Se croire casseur d'idoles

Se croire casseur d'idoles, par Janine Abécassis

LEMONDE.FR | 07.05.10 | 15h12  •  Mis à jour le 07.05.10 | 17h55

Après son Traité d'athéologie (Grasset, 2005) marqué par des ignorances évidentes et des contresens en matière de religion, Michel Onfray revient sur la scène avec sa critique de Freud (Le Crépuscule d'une idole, Grasset, 2010).

Les cognitivistes déjà s'étaient acharnés dans le Livre noir de la psychanalyse (Les Arènes, 2005) contre la compréhension psychanalytique de l'homme. Celle-ci continue pourtant de triompher partout où de véritables thérapies et des analyses cliniques authentiques sont entreprises. Le philosophe s'attaque à son tour à Freud et à la psychanalyse à travers des critiques peu fondées grâce auxquelles il cherche à s'imposer comme un briseur d'idoles.

Il souhaite ébranler la révolution copernicienne en matière de psychisme apportée au monde il y plus d'un siècle. Son argument essentiel déjà appliqué à la conscience religieuse se réduit à son fantasme : la psychanalyse freudienne n'est qu'une affabulation. A la lecture de ces deux livres, nous sommes en droit de nous questionner sur l'antijudaïsme affirmé de cet intellectuel séducteur. En effet, pour lui, les Juifs seraient les premiers responsables des malheurs de l'Occident, auquel ils ont enseigné le monothéisme, directement ou par la voie du christianisme et de l'islam. Mais voilà qu'ils y reviennent encore par la voie du Juif Freud.

Avec cet ouvrage volumineux (612 pages), il apporte une énergie perverse à tous ceux qui, par une publicité intéressée, exposent ses livres partout et le présentent dans les radios, les émissions de télévision et les journaux à grand tirage comme le nouveau maître à penser de notre temps. Proposent-ils de le remplacer comme idole auprès d'un public qui perd ses repères ? Onfray semble dire : "J'apporte l'idéologie nouvelle qui se substitue à toutes les aliénations précédentes car celle proposée par Freud comme celle du monothéisme biblique relèvent de l'immoralité." Il n'aperçoit pas, lui qui se considère comme philosophe, combien cette immoralité est toute construite par son délire ravageur (Voir la critique d'Elisabeth Roudinesco dans Le Monde du 16 avril : elle y reprend, avec son incomparable compétence, toutes les erreurs d'Onfray).

"FIERS DE L'HÉRITAGE FREUDIEN"

Comment Freud pourrait-il être moral selon lui ? Ce même Freud que ses lecteurs et ses disciples s'accordent à doter d'une rigueur et d'une morale à toute épreuve, serait un pédophile, un incestueux, un tricheur, un pervers, un lâcheur qui n'a soutenu ni son peuple ni sa famille dans les moments les plus tragiques ! Puisqu'il croit que le judaïsme est le premier fauteur de troubles par ses croyances monothéistes car les deux autres religions, moins responsables du mal dans le monde, n'ont fait que s'en inspirer, on peut lui demander : Comment se fait-il qu'il perdure au-delà de toutes les persécutions dont il a été la victime de choix ? Comment se fait-il que régulièrement se dressent des génies issus de ce peuple qui, comme Joseph, savent interpréter les rêves et sauver l'humanité du marasme le plus dévastateur ?

Freud en est un héritier et c'est à ce titre qu'Onfray cherche à "le déboulonner". De plus, il incite les Juifs à se rebeller contre l'un de leur héros. Religieux ou non, ils sont fiers de l'héritage freudien qui a su transposer au psychisme une des méthodes spécifique des rabbins la plus créatrice qui soit d'interprétation des textes : le Midrach. Les Juifs, dit-il, devraient en vouloir à Freud de ne pas avoir fustigé le nazisme, de ne pas avoir vu le danger que constituait la critique de Freud du monothéisme et de son Moïse publié au moment des persécutions les plus hideuses de l'histoire de l'humanité. Si cela reste vrai, quel rapport a cette conduite critiquable de Freud avec la théorie psychanalytique en tant que telle ?

Quant à l'idéologie de remplacement qu'il propose ? Quel vide, quelle tristesse, quelle fadeur ! Imaginez un monde sans mythes, sans espoir, sans la Bible et ses figures, ses commandements, ses cantiques ! Quelle désespérance ! Les disciples d'Onfray, bon courage, suivez-le sur le chemin de "vie hédoniste" qu'il vous propose, vous éviterez toutes les dérives de ce pauvre monde dans lequel nous avons le triste privilège de vivre !

Janine Abécassis est psychanalyste et professeure émérite de psychologie clinique à l'université de Franche-Comté.