Les fantasmes pétrifiés des radicalisés

 

Un furieux désir de sacrifice, le surmusulman, Fethi  Benslama, Seuil, 150 p., 15 euros.

 

« Comment  penser « ce désir sacrificiel » qui s’est emparé de tant de jeunes au nom de l’Islam? Par quoi sont-ils saisis et entraînés vers le pire ? »  Les raisons identitaires, sociologiques, communautaires, politiques généralement avancées suffisent-elles à rendre compte de ce que l’on appelle aujourd’hui couramment la «radicalisation » sous toutes ses formes, et particulièrement sa forme religieuse ? Le tourment de « ne pas être assez musulman » habite-t-il ces jeunes ?

C’est sur ces questions que s’ouvre le livre de Fethi Benslama, fondé sur son enseignement de pathologie clinique et son travail thérapeutique de psychanalyste dans une consultation publique de la banlieue parisienne. Elles le conduisent à explorer et proposer une interprétation de ces « forces individuelles et collectives de l’anticivilisation » qui persistent toujours « au cœur de l’homme civilisé et de sa morale ». En effet l’auteur considère que la notion de radicalisation a permis d’introduire, à la différence et en complément  de celle de  terrorisme, « la prise en compte des individus, de leur subjectivité, de leur parcours, de leurs interactions dans les groupes auxquels ils adhérent (…) et de parler en terme de  « processus individuel » ».

Selon lui ce processus serait « un symptôme social psychique » qui, en  l’occurrence, toucherait essentiellement des jeunes entre 15 et 25 ans, souvent en difficulté et en recherche d’identité et d’idéal. Ce malaise les amèneraient, comme on le dit familièrement, à « en rajouter » du côté radical, d’où cette appellation qu’il propose de « surmusulman », terme qui ici a pour l’auteur valeur d’un diagnostic sur le danger auquel sont exposés dans ce cas les musulmans et leur civilisation.

Y aurait-il un dépassement  possible de ce risque ?  En tous cas, selon l’auteur, « le véritable conflit ne se joue pas entre laïcité et religion comme on le croit, ou plutôt cet antagonisme est secondaire vis à vis de l’enjeu de la transformation du pacte de la communauté en contrat social. » Et de citer en exemple d’une réussite d’une telle transformation la Tunisie d’Habib Bourguiba. Mais, écrit-il, cela n’a pu se faire à l’époque « que parce que la Tunisie a une longue expérience des Lumières occidentales et orientales, si l’on considère l’histoire des institutions culturelles  rationnelles de l’islam dans ce pays et l’apparition dans les années 30 d’une élite intellectuelle et politique moderne remarquable. »

Ce sont donc à des réflexions  de « clinique politique », exercice délicat car mélangeant approche de l’individuel et approche du collectif, que nous convie Benslama. Car celle-ci permet « de ne pas se contenter de décrire des phénomènes collectifs comme des faits objectifs vus d’un télescope, sans pénétrer les causalités subjectives qui meuvent les individus. » A cet égard, on appréciera la citation qu’on retrouve au début et à la fin de l’ouvrage : « La liberté n‘est pas la délivrance des chaînes de la vie, mais le désir qui vise à la débarrasser des fantasmes pétrifiés qui l’entourent. »

 

Françoise Petitot