Le trauma colonial. Une enquête sur les effets psychiques et politiques contemporains de l'oppression coloniale en algérie
Une enquête sur les effets psychiques et politiques contemporains de l'oppression coloniale en algérie

Karima LAZALI

 

LE TRAUMA COLONIAL

 

Une enquête sur les effets psychiques et politiques contemporains de l’oppression coloniale

en Algérie.

 

Ed. La découverte, 2018.

 

Karima Lazali est psychologue clinicienne et psychanalyste et exerce à Paris depuis 2002 et à Alger depuis 2006. Elle est l’auteure également de la parole oubliée (Erès).

 

 

 

Le grand mérite de ce livre est de s’intéresser aux effets de l’Histoire sur le Sujet et il n’y a pas tant d’ouvrages qui témoignent de cela. C’est un livre dense, abondant, complexe, apportant beaucoup d’éléments historiques. Son originalité consiste à parler du trauma colonial non pas à partir de paroles d’analysants mais à partir de travaux d’historiens et d’œuvres de littérature algérienne essentiellement en langue française. Ces différentes sources permettent d’éclairer la clinique des patients en leur donnant une consistance politique. Car comment le récit de l’analysant peut-il faire véritablement « histoire » ou « construction » si rien n’est entendu et intégré dans sa propre histoire de « l’Histoire avec sa grande hache » ?

 

Un demi-siècle après l’indépendance de l’Algérie, K. Lazali examine les effets profonds de la colonisation sur l’histoire algérienne : la destruction massive des hommes entre 1830 et 1875 (80 000 morts entre 1830 et 1875), la disparition des structures traditionnelles - tribus, confréries religieuses -, celle du mode des échanges fondée sur la parole donnée. Elle analyse tout particulièrement les effets dévastateurs des réformes de l’administration coloniale autour des années 1880. Le système traditionnel de nomination tribale des individus articulé sur la filiation paternelle a été parfaitement obscur à l’administration et a été remplacé par un système de nomination républicain qui identifie l’individu par son nom et son prénom. « Ce puissant moyen de contrôle de la population au service d’une répression constante aura pour effet d’effacer pleinement la référence à la tribu et donc au père, c’est-à-dire à l’ouvrage qui installe, transcende les vivants et les situe les uns vis-à-vis des autres. » Et citant S. Freud « Le nom d’un homme est une partie constitutive capitale de sa personne, peut-être un morceau de son âme. » (Totem et Tabou). Pour K. Lazali, cette disparition du père a eu des effets dramatiques dans l’histoire algérienne qui a vu les « fils » se déchirer entre eux. Elle attribue en particulier à cette disparition du père, les luttes fratricides au sein de la résistance algérienne entre les mouvements « frères » FLN/MNA, les meurtres de dirigeants puis dans les guerres intérieures des années 90 et la montée des frères musulmans.

Elle constate que le traumatisme de la colonisation installe le sujet dans la déshérence. Les travaux d’historiens qui parcourent largement l’ensemble du livre et la littérature aident à comprendre bien des éprouvés dont celui de la honte d’exister, à travers le mépris et l’humiliation de la position d’indigène, transmise de génération en génération qui se trouve dépourvu de son identité originelle.

Une autre épreuve après la colonisation a été celle de l’Indépendance avec l’illusion de la réparation. Ce qui avait été perdu ne pouvait être retrouvé par l’Indépendance et qui n’a pu compenser ce qui avait été perdu.

L’accent est mis également sur toute la dimension d’effacement du sujet, la disparition des fondements symboliques pendant la politique coloniale laissant le sujet aux prises avec « une douleur semblable à celle du mutilé », le vécu de la disparition étant souvent nié dans un premier temps par le sujet.

La colonisation a été une véritable « fabrique des effacements » nous dit K. Lazali et explique comment le mécanisme du déni a opéré une disparition des traces et occupe une place majeure. Puisque l’histoire des patients est privée d’archives, au sens propre parfois, il s’agit de reconstruire des traces, restées hors mémoire et le travail consiste à distinguer et identifier ce qui appartient à l’individuel et au collectif et au politique.

Le déni existe dans un double registre « au niveau des sujets singuliers, par les falsifications des arrimages au symbolique (généalogies, langue, histoire) » et dans son rapport particulier à la loi puisqu’il existait plusieurs lois : celle des colonisateurs et celle des autres.

 

Une autre notion psychanalytique qui permet de penser la violence coloniale est celle du traumatisme. Le sujet traumatisé disait Ferenczi fait du choc son lieu d’existence, auquel il est attaché. « Il se met à aimer le trauma comme sa demeure propre qui porte les traces et les empreintes de sa déflagration ». Cet attachement à la destruction provoque un retour vers un narcissisme primaire, à défaut de maintenir un Autre bienveillant.

Dans son avant dernier chapitre « Etat de terreur et terreur d’état », K. Lazali envisage les différents niveaux de déchirure du psychisme : la terreur qu’elle désigne comme un au-delà du trauma et le trauma qui est lié à un événement subi et localisé par le sujet. De ces différents moments de détresse, elle livre des descriptions, propose des apports comme celui de Freud et de Ferenczi pour penser ces effractions. L’état de terreur apparaît « lorsque la terreur est identique dedans et dehors ». Celle-ci produit un univers hallucinatoire spécifique qui engloutit le sujet. Il y aurait donc, selon K. Lazali dans la terreur « une puissance quasi absolue qui s’apparente à une forme de jouissance de la mort, hors du sujet, mais pleinement réelle dans son corps. »

 

L’histoire de la colonisation est donc très précieuse à la compréhension du fonctionnement psychique des patients. Il permet d’éclairer d’une nouvelle manière l’histoire de la colonisation et de montrer les liens très étroits entre la subjectivité, le social et le politique. K. Lazali retravaille avec complexité les notions et concepts psychanalytiques pour une compréhension du fait colonial, d’un passé qui ne passe pas et qui n’en finit pas de laisser des traces.