Léonard de Vinci : Une exposition et quelques remarques

Sainte Anne

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Léonard de Vinci : une exposition et quelques réflexions

 

En sortant de l’exposition qui se tient au Louvre en ce moment, j’ai rapidement jeté un œil sur les divers documents proposés pour compléter cette visite. S’y trouvait comme de coutume les numéros spéciaux de Télérama et autres dossiers de l’art. Je n’y ai pas aperçu le livre de Freud « un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci ». Je pense qu’il ne s’y trouvait pas et je n’ai pas pensé à aller vérifier si c’était aussi le cas à la librairie du musée.

Ce n’est pas la seule remarque que l’on peut faire au sujet de cette exposition mais elle m’a parue assez significative de l’air du temps.

Il y a plusieurs aspects de cette exposition qui m’ont semblé assez surprenants. Tout d’abord, présenter Léonard seulement comme un peintre de génie me semble notoirement insuffisant voire tout à fait inexact. Sans être un grand spécialiste de l’histoire de l’art, il est de notoriété publique qu’il fut au moins autant un ingénieur versé dans l’art de la guerre et de ses machines, un diplomate, peut-être même un espion.  Dans les mémoires laissées par Léonard, une certaine lettre adressée à son protecteur à Milan ne cite que comme en passant sa qualité de peintre.

 

En me promenant parmi les toiles, me venait l’image que l’on trouve dans « Tintin et l’oreille cassée ». Tintin et Haddock se promènent dans ce musée et l’on aperçoit un homme à barbichette qui contemple une statue. Oui, il y avait de cela. Léonard est admirable, forcément admirable comme dirait Marguerite Duras. On lui connait à cette heure 15 tableaux reconnus de sa main de par le monde, si je ne me trompe pas. Chacun d’eux retouché pendant des années. Que le qualificatif d’obsessionnel tombe sous le sens me semble incontournable pour avoir un peu une idée de l’homme qu’il fût.

Léonard Madonne de Saint Petersbourg

L’autre fil qui m’a semblé absent de cette exposition c’est précisément ce qui en fait à mon sens l’intérêt. Car enfin que cherche Léonard, et ensemble tous les peintres de la Renaissance italienne en particulier, sinon comme le souligne Daniel Arasse de montrer ce qui ne se voit pas. Autant dire qu’admirer le sourire de la Joconde, ou la technique de Léonard, en ne tenant pas compte de cette donnée fondamentale, c’est passer à côté de l’essentiel. La question posée est donc celle-ci : comment inscrire dans ce visage, dans ces regards, à la fois la tendresse d’une mère pour son nouveau-né, ce qui ressort de l’un des tableaux dans lequel la vierge est figurée simplement comme la jeune mère radieuse qui regarde son fils, et dans les autres, associé à cette tendresse du regard, le drame qui se joue dans le futur, et dont elle sait qu’il est inscrit dans un avenir proche, et de façon incontournable. La vierge, me faisait remarquer Guy Legofey regarde souvent au loin et non pas son enfant. C’est l’enfant qui lui regarde sa mère. On peut , bien entendu, se restreindre au seul regard de la vierge pour son enfant, on peut aussi penser que toute naissance étant une promesse de mort, c’est le drame partagé par toute mère.

 

Mais revenons à Freud. On s’accorde à penser que Freud s’identifiait à Léonard dont le génie était bien entendu universellement reconnu. Etait ce le seul aspect de sa personnalité, celui d’un découvreur de génie qui a pu autant marquer Freud qui écrit le livre « dans la douleur et à ses moments perdus » entre octobre 1909 et mars 1910 . On peut en douter tant l’éclair qui traverse sa pensée le conduit à commencer sa recherche de documents sur la biographie de l’homme et sur les documents laissés par Léonard.

 

On sait que l’ouvrage une fois paru, a entraîné une polémique sur un point et que cette polémique a eu pour effet de considérer les spéculations de Freud comme sans intérêt ; Pour ma part, j’ai pensé qu’il était temps de relire l’ouvrage, ce que je n’avais pas fait depuis 40 ans et j’invite le lecteur de ce billet à faire de même.

 

Le sujet de la polémique est assez mince. En observant le tableau qui figure d’ailleurs sur la couverture de l’exemplaire que j’ai sous les yeux et qui représente la vierge, sa mère et son fils tenant un agneau dans ses mains tout en tournant son regard vers les deux femmes, qui, on le note d’emblée, sont toutes deux la mère et la vierge, à peu près du même âge sur le tableau. Freud y a vu le dessin d’un aigle dont une extrémité touche la bouche de l’enfant. Dans une document Léonard rapporte un souvenir venu de ses très jeunes années et Freud note au passage  qu’il est très rare que Léonard fasse référence dans ses écrits à son enfance. Dans ce récit  Léonard écrit « qu’étant encore au berceau, un vautour vint à moi, m’ouvrit la bouche avec sa queue et plusieurs fois me  frappa avec cette queue entre les lèvres »

C’est autour de ce qui semble être une erreur de traduction que surgit la polémique. Il ne s’agirait pas d’un vautour mais d’un Milan. Soit. Peut-être s’agissant de cette conclusion erronée, les historiens de l’art ont raison de ne pas retenir cette interprétation du souvenir de Léonard concernant le Milan/vautour. Le texte de Freud en perd-t-il tout intérêt ? C’est méconnaître cette fois le génie de Freud et la pertinence de sa démarche concernant la biographie de Léonard.

 

En effet que contient cet ouvrage ? Il nous parle de l’histoire de Léonard, enfant illégitime d’une jeune mère qui meurt bientôt et qui est ensuite élevé par sa belle-mère compagne de son père. Ce qui explique sans doute que les deux femmes du tableau Anne la mère de Marie et Marie aient en apparence le même âge.

Loin d’être un donneur de leçons Freud apparaît avec toute la prudence que son hypothèse rend nécessaire. Loin d’affirmer péremptoirement son idée, il l’avance avec mille précautions. C’est aussi dans cet ouvrage que Freud expose ses idées sur l’homosexualité de Léonard et qu’il définit effectivement un type d’homosexuel comme relevant d’une identification à la mère c’est pour ajouter aussitôt qu’il ne s’agit que de l’un des parcours possibles de cette orientation sexuelle. Dans cet ouvrage il note également l’importance de la recherche concernant la sexualité et tout ce que cette recherche engendre comme curiosité future dans tous les domaines de la recherche en général. C’est aussi à cette occasion qu’il développe la question de la sublimation.

 

Quant à la question du fantasme, car Freud d’emblée assimile ce « souvenir » à un fantasme, c’est encore Guy Le Gaufey qui  a attiré mon attention sur ce qu’il considère comme étant sa meilleure définition, définition qui figure donc dans l’ouvrage : « l’imagination des hommes par rapport à leur enfance trouve d’ordinaire, en effet, un point de départ dans de minimes réalités de cette préhistoire individuelle, par ailleurs tombée dans l’oubli.C’est pourquoi l’intervention d’un motif secret est nécessaire pour aller rechercher ces liens réels et les métamorphoser, ainsi qu’il arriva à Léonard avec l’oiseau qualifié de vautour et sa conduite extraordinaire »

 

Bref, s’il vous vient d’aller au Louvre pour admirer les toiles de Léonard de Vinci ne manquez pas au retour de vous plonger dans le livre de Freud. Comme on dit  dans le Guide bleu « ça vaut le détour »

 

Ps : J’attends d’avoir en main le livre qui traite de cette polémique Milan/vautour. J’y reviendrai peut-être un peu plus tard.