Ne me libérez pas, je m’en charge.Film de Fabienne Godet, 2009

Ne me liberez pas

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Ancien braqueur fiché au grand banditisme, Michel Vaujour a toujours préféré la fuite à la prison, l'aventure à la soumission, la liberté à la loi. En l'espace de 30 ans, il aura passé 27 ans en prison - dont 17 en cellule d'isolement - et sera parvenu à s'en échapper à cinq reprises avant d'obtenir une libération conditionnelle en 2003. Si cette vie trépidante l'a souvent exposé au pire, elle l'a aussi confronté à un incroyable face-à-face avec lui-même. Avec le temps, cette fuite en avant est devenue une ascension intérieure, une esquisse de philosophie où il lui a fallu vaincre une certaine idée de soi, de la vie et des autres. C'est à ce voyage initiatique que nous convie ce film.Film Fabienne Godet, 2009, Ne me libérez pas, je m'en charge

Si ce titre peut paraître un peu abrupt, se référant de façon provocante aux multiples évasions de Michel Vaujour dont la cinéaste retrace l’histoire et recueille le témoignage, le film est en réalité infiniment plus subtil et l’expérience de ce repris de justice filmé de très près, et surtout écouté, donne à réfléchir.

Je crois que ceux qui s’intéressent à la psychanalyse ne peuvent rester indifférents et trouveront à méditer à l’écoute d’une parole radicale et très pesée. L’expérience de l’analyse y trouve une sorte de répondant qui en même temps déconcerte. En effet, au-delà de l’émotion et de l’intérêt suscités par ce personnage hors du commun qui raconte, au cours d’un dialogue à la fois précis, intelligent, et pudique, comment à partir de trois fois rien, il s’est retrouvé en prison, s’est évadé, a récidivé, est devenu un véritable gangster, a passé presque trente ans enfermé, dont dix-sept années en quartier de haute sécurité, la parole de cet homme est véritablement surprenante. Il choisit ses mots, de toute évidence. Après des décennies de silence, de méditation, il semble qu’il ne parle pas au petit bonheur la chance mais trouve dans la langue son chemin, avec détermination, avec une profonde réflexion et une liberté exemplaire.

On est frappé d’entendre des mots qui font écho au cheminement analytique : manque, vide, désir de toute-puissance. On ne sait pas s’ils ont le même sens pour Vaujour que pour l’analysant. On pourrait bien le croire. C’est comme si ce long détour de silence, d’enfermement, de concentration, avait rendu possible la reconnaissance de ces noyaux essentiels. Les mots ne sont pas dans la chaîne habituelle, le transfert n’y est pas et on a peine à croire qu’un travail analytique ait pu se faire sans rapport à l’autre, à l’analyste, à celui qui écoute, et pourtant, ces mots apparaissent avec netteté, fermeté, posés comme les pierres angulaires d’un parcours très proche de celui qui se fait en analyse. Du reste, on n’a nullement l’impression qu’il s’agit d’une autoanalyse, mais de quelque chose de bien plus rare et de bien plus profond, dans la relation à ce silence, dans la confrontation au vide, dans une concentration peut-être sans pensée qui ne créerait pas un effet de miroir ou d’obsession, mais un rapport à l’inconscient. Michel Vaujour ne parle pas de se connaître ou de s’observer, de s’expliquer ; il n’explicite pas de contenus et n’a aucune de ces formules par lesquelles beaucoup expriment l’idée d’une découverte de soi-même. Ce n’est pas ce dont il s’agit et l’expérience semble davantage de l’ordre d’un dispositif qui a permis que s’opère quelque chose, que se déplace quelque chose, mystérieusement, sans qu’on sache ce que c’est, et que cela humanise celui qui s’en est fait l’objet.

L’homme semble avoir abouti à une sorte de désaisissement, de laisser choir, très loin du premier miroir aux alouettes dans lequel il était pris au début de son périple. Il en ressort avec un désir très puissant et très simple, presque ascétique, de vie, et curieusement, avec une affirmation de la beauté.

Sa parole est souvent belle, en effet, saisissante dans son dépouillement, sa force nue, comme est beau le monde pour celui qui le découvre après tant de mort en soi et autour de soi.

L’enfermement entre les murs de la prison ressemble fort à l’enfermement dans les idéaux du moi et les illusions variées que le surmoi et les rivalités sociales nous distillent. La prison et le monde se renvoient dos à dos leur violence, dedans, dehors, c’est le même délire. Jusqu’au moment où Michel Vaujour, par un tour de force, réussit à ne plus être en prison, mais en lui-même, et peut-être ailleurs. Son ascétisme, sa résolution, le poussent à fuir toute échappatoire, tout divertissement. Dans une discipline pascalienne, il assume le rien et le vertige, semble même trouver un poids, une stabilité tout intérieurs. Et cela sans mysticisme, sans croyance.

Expérience totalement stupéfiante d’un retournement qui lui permet, après des années de souffrances et d’enfermement, de naître enfin. Il me semble que sa parole nous rappelle quelque chose de l’éthique de la psychanalyse.

Dominique Chancé, avril 2009.