Les Bancs Publics de Denis Podalydès

Bancs publics Denis Podalydes

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Film français.

Genre : Comédie

Durée : 1h 50min.

Année de production : 2008

Distribué par UGC Distribution

Imaginons que le Bricodream du coin de la rue se transforme en bricodrame, il suffirait d’une lettre, intervertie, bref d’un lapsus. Mais ici le rêve ne tournera pas au cauchemar, hormis pour un certain hamster et quelques poissons rouges, victimes d’une passion aveugle pour l’un, de trop de soin pour les autres.

Sous ses dehors lestes (à la fois légers et un peu scabreux), de film d’été et de square, quelque chose que l’on aborderait pour se reposer, faire une petite sieste au soleil, se livrer à un peu de rêverie sans objet, le film de Podalydès est un bel « outil » pour le bricoleur de sociologie qu’est le cinéphile responsable. De saynète en saynète, l’air de rien, et surtout l’air de ne rien construire (lui qui démolit autant que possible), le film pétillant comme du Lubitsch, et comme lui également corrosif, tient bon… comme une étagère légèrement posée, collée plutôt que chevillée, avec une « colle sensuelle », sur laquelle se posent sans appuyer ou en appuyant un peu trop (attention, fragile !) fantasmes et étourderies dignes des Marx Brothers. Il nous emporte au fil de rencontres loufoques, liées par le lien ténu d’un lieu, un petit square, à Versailles, des fenêtres en vis à vis, un magasin de bricolage, dans une ronde qui n’est pas sans rappeler le manège de Max Ophuls, et sa satire cruelle quoique allègre, de la société.

Cette comédie charmante est un éloge du bricolage au cinéma et dans la vie, à condition qu’on en reste aux petites mèches et qu’on ne s’aventure pas dans les bazookas capables de vous défoncer un mur en tuant le hamster de sa fille qui est derrière avec sa petite touffe poilue (comprenne qui pourra). Le film, conscient de son format s’en tiendrait volontiers, avec modestie, au pistolet de square (et petite caméra), aux cow-boys de huit ans, sans chercher les morceaux de bravoure et les grands discours, les grandes scènes. Précisément, c’est au discours que s’en prend Podalydès, pour en faire une satire désopilante et qui touche dans le mille les mythes actuels du management, de la productivité, du marketing. Un inconscient farceur se glisse dans toutes les langues pour les faire dérailler, le patron prenant progressivement les slides (diapositives) de son power point pour le slip de je ne sais quelle garce qui l’a plaqué, laissant percer l’énormité de son désir et de son dépit, dans la novlangue de l’entreprise. Arditi réussit à bafouiller sur un ton vraiment juste, un discours totalement surréaliste, le lapsus démontant à qui mieux mieux le sérieux managérial, et la jouissance du réalisateur s’insinuant, obscène et transgressive dans la croissance. Ah, si l’on pouvait entendre le sarkozy comme ça ! ou comment à vouloir en mettre plein la vue (slides), on glisse, (slide ou slip) sur la pente savonneuse des désirs inconscients, bref, les images sont fissurées par les jeux de langage, et laissent percer la vérité indécente.

À bricodream, on parle la même langue : l’entreprise, qu’elle soit administration, commerce ou agence d’on ne sait quoi, est prise dans le même cauchemar et les mêmes objectifs. Ici, on joue en cachette sur son ordinateur, malgré les discours de motivation et la surveillance du petit chef, l’écran ne fait pas tellement écran à la libido, à l’enfant qui sommeille en chaque adulte qui s’ennuie au travail, à la solitude qui rêve ; là on dort carrément, malgré les caméras de surveillance qui révèlent toujours une telle incongruité qu’elles déclenchent le fou rire d’Opportune la bien nommée. Le magasin de bricolage est l’envers de l’entreprise, on y fait tout en plus grand et on démonte tout ce qu’on monte ou démontre, de l’autre côté. C’est comme si le film avait un côté pile et un côté face, une version (presque) réaliste de comédie dramatique (l’entreprise, la rencontre d’un homme seul, au bord du pathos, le drame psychologique et social) et la farce, de l’autre côté (le bricolage, les rencontres multipliées, grotesques, la démolition façon Helzapoppin) qui montre l’envers du décor, littéralement, bien que ce soit le lieu où l’on rêve les décors. Le magasin de bricolage est le lieu du rêve (bricodream) où se défait la réalité (bricodrame), le patron n’étant qu’une sorte de Monsieur Loyal qui endort chacun à coup de tisanes, de colle, de démos fantasmatiques. C’est un véritable bonimenteur de foire et son staff en blouse paradisiaque est une équipe de bons à… rêver. Ses paillassons ne servent qu’à dormir, ses télévisions de contrôle à rire. Les gags s’accumulent, un peu longuement certes, mais cette gratuité a son importance, elle travaille à une économie du jeu (les tubes énormes ne s’emboîtent que pour qu’il y ait « du jeu »), de la gratuité justement et du plaisir, et puis cela gonfle le film, qui gonfle, gonfle, jusqu’à l’explosion.

