pour faire valoir des causalités directes et univoques : ceci mène à cela, CQFD.
Onfray lit à la manière des fondamentalistes : hors contexte, de façon littérale, sans
faire fonctionner le conflit des interprétations. Le jeu financier en vaut sans doute la
chandelle puisque les livres se vendent, et que nombreux sont ceux sur qui la
séduction opère. Dans un temps où « plus c’est gros, plus ça semble vrai », il n’y a
pas de raison que le filon s’épuise. Le plus drôle, évidemment, est de se vouloir en
même temps dans la foulée Nietzsche : que la démystification nietzschéenne ellemême
serve une semblable opération de mystification, il fallait le faire… Eh bien, il l’a
fait. Jusqu’au jour où, sans doute, le masque tombera de lui-même.
Jean-Daniel CAUSSE est professeur à l'Université de Montpellier III, département de
psychanalyse.
- Connectez-vous ou inscrivez-vous pour publier un commentaire