Colette Soler : « Lacan, lecteur de Joyce » - P.U.F. - 219 p.

Colette Soler est une figure, un écrivain qui compte parmi les commentateurs de Lacan, avec des qualités pédagogiques évidentes et un souci toujours didactique. Souvent elle a le mérite de nous aider à suivre les fils de Lacan, pas à pas, entre ce qu’il dit, ce qu’il a dit précédemment et son contraire, qu’il a dit également. Ce qui ne l’empêche pas de parler comme lui de manière compliquée. Si on ne s’arrête pas à ce formalisme ce livre peut apporter beaucoup. Il s’intéresse à l’histoire du questionnement de Lacan à propos de l’écriture de Joyce. Ecriture aux équivoques infinies, au-delà du sens, au-delà des langues, illisible, de laquelle Joyce semble jouir sans rapport avec ce qui est dit.

Lacan porta intérêt en 1967 puis en 1975 non pas à cette œuvre elle-même mais à sa fonction dans l’économie subjective de son auteur. Qu’est ce donc qu’une œuvre littéraire pour un auteur ? Une formation de l’inconscient ? Un rêve éveillé ? Un mode de jouissance ? Un symptôme ? Une sorte d’analyse ? Quelque part, un écrivain est quelqu’un qui tente de dire sa vérité mais passe-t-elle forcément par là où elle est attendue ? Concernant le cas Joyce, qu’en est-il exactement de ce savoir-faire d’artiste ? Voici donc un nouveau livre serré sur ces questions et le rapport toujours étroit entre psychanalyse et littérature.

Après plusieurs chapitres préalables de mise en perspective historique, de jalons de la lecture de Joyce par Lacan, d’importants repères bibliographiques chez l’écrivain, la thèse est complexe : Pour Lacan, la fonction du dire est centrale chez le parlant. Fonction dont nous savons la primauté dans la cure, chez l’analysant et chez l’analyste. Joyce par son écriture très spéciale parviendrait à produire un dire. Lacan prête à cette opération une fonction borroméenne de nouage. Un « effet-père ». L’acte de dire aurait fonction de père car générateur du noeud borroméen. Joyce parvient à produire cette suppléance par laquelle les trois instances imaginaire réel et symbolique tiennent. Il supplée par son écriture qui s’apparente à un dire à la carence paternelle.

L’écrivain se refait un nom de son art sans passer par la généalogie. Thèse de Lacan bien connue. Le père, tel un générique, serait donc substituable. Et un art a le moyen d’être borroméen. Le livre de Colette Soler met en lumière les leviers biographiques, chronologiques et théoriques de cette lecture de Joyce par Lacan. Par cette solution qu’il a trouvée, par cet « Art-dire », ce symptôme, Joyce a fourni un apport au cheminement théorique de Lacan, à propos du symptôme en particulier. D’où le sobriquet de Joyce-le-symptôme.

Joyce a-t-il trouvé une solution sans psychanalyse ? Le père est-il un ringard ou peut-il indéfiniment tenir l’affiche ? Peut-on s’en passer et y a-t-il des suppléants quand cette fonction vient à faire défaut ? La psychanalyse actuelle peut-elle s’en passer ? Colette Soler pense qu’elle le doit « Non pour céder sur des modes à des fins de marché, mais pour répondre aux gens qui s’adressent à elle ». Y a-t-il là un nouveau chemin pour une psychanalyse d’après Freud ? D’après la mutation de Lacan-après-Joyce ?

Lacan ne rompt pas avec Freud. Il n’y a de psychanalyse que freudienne. Lacan a apporté quelque chose qui n’était pas lisible chez Freud qui ne parlait pas explicitement de Réel, de Symbolique et d’Imaginaire. Il parlait de père réel et de père symbolique. Lacan a su le lire. Sur la forme d’un livre pas très facile, avec des côtés “trop”, trop savant, trop compact, Colette Soler pose une série de questions. Mais comment mettre dans une 5 cv le luxe d’une allemande, le moteur d’une Ferrari et l’électronique d’une hybride sans faire un monstre dans lequel on parvient difficilement à s’installer ? C’est l’effet que fait la lecture de ce livre qui paradoxalement apporte beaucoup de nouveaux éclairages.

Colette Soler pratique et enseigne la psychanalyse à Paris. Ancienne élève de l’ENS, agrégée de l’Université, diplômée en psychopathologie et formée par J. Lacan, elle fut membre de son école. Elle s’est trouvée en 1998 à l’origine de l’internationale des Forums du champ lacanien et est membre fondateur de son École internationale de psychanalyse.