Ce film a un formidable effet d’après-coup. Comme l’inconscient. C’est le lendemain qu’on se rend compte qu’il est très futé et qu’il travaille comme un bon « outil » à la destruction des cloisons, des préjugés, des discours convenus.

On se fait souvent de l’inconscient une représentation un peu noire, comme s’il était le mauvais génie qui trame les psychoses, les angoisses, les bris de vaisselles et de couples, les mauvais souvenirs et les cauchemars. Ce film nous rappelle opportunément que c’est l’inverse. Le discours sérieux, productiviste, le surmoi, les conventions sociales produisent toutes ces folies, l’angoisse du père qui triture l’enfant, la solitude et les portables qui permettent de faire semblant de communiquer quand on n’a personne à qui parler. L’inconscient, ce sont les pulsions qui lézardent ces tristes façades, ces murs (de soutènement ?) le rappel incessant du désir qui tire la langue, la fait fourcher, le petit génie qui fait se télescoper les gens les plus incapables de se rencontrer (une secrétaire et un technicien de surface). Alors que tout le monde est « coi », bafouille, se démène pour dire ou ne pas dire, les langues se rencontrent enfin au plus profond du baiser de cinéma (une vraie plongée dans l’aquarium des poissons rouges).

Toutes les situations de communication deviennent source de comédie, de mime, d’interprétation, on ne parle pas, mais ça parle de partout. Les portables sont complètement pervertis, détournés, éteints pour qu’on puisse enfin parler, sonnant toujours au mauvais moment, utilisés enfin comme signes et non comme objets de communication. De tous ces mutismes subis, Podalydès fait naître des dialogues facétieux et virtuoses, de vrais poèmes cinématographiques.

Ce film, insolent, inconvenant, est vraiment le remède à la novlangue. Plutôt que de ne nous faire avaler de la tisane lénifiante et du coolfish, il fourmille de conseils astucieux pour démolir et démonter le sérieux de nos power points et autres discours sociaux, représentations imaginaires et surmoïques.

Tout fait lapsus. On n’en finirait plus de déchiffrer toutes les mauvaises plaisanteries et autres jeux de mots glissés, glissants partout dans le film, dans les dialogues et dans les situations à interpréter comme des rébus et des rêves.

Sur les « bancs publics », les amoureux rêvent « au papier bleu d’azur que revêtiront les murs de leur chambre à coucher. Ils se voient déjà doucement elle cousant lui fumant dans un bien-être sûr » et c’est à bricoler ce décor de rêve que le film travaille, tout en le faisant dégringoler au fur et à mesure. Le papier peint est « dégueulasse », finalement, et les couples, familles, sociétés, ne valent sans doute guère mieux, mais le banc public reste le meilleur endroit où rêver, d’où envoyer des petits avions fabriqués dans une publicité (un flyer qui retrouve l’art de voler et non plus de bonimenter, de faire vendre). Ce paradis des enfants, petits ou grands, qu’est le square (carré) devenu cercle, est le lieu du jeu et du cinéma (on tourne !), parce qu’on y rêve plus qu’on n’y construit.

Déconstruire un flyer publicitaire pour en faire un avion, c’est un beau travail de rêve. Bruno Podalydès qui en fait raconter l’apologue par une Catherine Deneuve nostalgique, fabrique un bel outil plutôt qu’un beau film et rend hommage aux petits moyens, au bricolage, à la déconstruction plus vivante et plus drôle que le bétonnage du discours néolibéral.

Dominique Chancé, juillet 09.